Emprunts toxiques : des communes renflouées par l’Etat

Ces villes de la vallée de Seine ont souscrit, entre 2000 et 2007, des emprunts structurés, dits « toxiques », dont le taux d’intérêt répondait à une formule de calcul complexe et a parfois explosé depuis la crise financière de 2007-2008. Elles sont toutes engagées dans un processus de renégociation largement financé par l’Etat.

Au grand loto que constituèrent les emprunts ensuite nommés « toxiques », au début de la décennie 2000, trois communes de la vallée de Seine ont joué… et ont pour deux d’entre elles perdu beaucoup. Aujourd’hui, Carrières-sous-Poissy, Aubergenville et Mantes-la-Jolie comptent sur l’Etat pour les sortir de ce mauvais pas financier.

A l’époque, ces emprunts à taux variable sont présentés comme la panacée par les banques. Dexia, émanation des Etats français et belge, premier prêteur des collectivités, les propose avec conviction aux élus des villes grandes comme plus petites. La proposition est plutôt attractive, notamment grâce à sa période de bonification, pendant laquelle un taux fixe très faible est appliqué.

C’est après ensuite que ça se complique, lorsque s’appliquent des formules de calcul du taux ne dépendant pas des indices bancaires européens traditionnels. Le taux d’intérêt est alors calculé avec des indices bien plus spéculatifs, comme la variation de monnaies internationales entre elles, à l’instar du différentiel entre euro ou dollar et franc suisse.

Souvent, le contrat ne limite même pas le taux résultant de la formule. Lorsqu’arrive la crise financière de 2007-2008, les indices financiers mondiaux sont bouleversés, et arrive souvent ce qui ne devait justement pas se produire. Les mairies se trouvent face à des taux pouvant être à deux chiffres, comme à Aubergenville où le montant annuel des intérêts est presque doublé.

L’an dernier, un nouveau bouleversement intervient lorsque la banque centrale suisse décide de modifier sa politique monétaire. Le rapport entre le franc suisse et les autres devises est brutalement modifié, entraînant la hausse tout aussi brutale des taux d’intérêts de certains emprunts communaux qui s’y adossaient.

A l’époque, ces emprunts à taux variable sont présentés comme la panacée par les banques.
A l’époque, ces emprunts à taux variable sont présentés comme la panacée par les banques.

Aujourd’hui, la banque Dexia a fait faillite et a été remplacée par la Société de financement local (Sfil). Cette dernière, 100 % publique, a reçu pour mission d’éponger les emprunts structurés « toxiques » de la précédente institution de financement, notamment à travers un bas de laine mis en place par l’Etat en 2014, avec trois milliards d’euros financés par un impôt sur les banques et assurances.

« Il est important de rappeler le contexte. Nous avions souscrit car Dexia nous montrait des courbes à 30 ans où les indices [servant au calcul du taux d’intérêt] ne se croisaient jamais. Les documents commerciaux étaient bien faits », se souvient avec une certaine franchise Sophie Primas, la sénateur-maire LR d’Aubergenville. Pour elle, l’Etat, avec ce financement de 800 000 €, répare aujourd’hui son erreur d’hier.

« A l’époque, le regard porté par Dexia, qui vérifiait les finances et proposait les produits financiers, était important et regardé comme étatique », confirme de cette vision Christophe Delrieu. Maire DVD de Carrières-sous-Poissy depuis 2014, il est aujourd’hui soulagé de pouvoir présenter prochainement une renégociation des emprunts structurés de la commune, à taux fixe cette fois-ci.

« Nous cumulons une participation financière de l’Etat, du successeur de Dexia (la Sfil, Ndlr) et un effort de la commune, confie le premier magistrat. Nous allons enfin arrêter cette variation du taux, vulnérable au rapport de change entre franc suisse et euro. Là, l’Etat a vraiment joué son rôle. »

A Mantes-la-Jolie, les élus ont échappé à la crise de 2007-2008 grâce à des périodes de bonification particulièrement longues. Le couperet est tombé il y a un an, avec la fin de celles-ci et la rupture brutale du franc suisse.

« Tous les observateurs étaient sidérés », note le maire LR Michel Vialay. S’il a été obligé de provisionner des centaines de milliers d’euros supplémentaires à son budget 2015, il rappelle néanmoins que la commune « a gagné de l’argent jusqu’à présent » avec ses choix financiers d’alors.

La majorité mantaise est en négociations avec la banque depuis plus d’un an maintenant, et a essuyé un premier refus étatique pour bénéficier du fonds de soutien. « Il semble que le gouvernement n’y mette pas beaucoup du sien », déplore Michel Vialay, qui a formulé une nouvelle demande auprès de l’Etat.


Mise à jour, 10 février 2015 :
Suite à une importante erreur, nous avons retiré de cet article le paragraphe ci-dessous, se référant de manière erronée à la situation de la commune de Rosny-sur-Seine. Si cette dernière s’est bien engagée dans un conflit juridique avec Dexia, son objet n’était pas un emprunt à taux structuré « toxique ». Nous nous en excusons auprès de nos lecteurs et de Françoise Descamps-Crosnier, dont le nom était cité.

« Certaines villes, comme Rosny-sur-Seine alors dirigée par la députée Françoise Descamps-Crosnier (PS), avaient fait le choix, suite à l’envolée de leur taux d’intérêt, d’attaquer en justice Dexia pour défaut de conseil. L’an dernier, la nouvelle majorité DVD de la commune a abandonné les poursuites et engagé des négociations toujours en cours avec l’Etat et la Sfil. »

Si la commune qu’elle dirigeait à l’époque s’est bien engagée dans un conflit juridique avec la banque Dexia, son objet n’était pas un emprunt à taux structuré « toxique ». L’affaire portée au pénal concernait ce que Françoise-Descamps Cronier décrit aujourd’hui comme « une situation de sur-remboursement en trompant la commune », à cause de renégociations d’emprunts à un taux fixe peu avantageux par rapport au taux variable simple non structuré négocié dans le contrat initial.