Adjointe mantaise, Khadija Moudnib a obtenu en 2014, pour l’association Eduquer pour réussir, qu’elle a fondée et où elle avait toujours un rôle majeur, une subvention municipale de 30 000 euros. Ces faits avaient alors été dénoncés par l’opposition, rapportés dans le Courrier de Mantes, comme relevant d’un conflit d’intérêts, ce qu’elle a toujours fermement démenti. Plus récemment, c’est désormais en tant que candidate investie par LREM qu’elle a ajouté que l’association était par ailleurs d’une grande utilité.
Des documents exclusifs que La Gazette s’est procuré, semblent pourtant infirmer l’un comme l’autre : des fonctionnaires de haut niveau y mettent en doute tant la qualité de la gestion de l’importante subvention municipale par l’association de l’adjointe, que la qualité et le nombre de bénéficiaires des actions menées, le tout en contradiction avec les objectifs affichés… dont la convention a été signée seulement en janvier 2016, par elle-même (comme représentante de la mairie, Ndlr) et le président de l’association.
Mercredi dernier, c’est une Khadija Moudnib combative qui fait pourtant face à la presse et aux internautes, lors d’une conférence retransmise en direct sur le compte Facebook de sa campagne de candidate LREM pour les élections législatives dans la 8ème circonscription. « J’invite les personnes à se baser sur les faits, non les rumeurs et les on-dit, affirme-t-elle. Je sais que ces attaques sont complètement infondées. A partir d’aujourd’hui, j’attaquerai ces personnes en diffamation. »
Avançant « qu’un juge s’en serait saisi » si sa défense « avait eu la moindre faille » concernant un éventuel conflit d’intérêts, elle rappelle « le plus important » à ses yeux, c’est-à-dire les objectifs de création d’un espace de co-working, l’accompagnement vers l’emploi et la mise en relation entre demandeurs et partenaires : « Ceux qui portent de telles attaques oublient pourquoi on fait de tels projets, en direction de personnes qui ont du mal à accéder à un emploi et à créer son entreprise, ce n’est pas simple quand on vient de Mantes-la-Jolie. »
Qu’est-ce que le conflit d’intérêts ?
La définition ci-dessous est donnée par la version francophone de l’encyclopédie en ligne Wikipedia : « Une situation de conflit d’intérêts apparaît quand un individu ou une organisation doit gérer plusieurs intérêts qui s’opposent, dont au moins l’un d’eux pourrait corrompre la motivation à agir sur les autres, ou au moins donner cette impression (on parle alors d’« apparence de conflit d’intérêts »).
[…]
Le conflit d’intérêts n’est pas, en droit français, un délit civil ou un délit pénal. Ce sont le trafic d’influence et la prise illégale d’intérêts qui peuvent en découler et qui sont, quant à eux, délictueux en France. Même s’il n’y a aucune preuve d’acte préjudiciable, un conflit d’intérêts peut créer une apparence d’indélicatesse susceptible de miner la confiance des salariés ou des citoyens en la capacité de la personne incriminée à assumer sa ou ses responsabilité(s). »
En novembre 2014, lors de l’attribution de la subvention de 30 000 euros par le conseil municipal à cette association créée en 2013, dans le cadre du Contrat social de territoire, même l’opposition municipale n’avait pas remis en cause ce louable but. « Comment expliquer que l’association Eduquer pour réussir touche 30 000 euros alors que les autres [associations subventionnées] sont mieux connues de nous (et touchaient un maximum de 5 000 euros, Ndlr) ? », s’interrogeait cependant Mouhajdi Diankha, du groupe Ensemble pour une gauche citoyenne.
Quelques jours plus tard, Le Courrier de Mantes pointait les liens étroits entre l’adjointe et l’association, et relayait les craintes de l’opposition municipale. « Je suis proche de cette association comme de beaucoup d’autres », indiquait mercredi dernier Khadija Moudnib. Sans préciser qu’en 2015, elle affirmait elle-même dans un courriel envoyé en tant qu’adjointe, relatif à Eduquer pour réussir, que « l’équipe projet, que je manage avec [son président], s’est régulièrement réunie », semblant donc attester d’un rôle plus primordial qu’une simple proximité.
