Ces derniers mois, le tribunal administratif de Versailles a condamné des municipalités de vallée de Seine n’ayant pas donné suffisamment de place à l’expression de leurs opposants. Dans les deux cas, les édiles concernés n’ont pas souhaité faire appel de ces décisions. Ils déplorent cependant ces décisions qui renforcent la libre expression des associations et groupes politiques en confirmant à nouveau la jurisprudence en la matière.
A Juziers, où l’ambiance politique reste relativement mesurée, l’association J’aime Juziers a obtenu le 30 novembre dernier un jugement obligeant la commune à la faire figurer au sein de l’annuaire des associations, ce qui a été promptement fait sur internet en attendant la parution de la prochaine édition papier. Si les juges ne donnent pas suite aux autres demandes de l’association, ils indiquent clairement qu’une association à but politique a les mêmes droits que les autres.
A Carrières-sous-Poissy, l’ambiance politique est de plus en plus déplorable au fil des années depuis les élections municipales de 2014. Le maire vient d’y être condamné à diffuser, dans le journal municipal, deux tribunes qu’il avait refusées en 2015 au motif qu’il les jugeait diffamatoires. Il annonce que s’il se plie à la décision du tribunal administratif rendue il y a quelques jours, il portera plainte pour diffamation contre ses deux opposants historiques et auteurs des tribunes, une fois celles-ci diffusées dans la prochaine édition.
Les associations issues de listes politiques ou menant à des listes politiques sont communes, leur acceptation comme associations par les municipalités souvent un peu moins. En vallée de Seine ces dernières années, l’on ne compte ainsi plus les responsables politiques s’étant vus refuser le prêt ou la location de salles municipales, toute présence dans les documents municipaux ou un stand au forum des associations.
Concernant Juziers, les juges du tribunal administratif se montrent extrêmement clairs. Ils ne retiennent que l’absence de présence dans les documents associatifs de J’aime Juziers, rejetant les autres demandes (de locations de salles, d’usage du photocopieur à disposition des associations et de pouvoir écrire des tribunes dans le journal municipal, Ndlr) faute de
« précisions suffisantes » ou de « lien avec les décisions annulées ». Mais indiquent tout de même, dans leur jugement, ce qu’ils pensent des refus donnés aux associations au motif qu’elles sont politiques.
« Si ces dispositions [du code général des collectivités territoriales] permettent au maire de refuser le prêt d’un local communal à une association pour des motifs tirés des nécessités de l’administration des propriétés communales, du fonctionnement des services ou du maintien de l’ordre public, elles ne lui permettent pas de fonder un refus sur le seul motif que l’association qui présente la demande aurait un caractère politique », écrivent-ils ainsi des refus de salles dans leurs attendus.
Aujourd’hui, Didier Brély, président de J’aime Juziers, se montre plutôt satisfait de ce jugement rendu fin novembre, et espère pouvoir relancer l’association « plus ou moins mise en sommeil en 2017 ». En effet, « ne pouvant pas communiquer correctement et ayant eu à chaque fois des problèmes avec la mairie », notamment pour louer des salles municipales, la quarantaine de membres actifs aurait perdu son allant.
« La mairie nous »accuse » d’être une association politique. Ce n’est pas notre objet, même si au départ, la plupart des gens avaient participé à la liste Juziers rive droite aux municipales, note le président. Dans les esprits de beaucoup de gens, on dirait que le mot »politique » est sale. » Selon lui, cette inimitié avec le maire est surtout dûe au fait que « jusqu’à maintenant, il n’y avait qu’une liste sur Juziers ».
En 2014, suite à un premier refus de salle essuyé par l’association, il formule un recours gracieux. Le retour est négatif. Alors, il décide en 2015 d’aller seul, sans avocat, demander justice au tribunal administratif. « Il ne faut pas perdre courage et se dire que ça va coûter une fortune, indique-t-il en pensant aux autre associations dans une situation similaire. On n’a pas besoin d’avocat à partir du moment où on travaille correctement, maintenant, il faut avoir les arguments car vous risquez au minimum une sanction pécuniaire avec condamnation aux dépens. »
Deux ans après, sans nouvelles de la procédure, il demande sa clôture au tribunal administratif qui attendait alors toujours le mémoire en défense de la municipalité. Une fois celui-ci reçu, le jugement tombe rapidement. « Vous avez des personnes qui sont élues, qui font respecter la loi dans leurs communes, et qui bafouent la loi. C’est inadmissible », analyse Didier Brély. Heureux de cette victoire judiciaire, il compte maintenant relancer l’association.
Le maire de Juziers Philippe Ferrand (SE) se dit, lui, « un peu surpris qu’on oblige une commune à donner raison à une association qui dépose plainte parce qu’on ne veut pas publier des articles émanant de cette association » dont une partie des membres sont issus de son opposition politique. « Après, il y a eu un jugement, qui m’a demandé expressément de les mettre dans la liste des associations au même titre que les autres, ce que j’ai fait », poursuit-il.
