Emprunt toxique : encore perdu pour le Sidru

Le syndicat public propriétaire de l’incinérateur Azalys, qui regroupe 15 communes de la vallée de Seine, a perdu son procès en appel contre la banque allemande Depfa. Il devra verser rapidement presque 20 millions d’euros pour rembourser un emprunt structuré « toxique » qu’il avait arrêté de payer depuis sa dénonciation du contrat en 2011.

Il va devoir vider sa tirelire, trouver rapidement 12 millions d’euros auprès des banques, et risque une mise sous tutelle préfectorale. Le Syndicat intercommunal de destruction des résidus urbains (Sidru*) a perdu vendredi son procès face à la banque allemande Depfa. Il lui doit désormais la coquette somme de 19,9 millions d’euros.

Elle est liée à un emprunt structuré « toxique » (voir encadré) ayant débuté en 2007, à la formule de calcul de taux basée sur des différentiels de taux de change entre dollar, franc suisse et euro. Des taux qui se sont ensuite envolés à certains moments jusqu’à 70 %. Le Sidru étudie un recours en cassation, qui ne suspend pas son obligation de payer Depfa.

En première instance, les juges avaient estimé que le Sidru devait payer, mais aussi que la banque avait failli à son obligation de conseil, condamnant la banque à payer 120 000 euros de dommages-intérêts. Le Sidru avait fait appel en espérant une décision plus favorable. La cour d’appel du tribunal de grande instance de Paris en a jugé autrement : elle annule les dommages-intérêt et déboute de ses demandes le syndicat public, propriétaire de l’incinérateur Azalys de Carrières-sous-Poissy.

D’après les attendus du jugement, la cour a en effet considéré comme non avenus les arguments du Sidru. Le syndicat avait arrêté de rembourser son emprunt à partir de 2011, lorsqu’il a dénoncé le contrat et porté l’affaire devant les tribunaux au prétexte d’un défaut de l’obligation de mise en garde des risques par la banque.

Selon la cour, il n’était « pas établi que la banque Depfa ait commis un manquement à son obligation d’information pré-contractuelle », car elle « n’avait pas d’obligation particulière de mise en garde à l’égard de l’opérateur averti que constituait le Sidru », compte tenu de la « compétence de son président (de l’époque, le maire LR de Saint-Germain-en-Laye Emmanuel Lamy, Ndlr) en matère de finances ».

Depuis vendredi matin et la délivrance du jugement, c’est le branle-bas de combat au Sidru, de réunions d’urgence en coups de téléphones. « C’est un peu suprenant de voir que le travail du juge en première instance avait été bien fait et que le juge d’appel est moins audacieux », commente sobrement son président depuis 2014, l’ex-premier adjoint de Poissy Jean-Frédéric Berçot (LR), « très déçu ».

« Nous contestons formellement l’interprétation de la cour, qui repose sur la qualité du président de l’époque et l’analyse des retranscriptions des échanges téléphoniques entre le premier vice-président et la banque ». Il étudie, avec les avocats du Sidru, un recours en cassation : « Nous maintenons cette position, notre pourvoi portera notamment sur cette contestation de la qualification d’opérateur averti. »

Emmanuel Fruchard, ingénieur financier et membre du PS de Saint-Germain-en-Laye, alerte les élus de tous bords au sujet des emprunts structurés depuis maintenant une décennie. « Je pense qu’il y avait des arguments forts et des manquemants graves des deux côtés, pointés par les avocats », relate cet élu et expert du sujet, qui a assisté aux audiences.

« Le Sidru a une usine (Azalys, Ndlr) valorisée à plus de 110 millions d’euros, qui génère du revenu », explique son président depuis 2014, Jean-Frédéric Berçot (LR), pour justifier sa confiance à trouver un nouvel emprunt rapidement afin de rembourser la banque Depfa.
« Le Sidru a une usine (Azalys, Ndlr) valorisée à plus de 110 millions d’euros, qui génère du revenu », explique son président depuis 2014, Jean-Frédéric Berçot (LR), pour justifier sa confiance à trouver un nouvel emprunt rapidement afin de rembourser la banque Depfa.

« Les banques n’auraient jamais dû vendre ça aux collectivités, le régulateur a laissé passer sans protection des emprunteurs, estime celui qui fut conseiller municipal d’opposition de 2008 à 2014. La banque a mal décrit l’ampleur du risque au client, c’était très visible, nous avertissions dès 2007. Et la marge de Depfa était élevée, rajoutant une part de risque inconnue. »

« Aucun des deux n’en sort grandi », estime Emmanuel Fruchard, déplorant ce qu’il ne s’explique, côté Sidru, que par la volonté des élus de bénéficier de taux très bas lors des périodes de bonification (voir encadré). « Ce sont deux acteurs qui ont été très médiocres, aucun n’ayant cherché à savoir jusqu’où la perte était possible », ajoute-t-il.

Cette décision de justice est lourde de conséquences : le Sidru doit payer 19,9 millions d’euros dans les six mois à venir, alors qu’il n’a provisionné que huit millions d’euros jusqu’à présent. Il va donc devoir emprunter pour rembourser les 12 millions d’euros restants… ce qui est normalement strictement interdit aux opérateurs publics.

