L’apprentissage à la peine

Il est au coeur des politiques publiques destinées à faire reculer le chômage. Beaucoup reste pourtant à faire si l’on écoute les dirigeants d’entreprises de la vallée de Seine. Ils peinent à recruter, notamment dans l’industrie... mais ne sont pas non plus exempts de tout reproche.

L’apprentissage est sur toutes les lèvres des responsables politiques locaux comme nationaux, et des aides financières nationales comme locales très importantes ont été débloquées. Pourtant, dans une vallée de Seine yvelinoise très industrielle, les difficultés à recruter, récurrentes, en deviennent progressivement insurmontables aux dires des chefs d’entreprises grandes comme petites.

Inadéquation des formations, complexité administrative, disparition de certains savoir-faire pourtant désormais bien payés sont souvent cités… mais de l’autre côté de la barrière de l’emploi sont décrites des réticences à embaucher des jeunes locaux comme les licenciements passés de salariés aux compétences aujourd’hui regrettées.

Lors d’une réunion publique tenue la semaine passée, à Aubergenville, par la communauté urbaine Grand Paris Seine et Oise (GPSEO), deux responsables d’entreprises industrielles, l’une très grande, l’autre très petite, ont fait un sombre constat. Il n’est pas resté sans réponse, les habitants ayant à leur tour exprimé des reproches.

« Il y a peut-être des demandeurs d’emplois dans la salle. Moi, j’essaie d’embaucher des gens et je n’y arrive pas, s’est ému Olivier Talabard, directeur de l’usine Renault de Flins-sur-Seine, actuellement en phase de recrutement de plusieurs centaines de salariés en CDI. Il y a probablement un problème d’adéquation entre des compétences et des besoins […] il faut y travailler. Ce n’est pas possible de continuer comme ça. »

A certains membres de l’assistance regrettant que les entreprises ne prennent pas directement les choses en main, Jean-Paul Carta, patron d’une entreprise gargenvilloise de mécanique de précision, répond lors d’une réunion publique à Aubergenville : « Je ne suis pas un mécène. »
A certains membres de l’assistance regrettant que les entreprises ne prennent pas directement les choses en main, Jean-Paul Carta, patron d’une entreprise gargenvilloise de mécanique de précision, répond lors d’une réunion publique à Aubergenville : « Je ne suis pas un mécène. »

Un constat identique est alors fait par Jean-Paul Carta, patron de l’entreprise gargenvilloise Carta-Rouxel. « Les lycées techniques donnent des formations qui ne correspondent plus aux besoins des marchés, des gamins arrivent et je ne peux pas les prendre, regrette-t-il. On n’a pas les écoles qui pourraient permettre de nous exporter. »

Lui se fait plus précis dans ses besoins : « Aujourd’hui, trouver des tourneurs-fraiseurs ou des agents de maintenance est impossible. On en arrive à rappeler des retraités pour des travaux que les jeunes pourraient faire. » A certains membres de l’assistance qui avaient regretté que les entreprises ne prennent pas directement les choses en main, il répond : « Je ne suis pas un mécène. »

Face à ces deux dirigeants, le public se montre en effet tout aussi sévère face à ce qui ressemble fort à un échec collectif. « J’ai 46 ans de travail, mon entreprise a cherché à recruter quelqu’un qui me ressemblait, soulève ainsi un retraité. J’ai eu trois métiers différents que j’ai appris dans cette entreprise. Comment voulez-vous trouver un jeune qui aura 46 ans d’expérience ? Il n’aura pas trois métiers ! »

Dans d’autres secteurs où l’offre de formation ne manque pas en vallée de Seine, c’est parfois la réticence des entreprises ou institutions à prendre des apprentis ou jeunes diplômés habitant localement. Seraient-ils discriminés ?

« Dans mon lycée, on a des jeunes formés à travailler dans les maisons de retraite. Il y en a beaucoup sur le territoire, ils recrutent mais pas nos jeunes, soulève ainsi une enseignante en lycée professionnel aux Mureaux. […] Pourtant, elles ont les diplômes et les compétences. Il ne faut pas refuser des stages pour un nom de famille ou une couleur de peau. »

Enfin, lors d’une récente rencontre autour de l’apprentissage et de la formation professionnelle, là encore à Aubergenville, un restaurateur de Limay s’était étonné des lenteurs et de la complexité administratives. Si « les aides sont importantes », admet ce petit patron, il a souligné « une espèce de mille-feuilles de contraintes administratives » pour en bénéficier, et sollicité « un peu d’aide sur le parcours administratif » sous l’approbation des quelques dizaines de chefs d’entreprises présents.