Déambuler à Poissy avec Duckens Nazon, et plus précisément dans le quartier de Beauregard où il a grandi, c’est s’assurer d’être interrompu toutes les deux minutes, littéralement. Les « Oh Duckens ! Comment tu vas ? » fusent. Ses amis d’enfance, les amis de ses parents, les amis de ses deux grands frères, les amis de sa grande sœur, bref, chacun ici semble vouloir s’assurer de son bien-être. Duckens Nazon est un enfant de Beauregard et en ce lundi 7 mai, ça se voit.
« Ça fait longtemps qu’on n’a pas vu la star du quartier ! », s’amuse l’un de ses amis d’enfance. Ici, il est une star, et pour cause : il est aujourd’hui le seul footballeur professionnel originaire du quartier. Attaquant appartenant aux Wolves de Wolverhampton (qui va accéder à la Premier league la saison prochaine, Ndlr), Duckens a joué cette saison en prêt à Oldham Athletic, en troisième division anglaise et a marqué 14 buts pour six passes décisives. A la différence de la France, outre-Manche, les championnats sont professionnels jusqu’en quatrième division.
Aujourd’hui, l’international haïtien « rêve de Premier league » mais « il reste humble » car il « sait d’où il vient ». Avant d’arriver en Angleterre, il est passé pêle-mêle par Les Mureaux, Vannes, Lorient, Laval, Roye-Noyon, Saint-Quentin, Laval, où il signe son premier contrat professionnel avant de partir en Inde à Kerala Blasters, puis de revenir en Europe à Wolverhampton, où il est prêté à Coventry, puis à Oldham.
« On dirait que je suis un voyageur du foot », plaisante-t-il. Pourtant, rien ne destinait Duckens aux gazons anglais. A 16 ans, il est placé dans un foyer d’accueil et dans un lycée par l’Aide sociale à l’enfance (Ase). Après plusieurs problèmes de comportement, il est renvoyé de son lycée et se retrouve déscolarisé. « J’étais bon à l’école mais ça n’était pas fait pour moi », confesse-t-il.
Son talent ne tarde pas à taper dans l’œil d’un agent haïtien, qui le pousse à passer plusieurs détections de jeunes pour des clubs professionnels. C’est à Orgeval que Vannes, alors relégué de L2, le repère. L’enfant de Beauregard a 17 ans et voit loin. Il imagine son rêve de professionnel se réaliser, mais son comportement le rattrape. « Même à Vannes, je faisais encore n’importe quoi, je n’étais pas stable. J’ai été viré de l’internat à cause d’une embrouille avec un surveillant qui a eu des propos racistes », se défend-t-il.
Chose rare, il est cependant conservé par le club, qui l’installe un peu à l’écart dans un appartement situé dans Vannes. Son talent ne devait pas être gâché par les erreurs d’une jeunesse difficile : « J’ai entre 17 et 18 ans et pour la première fois j’ai commencé à vivre seul. J’ai appris à faire à manger et tout… » Quelques mois plus tard, après un passage par Lorient, Duckens est transféré à Roye-Noyon, en Picardie.
Mais comme tout le rattache à Poissy ou presque, il revient souvent à Beauregard. Et c’est lorsqu’il revient qui rencontre sa future femme, originaire de Saint-Germain-en-Laye, ville voisine de la sienne. « Je suis content parce que dans ce milieu-là, quand tu rencontres quelqu’un, tu te demandes si elle t’aime pour ce que tu as, mais là, je n’ai pas à me poser cette question, raconte-t-il. Quand je jouais à Roye-Noyon en inter-district (11e division, Ndlr), quand je rentrais chez moi je pleurais le soir. Elle est venue, elle était là pour moi. »
S’affirmant aujourd’hui beaucoup plus mature, il espère « aider les petits de la cité » qui le voient comme un modèle. Pour Duckens Nazon, les jeunes de Poissy, aujourd’hui, « n’ont plus autant la tête au foot qu’avant ». Qu’importe, lui veut « représenter Poissy au plus haut niveau ». Il affronte d’ailleurs, avec son maillot d’international haïtien, le 29 mai prochain à Buenos Aires, l’Argentine du quintuple Ballon d’or Lionel Messi.