« Nous sommes en train de travailler à cette solution avec les représentants de l’Etat, et demander une dérogation pour mettre en place le financement de 12 millions d’euros à emprunter sur 20 ans, espère de son côté l’actuel président du Sidru. Il nous faut les autorisations du ministère de l’Intérieur et de la direction départementale des finances publiques. »

Encore faudra-t-il ensuite obtenir un nouvel emprunt bancaire. « Nous avons les capacités de payer la somme due à Depfa sans demander plus d’efforts à nos adhérents (15 communes, Ndlr), affirme Jean-Frédéric Berçot. Le Sidru a une usine (Azalys, Ndlr) valorisée à plus de 110 millions d’euros, qui génère du revenu, et rapportera plus de trois millions d’euros annuels supplémentaires à la fin de son crédit-bail (en 2019, Ndlr). »

Enfin, le syndicat public risque une mise sous tutelle de la préfecture des Yvelines, en particulier si dérogations et emprunts ne pouvaient être rapidement obtenus. « Nous avons un outil qui appartient aux habitants, qui rend un service, et génère du revenu, explique le président du Sidru. Il est nécessaire de garantir le contrôle de cet outil par les élus, pour garder la maîtrise de la politique des prix de l’incinération et du traitement des déchets. » Alors, il compte bien arriver à l’esquiver.

« Ma responsabilité d’élu est de faire en sorte d’éviter la moindre mise sous tutelle ou perte de contrôle de la part des élus, plaide Jean-Frédéric Berçot. L’Etat, comme les communes adhérentes, ont intérêt à suivre l’équipe actuelle, tant au niveau de l’administration que des élus qui m’accompagnent, parce que […] nous connaissons les risques et avons les solutions.»

Il a rencontré lundi les maires des communes adhérentes lors d’un « comité syndical informel » destiné à leur présenter la situation, comme à leur permettre de l’expliquer aux citoyens de leurs villes. Quant au futur emprunt peut-être souscrit pour rembourser Depfa, il assure que cette-fois ci, ce sera « un taux fixe » de « bon père de famille ».

* Propriétaire de l’incinérateur Azalys de Carrières-sous-Poissy, le Sidru rassemble cinq communes de la communauté d’agglomération Saint-Germain boucles de Seine (SGBS), et dix municipalités de la communauté urbaine Grand Paris Seine et Oise (GPSEO) : Achères, Andrésy, Carrières-sous-Poissy, Conflans-Sainte-Honorine, Médan, Morainvilliers, Orgeval, Poissy, Verneuil-sur-Seine et Vernouillet.

Emprunt à taux fixe, variable, structuré, toxique : kézako ?

En matière d’emprunt, les collectivités ont trois grands choix. Historiquement, elles pouvaient souscrire soit à taux fixe, soit à taux variable « simple », qui dépend d’indices financiers traditionnels comme le cours de l’euro, le livret A ou le taux moyen des prêts interbancaires de la zone euro.

Au début des années 2000 sont apparues des formules complexes de calcul du taux, avec, par exemple, des différentiels entre différents indices, ou entre les taux de change du franc suisse, de l’euro, du dollar ou du yen.

Certaines de ces formules sont dites « toxiques », car elles peuvent engendrer des taux incroyablement élevés. Souvent, ces prêts structurés ont une période de bonification de plusieurs années, pendant lesquelles l’emprunteur bénéficie d’un taux fixe très intéressant. La formule de calcul complexe ne rentre en jeu qu’après cette période de bonification. Le taux est alors recalculé tous les ans, ou tout les trimestres, lors d’une période appelée fixing.

Second emprunt toxique : une procédure à 50 millions d’euros

L’emprunt structuré sous forme de « swap » contracté auprès de la banque allemande Depfa par le Syndicat intercommunal de destruction des résidus urbains (Sidru) n’est pas le seul à faire l’objet d’une procédure en justice. Le syndicat public est également en procès avec la banque Natixis pour un emprunt dont le montant actuel, au prix du marché, est estimé à environ 50 millions d’euros tous frais confondus. Aujourd’hui, la jurisprudence ne semble pas être en faveur du syndicat.

« Le contentieux n’est pas de même nature qu’avec Depfa, indique Jean-Frédéric Berçot, conseiller municipal de Poissy et président du Sidru. Nous demandons la prolongation jusqu’à la fin du contrat de la période de sécurisation (ou période de bonification, Ndlr) contractée avec la banque, avenant reconduit tous les ans pendant cinq ans. »

Débuté en 2007, cet emprunt contracté par son président d’alors et maire de Saint-Germain-en-Laye, Emmanuel Lamy (LR), est basé sur une formule basée sur des différences entre les valeurs du dollar, de l’euro et du franc suisse. Sa période de bonification comprenait un taux de 3,50 %, elle s’est terminée en 2011, année où le Sidru et la banque concluent un accord non divulgué permettant d’éviter de payer des taux d’intérêt pouvant atteindre de 30
à 50 % selon la formule.

En 2015, le Sidru décide de dénoncer le contrat devant la justice et cesse de payer la banque. La décision de première instance « ne devrait pas intervenir avant 2017 »,
indique Jean-Frédéric Berçot. Mais les nombreuses défaites de collectivités locales face aux banques devant les tribunaux, comme celle du Sidru vendredi dernier en appel, n’incitent pas à l’optimisme.

« Vu la série de jugements qui a été rendue, je vous avoue que je m’interroge sur la vision des juges concernant ces dossiers, note l’actuel président du Sidru. Je pense que derrière tout ça, il y a quand même aussi une volonté de la part des juges, tout simplement, d’être un peu fermes et rudes avec les collectivités de l’époque. »