Quand les communes pensent à fusionner

Les maires d'Orgeval et de Morainvilliers étudient la création d'une commune nouvelle. D'autres pourraient bientôt se lancer. Les communes franciliennes restent cependant plus timides que dans le reste du pays face au poids symbolique, historique et politique d'une telle décision.

« Nous avons commencé une réflexion, intitulée de commune nouvelle, pour avoir une certaine rationalisation entre les communes de Morainvilliers et d’Orgeval. » Lors de ses voeux, vendredi dernier, la maire de Morainvilliers, Fabienne Devèze, n’avait pas vraiment prévu d’en parler. Informée quelques minutes avant de la préparation de cet article, elle décide d’évoquer brièvement l’étude d’une fusion avec la voisine Orgeval, pour éviter une trop grande surprise de ses administrés.

Pas moins de 325 communes nouvelles, issues de la fusion de 1 111 municipalités, ont été créées en France en 2016, dans un mouvement de concentration pas connu depuis le XIXème siècle. Encouragée par l’Etat, la fusion est vue comme nécessaire pour avoir une voix plus forte, ou afin d’éviter la disparition de services. En Île-de-France, les maires y sont encore très réticents, craignant souvent la réaction de leurs administrés, comme de leurs propres conseils municipaux.

« On a les mêmes habitants, un territoire qui se jouxte vraiment », explique le maire d’Orgeval Yannick Tasset (LR). Alors, « dans l’optique de faire des économies et d’optimiser le travail du personnel communal », il a proposé la fusion à ses homologues de Morainvilliers, Médan et Villennes-sur-Seine. Elles sont liées, entre autres, par un syndicat intercommunal destiné à la petite enfance, ayant abouti à la création d’une crèche devant ouvrir cette année à Villennes-sur-Seine.

« On est à la recherche de financements pour continuer d’investir au profit de nos habitants, il faut se regrouper », estime aussi l’édile. La maire de Morainvilliers lui ayant « demandé de ne pas aller trop vite », le projet se limite pour l’instant aux deux communes, dont les liens sont dejà nombreux. Leurs conseils municipaux ont récemment participé ensemble à une réunion sous l’égide de la préfecture, et vont lancer une étude destinée à évaluer les gains éventuels d’une commune nouvelle.

Dans les Yvelines, aucun autre projet de commune nouvelle n’a été lancé… même si certains maires y ont déjà pensé. En vallée de Seine, une tentative avait ainsi échoué il y a quelques décennies entre Epône et Mézières-sur-Seine, tandis que le maire de Méricourt a déjà tenté d’en convaincre sans succès les maires des villages voisins. D’autres édiles, comme à Perdreauville, Hardicourt ou Andrésy, ne seraient pas opposés à un rapprochement avec un ou plusieurs de leurs voisins.

« On est à la recherche de financements pour continuer d’investir au profit de nos habitants, il faut se regrouper », estime Yannick Tasset (LR) à Orgeval.

Aux confins Sud du Houdanais, en Eure-et-Loir, Champagne est devenue hameau de Goussainville lors de leur fusion il y a deux ans. Si le député-maire de Houdan, Jean-Marie Tétart (LR), y est plutôt très favorable nationalement, hors de question pour lui de l’envisager localement pour le moment. Sa prudence est aussi celle de nombreux autres édiles. Lorsqu’ils réfléchissent à le proposer, le sujet est ainsi évoqué avec bien des précautions verbales.

Si l’Etat veut officiellement réduire le nombre de communes depuis 1971, il n’y est pas encore parvenu, le dernier mouvement de regroupement remontant au XIXème siècle. Les maires ne l’ont d’ailleurs pas oublié… à l’instar de Morainvilliers. Le rattachement de Bures, décidé en 1843, a mis un siècle à être digéré par les « Burois », devenus morainvillois et non orgevalais, au prétexte de l’utilisation du lavoir de Morainvilliers par les paysans du village.

« Nos parents et grands-parents se faisaient la guerre, mais ça va mieux, ce sont des arrières-pensées maintenant », rapporte ainsi Mireille, septuagénaire née à Bures. « On n’a pas grand-chose à Bures », précise-t-elle. Cette absence de services, de commerces, est l’un des motifs du ressentiment. « Il y a aussi quelquefois des querelles de clocher, de petites rivalités », complète Philippe Geslan (SE), maire de Méricourt et président de l’Association des maires ruraux de Yvelines (AMR 78).

Mais, alors que plus les communes nouvelles ont été nombreuses l’an dernier, pourquoi l’on en compte si peu de franciliennes ? « Je pense que ça prend moins car on a plus de moyens qu’en province », analyse la maire de Morainvilliers. « Les élus étaient concentrés sur la fusion des intercommunalités, ça ne nous a pas laissé le temps de réfléchir à autre chose », explique de son côté le président de l’AMR 78, imité par plusieurs autres maires interrogés sur le sujet par La Gazette.

