Jeudi 28 novembre, 21 h. Sur la N184 en direction d’Achères, en pleine forêt, le GPS indique « prendre à gauche » vers une entrée de l’immense dépôt SNCF Grand cormier. Brusquement, la route nationale laisse place à un ruban de bitume de plusieurs centaines de mètres sans aucun éclairage, jonché de déchets du BTP. Apparaît l’entrée du site SNCF, barrée de panneaux indiquant l’interdiction d’entrer. Pourtant, tout le monde n’est pas cheminot ici : un foyer méconnu s’y niche.
Dans leurs chambres et studios situés en plein milieu du site ferroviaire, au coeur de la forêt de Saint-Germain-en-Laye, ils n’en peuvent plus d’avoir froid, d’être isolés au point de ne pas exister, d’être si enclavés qu’il en est compliqué de travailler, de ne pas se sentir écoutés. Mais la goutte qui a fait déborder le vase déjà bien rempli des 180 habitants de ce foyer, c’est l’électricité qui a sauté cinq soirs ces dix derniers jours.
En cause ? Les 50 radiateurs électriques, distribués il y a trois semaines pour compenser une énième avarie de la chaudière : à l’arrivée des premiers frimas samedi 25 novembre, ils ont fait disjoncter le transformateur EDF alimentant le foyer. Géré par l’association Coallia (280 sites d’hébergement en France, Ndlr), le bâtiment des années 70 est propriété d’ICF la sablière, filiale logement de la SNCF, qui assure que la chaudière défectueuse sera changée en 2018.
Une information que n’avait manifestement pas la trentaine de résidents réunis dans le hall jeudi dernier, sous la seule lumière verdâtre des loupiotes signalant les issues de secours. Le reste de l’imposant bâtiment, niché entre les voies ferrées, est dans un noir complet depuis 20 h. « Sans électricité, on est totalement paralysés, indique Stéphane Falaise, l’un des habitants. Ca va faire presque deux ans que je suis ici, il y a un problème de pression d’eau et de chaudière. »
Leur bâtiment regroupe un Centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), un Programme d’accueil et d’hébergement des demandeurs d’asile (Prahda), une pension de famille et une résidence sociale. « On est des accidentés de la vie », confie Louis. D’autres sont simplement des travailleurs pauvres ne pouvant loger dans le privé, ou de jeunes mères étrangères et leurs enfants suivant le long chemin de ceux qui demandent l’asile politique.
« On ne peut pas faire le lait de bébé, il n’y a pas d’eau chaude, il ne mange pas », confie avec un français limité l’une d’elle, portant son fils de cinq mois dans une couverture. Des salariés de Coallia, certains déjà présents, d’autres venus aider suite à la défaillance électrique, abondent au désespoir des résidents. La vétusté de la chaudière semble connue de tous, comme les coupures régulières de chauffage ou d’eau chaude qu’elle engendre.
Jeudi, le courant est revenu vers 23 h suite à l’intervention d’ICF la sablière. « Ils ont même augmenté légèrement la puissance pour essayer d’éviter tout ça », précise Bernard Delpierre, directeur d’unité territoriale chez Coallia. De la panne de chaudière, il explique : « Ca fait trois semaines qu’on est dessus et qu’on n’avance pas, on essaie de trouver une vraie solution car notre exploitant chaufferie n’y met pas non plus du sien pour intervenir rapidement, on est un peu en bisbille avec eux. »
Si l’entretien de la chaufferie revient à Coallia, c’est bien la filiale de la SNCF qui en est propriétaire. « On a bien des difficultés à travailler avec la SNCF et la Sablière pour essayer de sortir ce foyer des problématiques qu’il peut avoir », ajoute le responsable de Coallia. Dans le hall, les propos des résidents et des salariés étaient, eux, nettement moins charitables envers l’entreprise ferroviaire dont ils ont l’impression de bien trop dépendre.
Sollicitée, ICF la sablière se montre plutôt rassurante. « La fuite vient d’être localisée et est en cours de réparation, le chauffage devrait donc être rétabli ce soir », a répondu l’entreprise ce lundi à notre sollicitation. Celle-ci ajoute vouloir s’assurer de « la pérennité de la réparation » en attendant « le remplacement de l’équipement planifié en 2018 », et dans tous les cas travailler à « une solution alternative en cas de panne », les convecteurs électriques mettant à mal le réseau électrique.
Les résidents, eux, reprochent bien plus que le chauffage à la SNCF et aux pouvoirs publics. Dans un courrier envoyé à la mairie saint-germanoise et à la préfecture début novembre, une quinzaine d’habitants de la résidence sociale tirent le signal d’alarme. Ces locataires qui déboursent 422 à 545 euros par mois y évoquent leur isolement, et la dangerosité de leur lieu de vie en plein milieu d’un dépôt ferroviaire, entre friche et site industriel.
« La zone où se situe notre foyer n’est pas destinée à accueillir d’habitation humaine », écrivent-ils. Le seul accès piéton se fait par la route de la forêt, jonchée de déchets parfois dangereux (vidéo ci-dessous), souvent parcourue de prostituées attendant leurs clients. Leur seul transport public est la gare RER d’Achères Grand cormier, accessible à pied à quelques centaines de mètres, avec un passage souterrain, fréquemment inondé d’ailleurs selon les résidents rencontrés jeudi soir.
Ils racontent leurs déplacements dans un site industriel en activité, aux routes défoncées, dont les abords sont jonchés de matériel ferroviaire. Cela comprend « le risque de se faire percuter par les voitures […] dont les conducteurs […] roulent à vive allure », et s’accompagne de la méfiance de salariés qui ne sont pas tous au courant de leur existence : « Nous nous faisons interpeller par les travailleurs de cette zone qui nous demandent ce que nous faisons sur ces lieux, alors que nous y vivons. »
Ils s’inquiètent surtout d’un futur drame. « Il y a eu des cas d’accidents évités de justesse, mais jusqu’à quand ? » Ils rappellent également les désagréments quotidiens posés par ce double enclavement dans un dépôt ferroviaire au coeur de la forêt, tels que la quasi-absence d’internet ou de télévision… ou même plus prosaïquement pour transporter ses achats.
« Les gens ont des problèmes de genoux, pour venir, c’est un supplice », témoigne Mamadou Amadou Dia, aide-laborantin à Paris, trois changements de train pour y aller, qui a en mains un pack d’eau acheté en rentrant du travail. « En termes d’insertion, c’est un peu compliqué », reconnaît Bernard Delpierre de ce foyer géré par Coallia depuis 2007, dont de nombreux habitants sont sans voiture.
Le responsable territorial rappelle cependant, hors des questions de chauffage, le bon entretien du bâtiment, et une « solidarité » exceptionnelle des résidents du foyer liée à leur isolement. Que Coallia essaie d’ailleurs de réduire : un arrêt de bus au niveau de la N184 (soit à plusieurs centaines de mètres du foyer, Ndlr) est demandé depuis « plusieurs années » à la mairie de Saint-Germain-en-Laye : « On a eu une réponse négative jusqu’à présent. »