La colère silencieuse des forces de l’ordre

Les tensions au quartier du Val Fourré suscitent le ras-le-bol des fonctionnaires de police, déjà très touchés par l’épisode terroriste à Magnanville. Ils appellent la préfecture à réagir.

« On est abandonné par tout le système ». Les policiers du commissariat de Mantes-la-Jolie expriment leur exaspération face aux violences urbaines qui ont émaillé le quartier du Val Fourré depuis le début du mois. Le syndicat Alliance appelle à un « Grenelle de la sécurité » dans les Yvelines pour ces agents « désarmés et délaissés ». Restent une colère froide, discrète, et une question : « Combien de drames faudra-t-il pour que les autorités réagissent ? »

Ils ne comptent pas abandonner ce qu’ils nomment comme « une guerre de territoire ». Mais nombre de fonctionnaires de police mantais expriment leur lassitude, parfois jusqu’à demander leur mutation. Trois mois après l’assassinat de Jean-Baptiste Salvaing et Jessica Schneider, à leur domicile de Magnanville, le ras-le-bol a gagné le commissariat de Mantes-la-Jolie, où la jeune femme travaillait. Le sentiment d’abandon est sur toutes les lèvres, dans toutes les têtes.

« Si on laisse le secteur sans contrôle, c’est la foire », analyse l’un des fonctionnaires de police contactés par La Gazette lors de cette enquête (comme d’autres, il a souhaité garder l’anonymat, Ndlr). Alors, depuis le début du mois et la saisie de 35 kilos de cannabis dans un appartement de la cité des Peintres, les forces de l’ordre sont très présentes dans ce quartier de Mantes-la-Jolie. Samedi 15 octobre, comme le week-end précédent, une patrouille est victime d’un guet-apens.

« J’ai eu très peur. Ils nous ont lancé un cocktail molotov, notre véhicule n’a pas pris feu, on a répliqué immédiatement. On a vidé tout l’armement collectif (flashball et taser, Ndrl) en quelques minutes, mais nous n’étions pas assez, raconte un agent présent ce soir-là. On a dû se replier, sans moyens de se défendre, en attendant que les renforts arrivent des quatre coins du département. J’ai eu l’impression que le temps a été très long. ».

Pour Julien Le Cam, secrétaire adjoint du syndicat de policiers Alliance des Yvelines, « c’est une guerre de territoire entre la police et les dealers ». Ces affrontements seraient aussi, selon lui, un signe de l’efficacité de l’action policière : « si tu déranges, c’est que tu fais bien ton travail ». Même si « on ne s’habitue jamais à ce genre de situation :  Les policiers ne sont pas formés pour faire face à autant d’assaillants », témoigne le syndicaliste.

Le secrétaire adjoint d’Alliance pointe surtout « le découragement de ces hommes et femmes face aux conditions d’exercice de leurs fonctions ». Au-delà de moyens humains supplémentaires et d’un débat des pouvoirs publics concernant les conditions d’exercice de la légitime défense, il demande plus d’équipements : « Certains policiers doivent choisir entre le tonfa et la matraque, c’est lamentable ».

Alors que l’antagonisme se renforce entre jeunes habitants et policiers, Julien Le Cam assure que ses collègues mantais ne cèdent pas à « la violence illégitime », car « notre police est trop bien formée au protocole et à la déontologie ». Il pointe par contre l’organisation de plus en plus importante des émeutiers, désormais répartis « en équipes » et « par spécialité ».

« Si les autorités ne réagissent pas, on court à la catastrophe », analyse de la situation un policier du commissariat de Mantes-la-Jolie. Le syndicat Alliance a demandé la tenue d’un « Grenelle de la sécurité » dans les Yvelines, alors qu’environ 300 postes de policiers y ont été supprimés depuis une décennie. « On ne tiendrait pas face à des émeutes comme celles que la France a connu en 2005 », s’inquiète le secrétaire adjoint.

Du côté de la préfecture, si on réfute l’idée d’un « Grenelle », on confirme « qu’à la demande du ministre de l’Intérieur, un point sera fait par le préfet avec la Direction départementale de la sécurité publique (DDSP) ». Aucune date n’a pour l’heure été fixée.

Un médiateur pointe des « provocations réciproques »

Au Val Fourré, la situation évolue vers plus de calme ces derniers jours, selon Diambéré Dembele, médiateur dans le quartier du Val Fourré depuis plusieurs décennies, et chargé de mission au conseil départemental des Yvelines. Notant la rupture du dialogue entre jeunes et policiers, il espère que les réunions de quartier prévues le mois prochain permettront d’apporter des réponses durables à un problème qui n’est pas nouveau.

« Monsieur le maire avait déjà alerté les parents, lors d’une réunion publique l’année dernière, sur le fait que de plus en plus de jeunes traînent et n’ont rien à faire la nuit dehors », rapporte le médiateur. Lors de ses rondes de nuit, il s’est lui-même étonné de la présence nombreuse de « gamins âgés entre 12 et 14 ans ». Toute la semaine dernière, des « grands frères » seraient intervenus pour apaiser les tensions.

« Tous les habitants du quartier se sentent concernés », poursuit Diambéré Dembele. Lui estime que ces tensions auraient notamment pour origines les fermetures du Centre de vie sociale (CVS) des Eglantines, de la salle de musculation de la dalle commerciale, et du réaménagement à venir de cette dernière. Les jeunes auraient pensé « que d’autres quartiers étaient privilégiés », tandis que la disparition de ces structures les pousserait « à une certaine oisiveté ».

S’il confirme que la présence renforcée de la police « a gêné  les trafiquants », il pointe surtout un dialogue rompu entre forces de l’ordre et jeunes du quartier. « Ils les appellent par leur prénom et ne peuvent pas faire la différence entre un jeune qui traîne et un jeune qui deale », estime le médiateur pour qui « la provocation est réciproque ». Lui souhaite donc « travailler pour un plus grand dialogue entre les deux parties ».