Les intercommunalités sont d’ailleurs évoquées par plusieurs élus pour exclure toute fusion. « Ce n’est pas à l’ordre du jour dans la mesure où on est intégré à la communauté urbaine (Grand Paris Seine et Oise, créée en 2016, Ndlr) », estime ainsi Eric Roulot (PCF), le maire de Limay. « Cela suffit à fédérer de nombreuses communes entre elles, abonde l’édile DVD de Carrières-sous-Poissy, Christophe Delrieu. Un maximum de compétences ont été transférées, on est déjà dans une fusion. »

A Morainvilliers, où beaucoup est déjà partagé avec les communes voisines, la maire est plus hésitante que son homologue orgevalais, farouche partisan d’un avenir commun. « Le rôle d’un élu est d’avoir une vision prospective, juge Fabienne Devèze, loin d’être certaine qu’habitants et élus y soient prêts. Mais il ne faut pas non plus trop bousculer les gens, je suis pour qu’on développe encore des services en commun jusqu’à ce qu’on fasse la bascule. »

De l’autre côté de l’autoroute A13, le maire de Villennes-sur-Seine estime qu’avant d’envisager de rejoindre Orgeval et Morainvilliers, un rapprochement préalable serait indispensable avec Médan. Ce dernier est « une évidence historique qui n’a échappé à personne », souligne Michel Pons (DVD). Pour lui, les relations entre les deux communes contigües le long du fleuve « vont bien au-delà » de celles permises par la communauté urbaine Grand Paris Seine et Oise (GPSEO).

« Cette question ne choque personne. […] Ceci étant, il y a beaucoup de paramètres à prendre en compte, il faudrait voir quelles en sont les conséquences pour voir si on y a intérêt, nuance-t-il cependant, poursuivant par la réserve peut-être la plus essentielle : « Il faut que les populations y adhèrent, au-delà des mots et de la logique historique. Il faut arriver avec des arguments montrant que tout le monde y gagne, où y gagne-t-on et quels sont les domaines à risque? »

C’est ce qu’attendent les maires d’Orgeval et de Morainvilliers de l’étude à venir. « Quand on fera l’inventaire de ce qu’on fait ensemble, ils seront surpris », estime l’édile Morainvilloise. Elle qui fait toujours attention, plus de 170 ans après le rattachement, à accoler Bures à Morainvilliers, est bien consciente du poids symbolique d’une fusion. Alors, aux voeux, elle met en avant comme exemple de gain possible des terrains de tennis demandés par les habitants des deux communes.

« L’échelle du dessus, forcément plus politisée, me fait un peu peur », confie néanmoins Fabienne Devèze dont la commune passerait de 2 600 à environ 9 000 habitants. Encartée LR, elle apprécie en effet de pouvoir être à la tête d’une majorité politiquement très plurielle, dont plusieurs élus sont plutôt sceptiques (À Orgeval, l’adjointe Aude Beschi a aussi indiqué qu’elle ne voyait « pas d’argument » pour fusionner, Ndlr). Les habitants interrogés lors des voeux, eux, n’ont pas exprimé de réticences.

« Nous avons commencé une réflexion, intitulée de commune nouvelle, pour avoir une certaine rationalisation », a annoncé lors de ses voeux la maire de Morainvilliers Fabienne Devèze.

Michel et Nicole, nouveaux Morainvillois, n’y verraient ainsi « aucun problème »… tant que les services sont maintenus. Chez quelques « Buroises » septuagénaires croisées ce soir-là, la réaction est elle aussi plutôt positive. « Je fais partie d’un club à Orgeval, il y a beaucoup de choses communes maintenant », indique Mireille. « Je m’en moque ! C’est l’avenir, c’est évident, je pense qu’ils peuvent y aller », confirme en forme d’encouragement son amie Annie.

Pour les communes moyennes ou grandes, la fusion relève exclusivement du choix des maires. L’équation se posera-t-elle autrement dans les villages, où tout service aux habitants est lourd de conséquences pour le budget ? « L’effondrement des dotations [financières de l’Etat] fait qu’on est poussé à ce genre d’opérations », relève à Hardricourt le maire Yann Scotte (DVD). « A un moment donné, on ne va pas pouvoir tenir », confirme Philippe Geslan de la situation des maires ruraux.

Le fonctionnement démocratique des villages pourrait également constituer un motif de regroupement sous une bannière communale unique. « On voit les difficultés des maires à faire des listes aux élections municipales dans les petites communes », remarque ainsi le premier magistrat d’Andrésy, Hugues Ribault (DVD), de ses homologues à la tête de populations moins nombreuses. « Beaucoup de maires ne veulent pas se représenter », lâche Philippe Geslan.

« La disparition programmée des communes est inquiétante. L’Etat a dans l’idée de faire disparaître celles de moins de 500 habitants très rapidement », prévient-il également. « Il faut que ça se justifie et que ça soit sur la base du volontariat », souhaite le Méricourtois sans illusions. L’exemple de la création dans la douleur de GPSEO sonnerait alors comme un avertissement. Elle a été imposée l’an dernier à six intercommunalités, fusionnées par l’Etat, et dans des délais très brefs.

Les habitants des villages sont-il prêts à ces fusions ? « Les grandes communes nouvelles pourront avoir des mairies de quartier, mais le but étant de faire des économies », le plus probable est qu’il ne reste qu’un hôtel de ville, craint Philippe Geslan. « C’est un service qu’on retire », estime sans détour son homologue de Guernes, Pascal Brusseaux (SE). Lui défend surtout la proximité entre élus et administrés : « On est toujours à portée d’engueulade, mais les gens ont besoin de ça. »

Magnanville : mutualiser plutôt que fusionner ?

Pour Michel Lebouc (DVG), le maire de Magnanville, la solution pour maintenir les services municipaux alors que les budgets sont en forte baisse n’est pas la création d’une commune nouvelle, mais des mutualisations des infrastructures scolaires, culturelles et sportives.

« Je vais proposer à une dizaine de villages du plateau de faire une table ronde pour regarder comment mutualiser nos structures, et travailler à une territorialité de proximité, indique l’élu de cette commune de 6 000 habitants. De toute façon, on ne peut plus continuer comme ça. »