Saxophones Henri Selmer : la famille vend à un fonds d’investissement

Leader mondial du saxophone haut-de-gamme, l'entreprise doit être prochainement cédée par la famille Selmer à Argos-Soditic, qui assure vouloir investir dans l'usine mantevilloise.

Ils ont annoncé la nouvelle par un communiqué de presse conjoint, mercredi 10 janvier. L’entreprise Henri Selmer Paris, qui produit à Mantes-la-Ville les mythiques saxophones du même nom ainsi que d’autres instruments à vent, va prochainement être vendue par les 55 actionnaires de la famille Selmer. L’acquéreur, le fonds d’investissement Argos-Soditic, devrait en rester propriétaire pour une décennie. Il annonce aussi des investissements à venir et la stabilité au personnel.

Depuis sa création en 1885 par Henri Selmer, l’entreprise, devenue leader mondial de la manufacture de saxophones haut de gamme, installée depuis 1929 dans ses usines mantevilloises, était restée propriété de la famille. Les 55 associés familiaux sont des représentants des quatrième et cinquième générations ayant succédé au fondateur. Les 500 salariés de Selmer ont été informés la semaine dernière, ils pourront par ailleurs investir dans l’entreprise (voir ci-dessous).

L’actionnariat ouvert aux salariés

Le personnel de Selmer aura la possibilité d’acquérir une partie du capital de l’entreprise lors de sa cession par la famille au fonds Argos-Soditic. « Ce sera probablement un fonds commun de placement dédié aux salariés, permettant d’acheter des actions dans de bonnes conditions financières avec un abondement de la part de l’entreprise », indique Louis Godron, associé à Argos-Soditic.

« Ca nous paraît être une vision moderne de la vie de l’entreprise, que des gens qui y travaillent puissent devenir actionnaires, avance-t-il. C’est particulièrement vrai pour Selmer, où il y a des gens qui sont là depuis 10, 20, 30 ans, très attachés à l’entreprise. Ca nous a paru avoir beaucoup de sens. ».

Au sein du personnel, c’est la surprise qui domine pour l’instant. « C’est un choc psychologique pour beaucoup, témoigne Anthony Deiana, secrétaire du comité d’entreprise en tant qu’élu CGT chez Selmer. C’est un changement notable dans la société, ce qui faisait l’héritage et surtout la force, le caractère particulier d’Henri Selmer est le fait que c’était dirigé par la famille fondatrice. »

Si les carnets de commande sont aujourd’hui « pleins comme jamais », la société se remet encore de la crise financière de 2008 qui avait fait fondre ses ventes. « Il y a des années où ça n’a pas été facile, on était à la limite, on a fait des efforts », se souvient le délégué syndical d’un passé pas si lointain, où la famille Selmer a arrêté de remplacer les départs, et a utilisé le chômage partiel : « Ils nous ont gardé, n’ont licencié personne, ont fait en sorte de conserver tout le monde. »

L’entreprise était restée financièrement « à la limite » ces dernières années. « Economiquement, il fallait un investisseur qui a les moyens d’aider la société à se développer encore plus, à se donner les moyens d’évoluer au niveau technique et au niveau commercial », admet Anthony Deiana. Les représentants du personnel n’étaient donc « pas contre l’arrivée d’investisseurs », mais « on ne s’attendait pas à un actionnariat majoritaire », confie-t-il de cette acquisition par Argos-Soditic.

« La famille Selmer a fait un choix responsable et réfléchi. Au bout de 130 ans, il faut se rendre à l’évidence que notre société a beaucoup d’investissements à réaliser, que ce soit pour la fabrication, la distribuation, le marketing et la communication, explique Jérôme Selmer, arrière-petit-fils de Henri Selmer, entré dans la société en 1982, directeur général depuis 2017. Ces investissements ne sont pas à la hauteur des capacités financières de la famille. »

Argos-Soditic est un fonds de capital-investissement doté de 960 millions d’euros, notamment spécialisé dans la transmission d’entreprise. Il n’est pas vraiment inconnu dans l’industrie musicale de Mantes-la-Ville, ayant été propriétaire de 2005 à 2012 de l’autre célèbre manufacture d’instruments, Buffet-Crampon, qui souhaitait s’émanciper de ses propriétaires britanniques de l’époque.

