Infrastructures : deux visions de la rurbanité

Ni vraiment rurale, ni totalement urbaine, la vallée de Seine et ses habitants illustrent parfaitement la rurbanité. Certains projets d’infrastructure, portés par des élus légitimés par le suffrage universel, sont violemment mis en cause par des collectifs de riverains et les militants écologistes, qui y voient plutôt un déni de démocratie et craignent pour leur qualité de vie.

Depuis plus de trente ans, la vallée de Seine est le théâtre d’un combat un peu particulier. D’un côté, des responsables politiques élus et réélus, porteurs de projets d’infrastructures de transport, économiques ou touristiques. De l’autre, des associations et collectifs rassemblant riverains de ces projets et militants écologistes. Entre les deux, un véritable gouffre qu’il a encore une fois été possible de percevoir cette semaine, alors que plusieurs grands projets sont à la veille de leur lancement. De la déviation de Verneuil-Vernouillet à l’ouverture d’une carrière à Brueil-en-Vexin par le cimentier Calcia, l’incompréhension mutuelle est plus forte que jamais.

La semaine dernière, lors d’une réunion publique d’information sur l’avancement du projet de déviation de la RD 154, responsables associatifs et élus locaux ont encore durement croisé le fer. La RD 154 passe actuellement par le centre de Verneuil-sur-Seine et de Vernouillet : les uns prônent la sécurité et le confort de ceux qui habitent le long de la route actuelle. Les autres, eux, défendent les bois de Verneuil par lesquels doit passer la déviation. Dans la mémoire de certains de ces acteurs associatifs figure encore le combat mené par des habitants en 1977 contre une extension pavillonnaire dans le bois, partiellement gagné puisque le quartier né de cette opération fut drastiquement réduit par rapport aux prévisions.

Les élus bénéficient de l’onction du suffrage universel, renouvelé pour certains à plusieurs reprises, à l’instar ici de Philippe Tautou, le maire LR de Verneuil-sur-Seine et président de la Communauté d’agglomération des deux rives de Seine (CA2RS).
Les élus bénéficient de l’onction du suffrage universel, renouvelé pour certains à plusieurs reprises, à l’instar ici de Philippe Tautou, le maire LR de Verneuil-sur-Seine et président de la Communauté d’agglomération des deux rives de Seine (CA2RS).

La déviation en version allégée

Lors d’une réunion publique organisée la semaine dernière, le conseil départemental a présenté la dernière version de la déviation de la RD 154, qui voit passer 14 000 véhicules chaque jour dans les centres-ville. Les associations présentes, pour opposées qu’elles y soient, ont salué les modifications faites par l’institution départementale, réalisées « dans le bon sens »… avant que le débat ne dérape.

« Il ne s’agit que d’une voie de contournement qui permet de dévier une voie de transit, c’est tout et pas autre chose, » expliquait au soir de la réunion Jean-François Raynal, vice-président LR au conseil départemental. Face à lui, une salle très nettement divisée entre pro et anti-déviation, largement dominée verbalement par les opposants.« Ce projet cache un autre projet […] vous essayez de nous faire avaler une tranche de saucisson », lance un membre de l’Adiv, l’une des associations opposées au projet depuis maintenant 25 ans. La crainte ? Celle d’une augmentation après travaux du nombre de voies une fois la seconde phase de la déviation réalisée autour des Mureaux, voire une urbanisation future le long de cet axe à travers bois.

Mais les élus, eux, bénéficient de l’onction du suffrage universel et le savent bien. « Je reconnais que l’Adiv n’est pas uniquement composée de gens défendant leur intérêt particulier, s’élève en milieu de réunion la voix d’un vernolien âgé, riverain de l’actuelle RD 154. Mais il y a un moment où l’opposition doit cesser, cette voie de contournement est nécessaire et utile. » Cet habitant se fait alors partiellement huer… ce que les anti-déviation feront à plusieurs reprises, jusqu’à demander la démission du maire de Verneuil-sur-Seine, Philippe Tautou (LR), qui clôt la réunion sous les huées d’une partie des présents.

Comme un témoin de cette crispation, l’idée de la création de plusieurs Zad (Zone à défendre, Ndlr) a flotté dans l’air à chacun des rassemblements et réunions de la semaine dernière.
Comme un témoin de cette crispation, l’idée de la création de plusieurs Zad (Zone à défendre, Ndlr) a flotté dans l’air à chacun des rassemblements et réunions de la semaine dernière.

La déviation divise depuis 25 ans, et voit s’affronter depuis ce temps les mêmes personnes ou presque. Ici comme ailleurs, la vraie nouveauté est peut-être que les associations et leurs membres n’hésitent plus à judiciariser les choses. De nombreux recours sont ainsi exercés contre ces projets avec des cabinets d’avocats spécialisés, et chaque réunion publique entraîne la menace de nouvelles procédures. A Brueil-en-Vexin, où l’entreprise Calcia projette l’ouverture d’une carrière calcaire pour alimenter sa cimenterie de Gargenville, la ligne de fracture est un peu différente : alors que la carrière est soutenue par l’Etat et la plupart des élus de la vallée de Seine, ceux du plateau vexinois y sont résolument opposés. Ils ont d’ailleurs engagé le cabinet d’avocats de l’ex-ministre de l’Environnement, Corinne Lepage, et un recours a été formé.

