Et si les Achérois pouvaient acheter aux pieds de leur immeuble des fruits et légumes de saison à des prix attractifs, participer à un atelier contre le gaspillage alimentaire, et ensuite cueillir les produits qu’ils ont découverts ? Cela pourra peut-être se réaliser en 2021, avec la création d’une ferme urbaine le long de la D30, entre les jardins familiaux d’Achères, le quartier des Plantes d’Hennemont, et le magasin Leclerc en vis-à-vis.
Ce projet, intitulé Integr@terre, unique en vallée de Seine et initié en août 2017, a pour objectif de recréer un lieu de vie agricole sur ce terrain de sept hectares, mis à disposition gratuitement par la mairie. Doivent y être créés un jardin pédagogique, un atelier de sensibilisation pour les enfants et les adultes, un espace de restauration, des cours de cuisine, mais aussi des cours de jardinage. Au total, une centaine de personnes pourront être accueillies sur le site en même temps.
Derrière cette idée de ferme urbaine, deux femmes : Ria Ehrlich et Alice Bauchet, deux bénévoles de l’association Ensemble, un lieu pour des liens solidaires à Achères (Ellsa), créée en 2010. Devant une soixantaine de personnes, lors de la réunion publique de présentation du projet, dans une salle de la mairie d’Achères le 3 juillet dernier, Alice Bauchet le définissait ainsi : « D’abord on trie, on collecte, ensuite on répare, on embellit, on fait pousser, et enfin on cuisine, on transforme, et on consomme autrement ».
Le public pouvait également participer à des ateliers pour partager le maximum d’idées autour du projet. L’objectif est ainsi de « réinventer les usages, réinventer la ville », estime cette ingénieure de 43 ans, directrice projet à Yvelines active, une branche locale de France active, association qui finance les entreprises solidaires par des fonds territoriaux. Le coût total de ce projet ambitieux est en effet estimé à pas moins de trois millions d’euros, avec cinq à dix créations d’emplois à la clé.
Un investissement conséquent qui laisse sceptique Fabien Frémin, le co-gérant de la Ferme de la Haye aux Mureaux, l’une des 293 fermes biologiques de l’Ile-de-France, située à quelques centaines de mètres des maisons des Mureaux. Son exploitation maraîchère de 43 hectares fait pousser une cinquantaine d’espèces en 200 à 300 variétés différentes. « Trois millions d’euros pour sept hectares d’exploitation, ça me scie, souffle-t-il. Avec autant d’argent, on pourrait exploiter 200 hectares ! »
« Nous, sur l’exploitation, on est à 800 000 euros d’investissement en dix ans, et on est une dizaine à travailler », poursuit-il. L’année dernière, l’agriculteur revendique pour son exploitation un chiffre d’affaire de 600 000 euros, qui a « presque doublé » en un an, car il a embauché du personnel et trouvé un associé. Auparavant uniquement présente sur les marchés, l’exploitation a ouvert sa boutique de fruits et légumes bio, le samedi 16 juin, sur son terrain au bout de la rue de la Haye.
« L’expression ferme urbaine est à la mode, c’est plutôt une exploitation périurbaine comme nous. Souvent, les villes se donnent bonne conscience en offrant des terrains agricoles après avoir construit des bâtiments sur des terrains agricoles, analyse-t-il du concept. Mais je ne pense pas que le projet d’Achères soit viable économiquement. Il y a une vraie complexité logistique en ville qu’il n’y a pas en campagne. Trois millions d’euros sur sept hectares, vous vous rendez compte ? »
« On est sur un projet plus global que la ferme de la Haye qui est une ferme assez classique, se défend Alice Bauchet. Le projet que nous portons est au delà du projet de ferme urbaine. Nous sommes sur un projet de lieu de vie avec un espace restaurant, un espace atelier et un aspect pédagogique. Le plus cher, ce sont les bâtiments qui vont coûter environ 1,8 million d’euros. »
Elle ajoute : « On est vraiment sur un lieu qui est au cœur de la ville, avec une participation des habitants. » Autre différence majeure selon elle, le volonté de faire une exploitation auto-suffisante : « Dans le projet, il y a une grande part qui va être sur la récupération des déchets, c’est-à-dire qu’avec ce que l’on a dans les poubelles, on va pouvoir remettre des terrains en place ».