Louis Godron, l’un des huit associés d’Argos-Soditic a présenté en personne le projet d’acquisition aux représentants des salariés la semaine dernière. Le fonds d’investissement a pour clients des banques et assurances françaises, qui lui confient une part de l’épargne de leurs propres clients. « Notre métier est d’aller investir cette épargne dans des entreprises non cotées (en Bourse, Ndlr), où il y a de beaux projets et besoin de capital », détaille l’associé. Sur Selmer, il ne tarit pas d’éloges.

« C’est une marque mondiale, un savoir-faire unique : il n’y a pas beaucoup d’entreprises dont on peut dire qu’elle fabrique les meilleurs produits au monde dans sa spécialité, s’enthousiasme-t-il. Notre but n’est pas seulement de faire de la transmission, le premier objectif est de proposer quelque chose qui ait du sens, pas seulement apporter du capital mais aussi tout un travail d’accompagnement pour aider les entreprises à se développer. »

Depuis sa création en 1885, l’entreprise, leader mondial de la manufacture de saxophones haut de gamme, dans les 11 000 m² des usines mantevilloises, était toujours restée propriété de la famille.

En 2017, Selmer a réalisé 35 millions d’euros de chiffre d’affaires, et 87 % de ses ventes se font à l’export. Pour Jérôme Selmer, la « puissance financière » et « un certain nombre d’engagements sur la politique à suivre pendant les cinq prochaines années » ont convaincu la famille de vendre à Argos-Soditic, qui devrait acquérir environ 80 % du capital selon un récent article des Echos.

« Un engagement de garder notre identité, de conserver l’âme de nos produits, de rester français, de fabriquer français, et de valoriser le made in France, détaille le directeur-général, qui restera présent au capital de l’entreprise, comme Brigitte Selmer. Et de ne pas avoir de plan de licenciement, on garde nos salariés, et bien au contraire d’embaucher, de former, de garder nos compétences et de les transmettre. »

Une présentation a été faite aux cadres mercredi 10 janvier dernier. « L’ensemble du personnel est au courant et l’a bien perçu, assure Jérôme Selmer de ce bouleversement. Je reste attentif à l’ensemble du personnel, je suis très proche d’eux, s’il faut leur donner plus d’informations, répondre à leurs questions, je répondrai bien volontiers. »

Les représentants du personnel se disent rassurés par les engagements pris pour les cinq années à venir, mais restent inquiets pour la suite. « Ici, on appartient à l’entreprise et à la famille Selmer, aujourd’hui, on perd un peu de ce caractère unique, note Anthony Deiana. C’est l’argent qui va primer sur la famille. […] Se dire que dans cinq ans, on peut être revendus, ça fait un choc. Les gens passent leur vie chez Selmer ! »

Aucun prix n’est communiqué par les deux parties à ce stade. Argos-Soditic prévoit de rester « huit à dix ans » au capital de Selmer avant une nouvelle cession. « Ca ne nous empêche pas de nous engager à faire le meilleur boulot possible, c’est comme ça qu’on peut rémunérer l’épargne qui nous est confiée », plaide Louis Godron.

Seul changement déjà annoncé : le déménagement à venir du showroom parisien de l’entreprise, jugé trop grand. Les représentants des salariés, par l’intermédiaire du comité d’entreprise, devront donner à la fin du mois un avis consultatif quant à la vente de la société. « Je vais prendre tous les moyens légaux que j’ai pour garantir l’emploi et assurer que l’avenir des salariés ne sera pas en danger », assure son secrétaire.

Selmer, roi incontesté du saxophone

Depuis sa naissance, et surtout depuis 1921 et la sortie du premier saxophone de l’usine de Mantes-la-Ville, Henri Selmer est synonyme d’excellence pour les musiciens du monde entier. Mais l’histoire débute en 1885, lorsque le clarinettiste Henri Selmer lance à Paris la confection de hanches et de becs. Ces derniers séduisent les jazzmen américains, notamment grâce au frère de Henri, clarinettiste de renommée mondiale.

Le succès du premier saxophone Henri Selmer permet à l’entreprise de racheter, en 1929, les ateliers de l’inventeur de cet instrument, le Belge Adolphe Sax. Sa fabrication nécessite toujours aujourd’hui plus de 35 heures de travail, réparties en 400 étapes accomplies par 16 corps de métier. A Mantes-la-Ville arrivent des tubes de laiton, en repartent des instruments testés et prêts à jouer. Ils sont vendus environ 4 500 euros aux musiciens amateurs et professionnels.


Mise à jour, 22 janvier 2018 :
une précédente version de cet article contenait une erreur quant au prénom d’Adolphe Sax.