Hôpital : interné à neuf ans, il se bat pour l’éviter à d’autres

En 1999, il a vécu le calvaire, enfermé en psychiatrie pendant 32 jours. Il a fait condamner l’hôpital, demande des excuses à l’institution, et surtout, veut s’assurer que cela ne puisse se reproduire.

Dans son édition du 16 mai, La Gazette rapportait la récente condamnation du Centre hospitalier intercommunal de Meulan – Les Mureaux (Chimm) par le Tribunal de grande instance (TGI) de Versailles. L’hôpital doit verser 14 000 euros de dommages-intérêts à un de ses anciens patients, interné en psychiaitrie à l’âge de neuf ans en 1999. L’hôpital n’a pas fait appel du jugement, et, sollicité à plusieurs reprises, n’a pas souhaité faire de commentaire.

Ce jugement est une première en France : ce type d’abus institutionnels sur un jeune mineur, aujourd’hui reconnu comme tel par la justice, n’avait jamais donné lieu à poursuite puis à condamnation définitive. L’adulte qu’il est devenu, un Yvelinois toujours mobilisé pour obtenir justice et éviter qu’un tel épisode ne puisse se reproduire, a souhaité témoigner.

« Je travaille dans un milieu sensible, je risque ma carrière », tant en demandant justice qu’en témoignant dans la presse, explique l’homme de 28 ans. Il a permis à La Gazette de consulter les documents officiels établissant la véracité de son témoignage, mais a préféré rester anonyme vis-à-vis des lecteurs. S’il est aujourd’hui remis, c’est au prix de longues années de thérapie.

L’histoire commence en 1997, par un placement en urgence de sa fratrie dans un foyer, décidée au tribunal pour trois mois dans le cadre d’un conflit des parents. Premier foyer, à Paris, sans souci particulier. Quelques mois plus tard, changement de foyer pour un établissement du Mantois. « Ce monsieur n’avait aucune considération pour les enfants, et faisait du mal à certains d’eux, dont moi », décrit-il du directeur de l’époque, aujourd’hui retraité.

« Un jour, ce monsieur m’a frappé dans son bureau, assure-t-il du déclencheur de son arrivée en psychiatrie. Se rendant compte de ce qu’il venait de faire, il m’a fait interner en usurpant l’autorité parentale. » Après un passage en urgence à l’hôpital de Mantes-la-Jolie, il est transféré, le 21 janvier 1999, dans le service psychiatrie du Chimm, et interné au site muriautin de Bécheville, en psychiatrie fermée, dans le pavillon Alsace alors pourtant réservé aux enfants âgés de 12 à 17 ans.

Lui n’en a que neuf. « J’ai passé 32 jours dans un pavillon pour adolescents sans expertise médicale, j’ai été gravement maltraité : frappé, maltraité par un patient, aveugle plusieurs heures à cause d’un traitement… évidemment, je n’en ai aucune preuve », sourit-il de l’air triste de celui qui sait aujourd’hui ce qu’il faut produire en justice pour obtenir condamnation. Dans sa procédure contre le Chimm, le tribunal n’a en effet accordé que 10 % des 140 000 euros de dommages-intérêts demandés.

A la direction du centre hospitalier de Meulan – Les Mureaux, avec qui il a cherché le dialogue sans succès, il a récemment adressé un courrier demandant, entre autres, des excuses.

L’hôpital a été condamné uniquement car il a mis, pour avaliser l’internement, neuf jours à obtenir la signature de son père (condamné pour abandon de famille à plusieurs reprises, Ndlr). « Ils avaient entre 15 et 17 ans, dont certains avec de graves problèmes de comportements sexuels, se souvient-il. Je me suis retrouvé abandonné au milieu de ces adolescents, et je n’avais aucun moyen de me protéger. »

Trente-deux jours après son entrée, il sort « sans explications ». Renvoyé avec son frère chez son père, les deux enfants obtiennent rapidement qu’un juge décide de les rendre à leur mère. « Je n’ai plus été placé, mais j’ai été obligé d’avoir un suivi puisqu’à la suite de ça, on m’a diagnostiqué un syndrôme de stress post-traumatique très important, rapporte-t-il. J’ai pu reprendre au fur et à mesure une vie à peu près normale. »

Devenu majeur, il se met en quête de vérité auprès des différentes institutions concernées, et réussit des études jusqu’au « bon boulot » qui lui permet depuis quelques années de financer de coûteuses procédures. De l’hôpital de Mantes-la-Jolie, il obtient ainsi un constat « de coups et traces sur le corps » lorsqu’il est hospitalisé en urgence, et se dit persuadé d’avoir « été drogué » dans le bureau du directeur du foyer incriminé.

« Ce dernier sera poursuivi très prochainement, promet-il. Il me fallait attendre la première décision définitive [de la justice] pour entamer la suite des choses. » Cette victime maintenant reconnue comme telle compte attaquer en appel l’Etat qui « a très clairement manqué aux obligations essentielles qu’il avait vis-à-vis de moi » (un premier jugement lui a été défavorable, Ndlr), comme l’employeur associatif du directeur du foyer qui « n’a pas vérifié le travail de son salarié ».

A la direction du centre hospitalier de Meulan – Les Mureaux, avec qui il a cherché le dialogue sans succès, il a récemment adressé un courrier pour « inciter à assumer vos responsabilités et vous enjoindre à faire évoluer vos pratiques », écrit-il en demandant des excuses. Conscient que « la loi a un peu mieux cadré l’hospitalisation des mineurs » depuis son calvaire, il interroge cependant : « Combien d’enfants se sont retrouvés dans cette situation au sein de vos structures ? »

Au-delà du besoin de réparation, pourquoi mener tant d’actions en justice pour faire avancer les choses ? « J’ai prévenu de nombreux députés et sénateurs sur ma situation, mais comme ça ne bouge pas vraiment, je veux faire le nécessaire pour que ça ne se reproduise plus. La psychiatrie est nécessaire, mais il faut que ce soit fait dans les règles, analyse-t-il. Je pense aussi que si les enfants étaient mieux protégés dans les foyers, on n’aurait pas ce souci. »

Il ne veut pas d’une récupération de la CCDH

La condamnation de l’hôpital de Meulan – Les Mureaux, dévoilée par le site internet spécialisé Hospimédia, a été largement relayée par la Commission des citoyens pour les droits de l’homme (CCDH), émanation de l’église de Scientologie. Premier concerné, le plaignant tient à indiquer qu’il « ne cautionne absolument pas leur action », estimant que ses membres « aiment bien récupérer les gens un peu fragiles », et ainsi porter le combat partagé avec sa maison-mère américaine contre la psychiatrie moderne dans son ensemble.