Les parcelles mises à disposition par la mairie sont en effet situées sur une ancienne carrière de sable remblayée : il y est très difficile de faire pousser quoi ce soit. De quoi pousser les porteurs du projet à envisager une exploitation en permaculture, méthode agricole systémique durable inspirée du fonctionnement naturel des écosystèmes et des anciennes traditions d’exploitation de la terre.
« Ce sont des terrains qui sont normalement impropres au maraîchage, explique Alice Bauchet. L’idée est d’avoir un impact environnemental positif en utilisant la matière organique des poubelles pour transformer ce terrain et en faire un nouveau lieu de vie. Cela va permettre de réduire le nombre de camions-poubelles, de recréer de la biodiversité, de recréer du sol, de capter du CO2… ».
Cette absence de sol naturellement fertile ne permettra cependant pas à cette ferme de vendre des produits avec le label « agriculture biologique », inaccessible pour la culture sur ces remblais. Cette subtilité n’entame pas l’enthousiasme d’Alice Bauchet : « On ne peut pas rentrer dans les cases de l’agriculture biologique mais en fait, ce qu’on va faire, c’est de l’agriculture biologique, puisqu’on n’utilise pas de produits chimiques ou issus de l’agrochimie ».
C’est aussi l’une des différences avec la ferme de la Haye aux Mureaux, qui attire près d’une centaine de clients par semaine dont Carolina, une Muriautine habitant route de Verneuil. « Je viens dans cette boutique pour soutenir l’agriculture locale et aussi parce que c’est une question de santé, je n’ai pas envie de manger du glyphosate à tous les repas, détaille-t-elle. Ca fait cinq ans que je mange du bio et je suis moins malade ! C’est vrai que mon budget alimentation a doublé depuis que je mange du bio, mais je sais que mon argent va au producteur local ».
Pour les mêmes raisons que Carolina, plusieurs Achérois se sont rendus à la réunion publique de présentation du projet mardi 3 juillet, d’abord attirés par la volonté de mieux manger. « Je suis venu parce que j’habite à côté des jardins de l’association Ellsa, estime l’un d’eux. Il y avait un terrain vague avant, mais maintenant, il y a des légumes , des fruits et plein de bonnes choses. Je trouve ça vraiment bien. »
Au-delà de la consommation, le projet Integr@terre souhaite également créer un espace pour développer du lien social. Basée uniquement à Achères, l’association Ellsa œuvre « pour restaurer le lien social en prônant un retour à l’autonomie de familles en difficultés par le biais de l’alimentation », précise son site internet. Elle tient ainsi une épicerie solidaire, un espace pédagogique pour les ateliers, une Amap (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne, Ndlr), des jardins solidaires en permaculture, un système d’échange local et un restaurant associatif.
Plusieurs des participants à la réunion publique étaient bénéficiaires de cette association, qui propose dans son épicerie solidaire des produits invendus des grandes surface à 20 % des prix du marché. « C’est un projet qui m’intéresse car c’est en face des tours d’Hennemont, là où j’habite », indique Corinne, 52 ans.
« Je suis une bénéficiaire de l’épicerie solidaire d’Ellsa, et les jardins partagés apportent beaucoup de choses même si je n’ai pas encore de jardin. Ca va être une première expérience pour moi », poursuit-elle. « Il y a de nombreuses problématiques sociales et environnementales, car on ne mange pas bien, constate de son côté Alice Bauchet. L’alimentation est un vrai marqueur social, c’est la raison pour laquelle on a la volonté d’ouvrir cette ferme urbaine au plus grand nombre. »
Parmi les partenaires d’Integr@terre figure la communauté urbaine Grand Paris Seine et Oise (GPSEO), ainsi que BGE Yvelines, France active et la mairie d’Achères. « La Ville aime bien ce projet car il crée de l’activité sur le territoire, et l’aspect de créer du lien social leur a plu, souligne Alice Bauchet. Cette ferme fait également venir du monde. C’est un endroit où l’on peut faire sa cueillette. »
Pour le moment, des trois millions d’euros nécessaires, seuls
50 000 euros ont été levés. « Ce n’est pas énorme mais déjà beaucoup pour nous, estime la directrice du projet. Le bâti, qui coûte le plus cher, est prévu pour 2021. Nous avons pour le moment levé uniquement les fonds prévus pour les travaux de 2018, qui sont la végèterie (plateforme d’apport de matière organiques, Ndlr), le forage pour avoir accès à une mare, des plantations d’arbres, et un petit bâtiment provisoire pour stocker du matériel. »