Centrale EDF : extinction des feux

La centrale thermique cesse de brûler son fioul un an avant la date inialement prévue. Elle a été définitivement fermée ce lundi par EDF, qui prévoit de mettre dix ans à la démanteler. L'avenir du site n'est pas connu.

Depuis lundi 1er mai, ses générateurs au fioul lourd ont été définitivement mis à l’arrêt. La nouvelle a été officialisée il y a quelques jours par EDF lors de son comité central d’entreprise. Il prévoyait d’en fermer deux cette année, et deux en 2018 : l’électricien a finalement décidé d’arrêter les quatre tranches de la centrale thermique de 1 200 mégawatts (MW) dès cette année. Les élus locaux, suspendus à la décision d’EDF, espèrent récupérer les terrains libérés pour implanter des entreprises.

Fin janvier, la directrice de la centrale confirmait encore devant les élus locaux, lors de ses voeux, les annonces précédentes. « On va arrêter deux tranches en avril et deux autres en avril 2018 », assurait ainsi Marie-Elisabeth Fernandes, à la tête d’EDF Porcheville depuis 2012. Ces dernières années, elle fonctionnait seulement lorsque les prix de l’électricité la rendaient rentable, soit quelques jours par an : « On continue d’être une centrale assez peu appelée sur le réseau. »

Ses deux cheminées de 220 m, visibles à plusieurs dizaines de kilomètres à la ronde, marquent pour beaucoup la frontière de l’Île-de-France. « C’est un point de repère de Paris à Rouen, on a l’habitude de les voir, note comme d’autres le maire de Limay Eric Roulot (PCF), lui-même ancien salarié de la centrale à charbon qui l’a précédée (voir encadré). On a deux points de mire dans le Mantois : la cathédrale (collégiale, Ndlr) de Mantes et la cathédrale industrielle de Porcheville. »

« Les unités un et deux ne fonctionnent plus depuis le permier avril. Il a été décidé que dans la foulée, les unités trois et quatre cesseraient leur exploitation au 1er mai, indique-t-on à la direction de la centrale porchevilloise. On a des départs assez importants de salariés. Des 199 salariés début 2016, les trois quarts sont soit déjà partis, soit savent où ils vont et à quelle date. C’est pour faciliter la concrétisation des projets professionnels qu’a été prise cette décision. D’autre part, on n’avait plus de fioul stocké sur site. »

Ces dernières années, ses générateurs, dont la production figure en temps réel dans les bureaux de la direction (photo), ne fonctionnaient plus que quelques jours par an.

Côté personnel, cette fermeture anticipée n’a causé qu’une surprise modérée. « Ils ont évoqué un hiver [2016 – 2017] rude, mais pas comme en 2012, rapporte Julien Lambert, secrétaire de la CGT d’EDF Porcheville, du choix annoncé par la direction nationale. Ils ont fait comprendre que ça n’allait pas se reproduire dans les années à venir, et que le fioul n’était plus nécessaire avec la rentrée (la remise en service après maintenance, Ndlr) de certaines centrales du parc nucléaire. »

Pour les salariés encore présents sur le site, les mois à venir seront ceux de la mise en sécurité des installations, débutée dès mardi sur les générateurs trois et quatre. « On a du travail à faire, rappelle la direction du site. On procède actuellement à la mise en sécurité des matériels électriques et de tout ce qui est en salle des machines, ainsi qu’à des vidanges : on met toutes les installations en mode sécurisé. » Cette phase devrait s’étaler jusqu’à la fin de l’année.

Porcheville B : presque 50 ans d’histoire

De 1954 à 1993, le site EDF de Porcheville est occupé par Porcheville A, une centrale électrique à charbon de quatre tranches de 125 mégawatts (MW) chacune, et dont l’exploitation avait pris fin en 1993. C’est sur la parcelle jouxtant, à l’Ouest, la centrale à charbon, qu’est érigée Porcheville B : l’électricité y est produite par combustion de fioul lourd amené par la Seine.

Ses quatre générateurs, de 600 MW chacun, sont bâtis en 1968, 1973, 1974 et 1975. Premières unités d’une série de 40 devant être construites, elles resteront les seules ou presque, la faute au choc pétrolier de 1973. En 1977, un accident de turbine spectactulaire envoie des débris jusque sur l’autoroute A13, de l’autre côté de la Seine.

En 1995, EDF décide d’arrêter deux des quatres turbines de sa centrale porchevilloise. Elle ne relancera leur production d’électricité qu’en 2006 et 2008, après leur rénovation. Fin 2015, les syndicats de l’électricien s’inquiètent de l’avancement de fermeture alors projetée pour 2023. Début 2016, EDF annonce la fermeture de deux tranches en 2017, puis des deux autres en 2018… avant que ne tombe abruptement la nouvelle de l’arrêt des quatres tranches dès ce 1er mai.