Les associations opposées au projet, créées pour certaines il y a 20 ans lors d’une première tentative d’exploitation, ont été réactivées l’an dernier une fois le projet relancé. Lors d’une réunion vendredi dernier, la montée de la tension chez leurs membres était palpable : même les responsables politiques soutenant leur cause se sont fait égratigner (voir notre encadré). La confiance semble donc définitivement rompue entre une partie de la population et leurs représentants élus, et ce dans les deux sens. Comme un témoin de cette crispation, l’idée de la création de plusieurs Zad (Zone à défendre, Ndlr) a flotté dans l’air à chacun des rassemblements et réunions de la semaine dernière.

BRUEIL EN VEXIN
Les esprits s’échauffent contre la carrière

Il était venu pour apporter son soutien aux opposants à la carrière projetée par Calcia à proximité de Brueil-en-Vexin. Eric Roulot, le maire communiste de Limay, s’est cependant fait sévèrement accrocher lors de sa prise de parole destinée à proposer une stratégie de lutte, lui dont la vie de sa commune a longtemps été liée aux carrières Lafarge.

Sa proposition ? Exiger les meilleures conditions possibles d’exploitation, pour l’environnement et pour les riverains, engendrant des coûts trop importants pour l’industriel, qui pourrait alors renoncer. Si une partie du public l’écoute attentivement, certains trouvent sa stratégie trop timorée, trop politique, trop sinueuse.

« On n’a pas besoin d’un discours d’accompagnement, mais d’un discours de lutte ! Nous n’avons aucune confiance », crient certains du fond de la salle municipale brueilloise, nettement divisée sur le sujet. Seule certitude , la tension est beaucoup plus importante aujourd’hui qu’il y a un an sur le plateau vexinois.

TRIEL-SUR-SEINE
Le port perd sa subvention régionale

Les écologistes tentent un coup de poker. Ils ont obtenu la suppression de la subvention du conseil régional, et font de cette infrastructure un enjeu de leur campagne électorale des régionales.

Le projet de port que souhaite faire naître Ports de Paris à cheval sur Triel-sur-Seine et Carrières-sous-Poissy, à l’emplacement de l’actuelle marina de plaisance, a perdu l’intégralité de sa subvention régionale la semaine dernière. Sans ces 3,9 millions d’euros, cet investissement de 24 millions d’euros, destiné partiellement au transport de matériaux de construction, prendra au minimum quelques mois de retard.

Derrière cette décision du conseil régional figure une demande expresse du président du groupe écologiste et élu d’opposition muriautin, Mounir Satouri (EELV), acceptée par le président socialiste sortant du conseil régional, Jean-Paul Huchon. A l’instar des associations de la vallée, il est bien décidé à faire des grands projets d’infrastructure un enjeu de sa campagne électorale.

Le message est clair : « Si, demain, le rapport de force des écologistes au conseil régional n’est pas celui qu’on souhaite, on ne pourra pas forcément empêcher [le port] », explique l’élu. Face aux militants écologistes et les responsables des associations de riverains venus l’écouter, il prône un autre modèle de développement, axé sur la formation et l’économie de la connaissance.

Mais l’ambition écologiste est électoralement risquée en vallée de Seine. En effet, lors des derniers scrutins, tous les candidats qui avaient fait de l’opposition aux grands projets d’infrastructure un enjeu de leur campagne électorale ont subi de cuisantes défaites. En sera-t-il autrement cette fois-ci, alors que les divisions internes font rage chez EELV ?

Les soutiens politiques du projet, eux, ne cachent pas leur colère, à l’instar du président du conseil départemental des Yvelines. « C’est une manœuvre politicienne […], un mauvais coup porté au développement économique, estime Pierre Bédier (LR). C’est logique quand on sait que l’idéologie des écologistes est la décroissance, là où il faudrait de la croissance. »

« Ce sont des sauts de cabri pour montrer qu’ils existent. Je préfère être dans l’action que dans la réaction, commente de son côté Philippe Tautou, maire LR de Verneuil-sur-Seine et président de la Communauté d’agglomération des deux rives de Seine (CA2RS). Le projet est définitivement accepté, voulu et financé par Ports de Paris, qui fera ce projet dans tous les cas de figure. »

La photo figurant en tête de cet article montre à gauche Jean-Pierre Grenier, président de Bien vivre à Vernouillet, et à droite Jean-François Raynal, conseiller général LR du canton de Verneuil-sur-Seine. Ils se sont accrochés à plusieurs reprises lors de la réunion publique consacrée à la déviation de la RD 154.