Concernant la subvention elle-même, Khadija Moudnib avance qu’elle concernait exclusivement la partie co-working : « Le contrat passé était que »vous bénéficiez d’une subvention importante pour votre local puis allez chercher des fonds privés ». » Cette affirmation est contredite par la convention d’objectifs et de moyens signée le 15 janvier 2016.
Le document indique en effet que les 30 000 euros « équivalent à 98 % du montant total annuel estimé des coûts éligibles ». S’ils concernent bien un « espace de travail partagé », ils visent aussi un « accompagnement individuel d’au moins 50 jeunes bénéficiaires du RSA » et « la mise en place d’une plateforme d’animation et de coordination des acteurs socio-économiques. »
Pourquoi a-t-il fallu attendre deux ans pour que la subvention votée en 2014 soit finalement versée suite à cette signature de convention ? Parce que l’association avait modifié entre-temps son projet, rebaptisé « Rézo city », l’action initiale d’un « atelier des initiatives inter-entrepreneuriales » n’ayant jamais été concrétisée.
Du côté des fonctionnaires municipaux mantais, le verdict semble avoir été passablement brutal lors de l’examen des actions menées comme de la gestion des fonds, selon les documents obtenus par La Gazette. Dans un bilan de suivi établi début 2017, l’un note que « face à l’interpellation des services sur l’utilisation des fonds au regard des attendus de la convention, l’association propose d’adresser bilans financiers et d’activités (jamais reçus) ».
Un courriel de juillet 2016 faisait en effet état de sérieux doutes quant à l’utilisation de la subvention. « Je m’interroge fortement sur la bonne gestion des fonds qui leur ont été attribués dans le cadre de cette action CST (Contrat social de territoire, Ndlr) qui ne sont pas identifiés, voire détournés à d’autres fins et pour d’autres associations », écrit ainsi un directeur plutôt inquiet et demandeur « d’information comptable sur l’activité de Rézo city ».
L’efficacité tant mis en avant par Khadija Moudnib lors de sa conférence de presse, à titre personnel comme de l’association Eduquer pour réussir, semble pourtant mise à mal. Dix-huit mois se sont écoulés entre la signature de la convention et le versement des 30 000 euros de subvention, pour un résultat plutôt maigre pour l’instant. Début 2017, un local a bien été loué à Mantes-la-Jolie, une coordinatrice recrutée (une jeune designer sortant d’études, Ndlr), et quelques événements organisés.
Mais, selon un tableau de suivi remontant au printemps 2016 et concernant 13 personnes accompagnées, l’action de retour à l’emploi ne brille pas par son efficacité : si un jeune ingénieur d’affaires sortant d’études a bien trouvé un CDI dans une start-up muriautine, les autres se partagent entre des « recommandations » ayant abouti à de l’intérim chez Renault, des clôtures d’accompagnement ou l’absence d’information de suivi.
Pourtant, Khadija Moudnib, mercredi dernier, avançait une preuve de la réussite de Rézo city : « Ils ont candidaté à un concours organisé par le cabinet CGI (« Cinquième entreprise indépendante de services en technologies de l’information et en gestion des processus d’affaires au monde » d’après son site internet, Nldr), ils sont parmi les sept lauréats mondiaux. » Encore une fois, elle ne précise alors pas qu’un des salariés de CGI se décrit lui-même comme « acteur actif du programme Rézo city », ce qui n’a pas dû constituer un handicap dans le cadre de ce concours interne.
Ces omissions répétées semblent représenter une constante de sa vie publique, elle qui n’a jamais souhaité répondre aux accusations initiales liées à l’attribution de ces 30 000 euros en 2014. Khadija Moudnib, indiquait même dans le courriel de 2015, déjà cité ci-dessus, avoir choisi, après avoir pris de la distance dans l’association suite aux « attaques de l’opposition », estimer que « ce n’était pas la bonne attitude à avoir car je maîtrise le projet », y revenant donc malgré les soupçons de conflit d’intérêts. « Elle ne comprend pas la différence entre fonds privés et fonds publics », confiait récemment à La Gazette une conseillère municipale de l’opposition mantaise qui la connaît bien.