L’édile note que c’est la « seule demande formulée » par les juges, loin de la liste de griefs de J’aime Juziers, mais n’en montre pas moins une certaine incompréhension. « Je regrette quand même qu’à un moment donné, les juges ne fassent pas la distinction entre une association vraiment apolitique et les associations politiques, déplore-t-il. Je pense qu’aujourd’hui, on oublie que les tribunaux n’ont pas le temps de gérer tous les problèmes, et qu’ils perdent beaucoup de temps avec ça. »
L’atmosphère est bien plus tendue à Carrières-sous-Poissy, les opposants sont munis d’avocats, et de nouvelles procédures suivront probablement le jugement du 18 janvier annulant la décision du maire de ne pas publier deux tribunes de ses opposants dans l’édition de février 2015 du magazine communal. Les juges n’ont pas suivi les arguments du maire : ne jugeant pas les deux tribunes diffamatoires, et estimant qu’il n’est pas au maire d’en juger par ailleurs, ils l’obligent à les diffuser dans le prochain numéro.
Dans leurs attendus, les magistrats indiquent que « ni le conseil municipal ni le maire de la commune ne sauraient en principe contrôler le contenu des articles publiés sous la responsabilité de leurs auteurs dans cet espace ». Et ajoutent que même « s’il présente un caractère manifestement, diffamatoire ou injurieux de nature à engager la responsabilité du maire », ce dernier ne pourrait « pour autant porter au droit d’expression des élus » qui constitue « une liberté fondamentale et une condition essentielle du débat démocratique ».
Concernant le contenu des tribunes, en particulier celle présentée par le groupe d’opposition de l’ex-maire Eddie Aït (MR), le terme « bêtise assurément », qui a retenu l’attention de son successeur, fait selon les juges « partie du niveau de polémique admissible entre adversaires politiques ». Ils estiment donc que par son refus de publication, « le maire de Carrières-sous-Poissy a porté une atteinte excessive au droit d’expression d’un élu ».
Son prédécesseur, Eddie Aït, rappelle le refus de prêt de salles en 2014, l’absence d’invitations aux cérémonies patriotiques qu’il qualifie comme « obstruction, gêne, entrave au fonctionnement de l’opposition », et s’estime satisfait par le jugement. « Il y a une jurisprudence, aujourd’hui existante, et qui clarifie les règles de dialogue dans l’opposition, analyse-t-il. Je crois que le jugement est assez éloquent, il considère qu’il y a une entrave à la liberté d’expression et que ça suffit. Vous avez le droit de considérer une tribune diffamante, mais pas de la censurer. »
L’autre opposant dont la tribune avait été refusée, Anthony Effroy (FI), se souvient d’avoir découvert l’absence de son texte en ouvrant le journal municipal : « Il ne nous a pas prévenus, n’a pas apporté de modifications, il s’est contenté de publier les textes de loi liés aux propos diffamatoires. » Lui estime « totalement faux » l’accusation de diffamation : « Le fait qu’il n’ait jamais déposé de plainte au pénal pour diffamation montre bien que son argument n’était pas fondé. »
Cette absence de plainte en diffamation devrait bientôt ne plus exister selon le maire Christophe Delrieu, qui ne fera pas appel de la décision des juges et publiera les textes incriminés. « A partir du moment où ces tribunes vont être publiées et diffusées dans la ville, je m’autorise, en tant que maire, à porter plainte sur toutes les juridictions qui peuvent exister, sur toutes les lois qu’on trouvera pour condamner ce type de comportements, de propos injurieux et d’irrespect total, assure-t-il en effet. Tant pis pour eux ! »
A posteriori, il indique aujourd’hui qu’il « aurait dû les inviter à les modifier » plutôt que de supprimer leurs tribunes. « Après, dans les temps impartis à publication, avec le bouclage, c’était un peu compliqué », se souvient-il de février 2015. Il reconnaît par ailleurs que « celle de Monsieur Effroy était moins sujette à ne pas être publiée » car « un élément était faux dans son titre mais le reste pouvait relever de la polémique politique ». Il fait cependant remarquer une certaine clémence des juges, qui ne condamnent la Ville à aucune sanction pécuniaire.
« A chaque fois, mes opposants sont en train de me faire passer pour le vilain petit canard », note-t-il de la fort étouffante ambiance politique à Carrières-sous-Poissy. Comme un témoin, il indique avoir longtemps été appelé fréquemment par le préfet auquel ses opposants avaient soumis leurs inquiétudes diverses. Ayant prouvé « les mensonges à deux reprises » de son prédécesseur, et fait découvrir au représentant de l’Etat « la condamnation » d’Anthony Effroy dans une affaire d’agression sexuelle, il serait aujourd’hui nettement moins sollicité par le préfet des Yvelines.
Mais l’élu n’en critique pas moins le comportement de ses opposants, lui dont l’attitude est pourtant aujourd’hui parfois tout aussi virulente à leur égard, comme la décision rendue par le tribunal administratif. « Je regrette profondément que ceux qui sont censés contrôler tout cet espace d’expression ne posent pas certaines limites, estime Christophe Delrieu. Je voudrais attirer l’attention du législateur français comme européen, et de tous les juges. »