Chez les élus locaux, la nouvelle est mauvaise. « La fermeture d’une centrale telle que Porcheville génère des impacts économiques et sociaux lourds, rappelle en effet le maire de Limay, également vice-président chargé de l’environnement à la communauté urbaine Grand Paris Seine et Oise (GPSEO). Des familles qui vivent dans le Mantois vont devoir partir, avec des impacts négatifs sur l’activité commerciale, les services publics, et les ressources financières de la communauté urbaine (compte tenu des taxes et impôts très importants payés par EDF, Ndlr). »

Le démantèlement proprement dit devrait débuter en 2018, et durer une dizaine d’années. « Une fois qu’on a réhabilité le site, et à ce moment-là seulement, peuvent être suivies des pistes de revalorisation », précise la direction de la centrale EDF. Les responsables politiques, eux, comptent bien relancer une utilisation des terrains, fort bien situés sur les berges du fleuve, avant ce délai d’une décennie.

Lors de l’annonce, début 2016, de la fermeture anticipée de 2023 à 2018, élus et délégués du personnel avaient ainsi obtenu, pour « échanger sur la question de la réindustrialisation du site », la création d’un comité de pilotage présidé par le sous-préfet de Mantes-la-Jolie. « A l’époque, EDF nous avait fait savoir qu’ils allaient lancer une étude nationale pour déterminer le foncier stratégique qu’EDF voulait garder pour, le cas échéant, reconstruire des moyens de production d’électricité », se souvient Eric Roulot.

« On sait qu’EDF va préserver du foncier pour en disposer dans quelques années, indique le maire de Limay Eric Roulot (PCF). Est-ce que ce sera le parc à fioul, la centrale existante, ou Porcheville A ? »

« On va solliciter le sous-préfet pour faire le point sur le dossier. […] Ce qui nous intéresse est la question de l’emploi industriel », avance d’ailleurs Julien Lambert, lui aussi curieux de connaître les résultats de cette étude. La CGT avait, en 2016, élaboré un projet industriel alternatif basé sur la valorisation des déchets, « autour d’un pôle énergétique ». Les propositions du personnel auraient toute l’attention du Conseil départemental des Yvelines comme du maire de Limay.

Ce dernier, délégué du personnel lors de la fermeture puis du démantèlement de la centrale à charbon, Porcheville A, en 1993, en garde encore en effet un cuisant souvenir. « Les représentants du personnel avaient présenté un projet d’incinération d’ordures ménagères produisant de l’électricité, se souvient-il. On avait même réussi à convaincre EDF de candidater, mais les élus du district urbain (l’ancêtre de GPSEO, Ndlr) en avaient décidé autrement avec le projet Veolia Valene sur Guerville. »

L’incinérateur Valene, toujours déficitaire, finalement fermé en 2014, constituera-t-il un avertissement utile ? « Quelque fois, ça vaut le coup d’écouter les salariés, qui font souvent des propositions pertinentes, retient Eric Roulot. C’est en m’appuyant sur l’histoire que je demande à la préfecture et au Département d’étudier avec une grande attention les propositions faites par les représentants du personnel. »

L’ancien agent d’EDF souhaiterait également que le port de Limay puisse s’étendre à l’Est, et plutôt sur les terrains qui le jouxtent, là où se situent actuellement une voie ferrée et les immenses réservoirs à fioul. « On sait qu’EDF va préserver du foncier pour en disposer dans quelques années, mais on ne sait pas où il se situe, s’impatiente l’édile. Est-ce que ce sera le parc à fioul, la centrale existante, ou Porcheville A ? On n’a pas d’éléments précis sur le sujet. »

Avant même que la décision de fermeture anticipée soit annoncée, le président de la communauté urbaine GPSEO, Philippe Tautou (LR), indiquait discuter avec EDF d’une éventuelle conservation des deux cheminées de la centrale thermique. « Je voudrais que ça fasse partie de notre patrimoine », confiait-il ainsi en février dernier des tours de cette « cathédrale » de la production électrique moderne.

Chez EDF, aucun projet de ce type n’est à l’ordre du jour, indique la direction à La Gazette. « Les cheminées occupent une grosse emprise au sol, et elles se trouvent en plein centre du foncier », prévient cependant le maire de Limay. « Il les verra encore quelques années, précise de la proposition le responsable de la CGT. Mais dans la planification du démantèlement, les cheminées sont la première chose que l’entreprise rase. Et puis, il y a la question de l’entretien… »

Une aide pour les salariés qui perdraient de l’argent en vendant leur maison

L’impact immobilier des dizaines de ventes des logements des salariés d’EDF à Porcheville et dans les communes voisines n’est pas encore connu… mais les syndicats de l’électricien ont réussi à négocier avec leur direction une compensation financière pour ceux qui, partant travailler sur d’autres sites d’EDF, feraient des moins-values lors de la revente de leur bien.

« Lorsqu’on a fait redémarrer deux tranches (en 2006 et en 2008, Ndlr), on a du réimporter des salariés sur le site car on n’avait plus assez de monde. C’était une période de pic de prix de l’immobilier, explique Julien Lambert, secrétaire de la CGT de Porcheville. C’est pourquoi nous avons porté la prise en compte de la moins-value immobilière comme revendication. »

La CGT avait en effet réalisé une analyse des prix de l’immobilier, et obtenu d’EDF une étude de marché sur les prix de l’immobilier. « Il y a une compensation à hauteur de 40 % sur les moins-values immobilières, avec un maximum de 22 500 euros », détaille de cette indemnité le syndicaliste, qui précise que, suite à l’étude de marché, le seuil a été relevé de 33 % à 40 % pour tenir compte de « la particularité de la région parisienne ».