La présence sur sa page de CV en ligne des réalisations annoncées comme adjointe de Mantes-la-Jolie (et non comme responsable associative d’Eduquer pour réussir, rôle qu’elle ne mentionne pas, Ndlr) atteste également de ce mélange des genres. Il a l’air pratiqué par Khadija Moudnib avec une assiduité qui pourrait pourtant étonner de la part d’une candidate qui, membre d’un parti ayant fait de « la moralisation de la vie publique » son cheval de bataille, avançait lors d’une interview vidéo préalable à la conférence de presse : « On doit être nickel quand on intègre la vie politique. »
Réponse de Khadija Moudnib
Khadija Moudnib, sollicitée par La Gazette, nous a envoyé la réponse citée presque intégralement ci-dessous. Nous avons choisi d’en expurger une phrase mentionnant deux personnes nommément citées, car celles-ci ne figurent pas dans notre article. Quant à notre manque d’indépendance allégué par la candidate LREM, nous laissons nos lecteurs seuls juges, précisant seulement qu’il est de bon ton, en cette période électorale, d’abattre le messager plutôt que de répondre aux faits.
« L’association est plus à même de répondre à vos questions. […] Je m’étonne qu’après tous les démentis, et le fait que j’ai précisé que j’attaquerai en diffamation tous ceux qui colporteraient des attaques infondées, remettant en question mon intégrité et visant à ternir mon image, La Gazette nous fasse un énième article sur le sujet. Du réchauffé imaginé sur un article datant d’il y a 3 ans et n’ayant eu aucune suite… et ceci à la veille du premier tour des élections législatives…
Je ne peux que m’interroger sur votre indépendance. Je m’interroge aussi sur la raison qui pousse mes détracteurs à démolir de manière récurrente le seul projet qui ait émergé durant cette mandature municipale pour s’attaquer aux problématiques des jeunes : la formation et l’emploi. Ce projet est le seul, autour de ces problématiques, porté par des cadres et des chefs d’entreprises qui ont grandi dans des quartiers, qui en connaissent les difficultés et s’en sont sortis seuls. Ils sont à même d’aider les jeunes à comprendre qu’ils sont les seuls acteurs de leur destin et que leur avenir c’est de se prendre en main de manière autonome sans dépendre d’aucune institution ou collectivité. »
La candidate démissionne de toutes ses fonctions électives
Lors de la conférence de presse donnée la semaine dernière, Khadija Moudnib, candidate de La République en marche (LREM), a annoncé renoncer à l’ensemble de ses fonctions au sein de la mairie comme de la communauté urbaine. Elle donne notamment pour raison une clarification de sa position auprès des électeurs comme des miliants LREM locaux. Depuis l’annonce de son investiture par LREM, Khadija Moudnib s’était mise en retrait de ses fonctions politiques. Cela concerne la mairie de Mantes-la-Jolie, où la conseillère municipale de la majorité LR était aussi adjointe en charge de la famille et de l’action sociale, et la communauté urbaine Grand Paris Seine et Oise (GPSEO) où elle était conseillère communautaire.
« Beaucoup ont du mal à comprendre que je sois candidate de La République en marche et dans la majorité de Mantes-la-Jolie, a-t-elle indiqué. La République en marche, c’est la clarté : on ne doit pas laisser la place au moindre doute ou à la moindre question. » Si, jusque là, elle estimait que « ça ne posait pas de problème », Khadija Moudnib aurait changé de position suite aux récentes attaques publiques de l’ex-maire mantais Pierre Bédier (LR), comme aux demandes de « marcheurs » et « habitants » qui « me disaient qu’ils ne comprennent pas ». Par ailleurs, son entourage nous a indiqué ce lundi qu’elle souhaitait « une concertation élargie et approfondie » dans l’épineux dossier du projet de carrière calcaire dans le Vexin.