Hôtellerie-restauration : métiers en croissance mais secteur en tension

A Chanteloup-les-Vignes et à Mantes-la-Ville, deux établissements proposent des formations dans l’hôtellerie et la restauration. Un domaine d’activité qui peine pourtant à recruter de la main-d’œuvre qualifiée.

Vendredi 9 novembre, les 27 stagiaires de Prom’hôte-ifitel à Chanteloup-les-Vignes poursuivent leur découverte des plaisirs culinaires. Ce jour-là, les apprentis cuisiniers et serveurs sont mis en conditions réelles de service au sein du restaurant d’application les Papilles, avec une clientèle à satisfaire. Depuis la mi-octobre, ils ont intégré la première promotion du nouveau centre de formation en hôtellerie et restauration qui a pris ses quartiers place des Arcades, en plein coeur de la cité de la Noé, classée Zone urbaine sensible (ZUS). Certains d’entre eux sont en reconversion professionnelle, d’autres à la recherche d’une formation pour parfaire leurs connaissances.

À une trentaine de kilomètres de là, dans un des bâtiments du lycée des métiers de l’hôtellerie-restauration Camille Claudel de Mantes-la-Ville, l’atmosphère qui règne au sein du restaurant d’initiation la Promesse est quasi identique en cette fin de matinée du mardi 15 janvier : les élèves en CAP et Bac pro sont eux aussi aux fourneaux. À ceci près que les toques en toile blanche portées par les élèves du lycée mantevillois laissent deviner des visages bien plus juvéniles.

Si à Chanteloup-les-Vignes, la formation proposée depuis octobre dernier s’inscrit avant tout comme une école de la deuxième chance, le lycée Camille Claudel accueille chaque jour dans ses murs un public scolaire. Il n’en reste pas moins que ces deux établissements sont tournés vers un objectif commun : celui de former une main-d’œuvre qualifiée pour un secteur en tension depuis de nombreuses années, mais aux conditions de travail réputées compliquées.

« C’est un métier difficile avec des horaires où l’on finit tard le soir, ou alors pour lequel on commence tôt le matin, fait savoir Patrick Rivoal, directeur de l’antenne de Pôle emploi de Mantes-la-Jolie. Et puis, le personnel de ces métiers rencontre parfois des problèmes de mobilité, notamment pour accéder à certains endroits en transport, en raison des horaires décalés. En termes d’image, cela n’attire pas beaucoup, alors qu’il y a pourtant de belles carrières à réaliser. »

Le proviseur du lycée Camille Claudel, Laurent Bonsergent, livre une analyse similaire du marché du travail : « C’est un secteur très dévoreur en heures, avec une rémunération qui n’est pas correspondante, ce qui en décourage certains, souligne le chef d’établissement, qui compte dans ses effectifs plus de deux cents élèves dont 100 en CAP et 110 en Bac pro dans les différentes filières proposées à savoir la pâtisserie, la restauration et la cuisine. Quand vous faites dix ou 12 h dans la journée et que vous êtes payés huit heures au Smic, cela pose problème. »

Le lycée des métiers Camille Claudel à Mantes-la-Ville compte dans ses effectifs 200 élèves en CAP et Bac Pro dans les différentes filières : pâtisserie, restauration et cuisine.

En avril dernier, l’enquête sur les besoins en main-d’œuvre, publiée par Pôle emploi et le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), faisait état de plus de 286 000 projets de recrutement dans l’hôtellerie-restauration en 2018. À l’heure actuelle, malgré une offre d’emplois pléthorique, de nombreux postes ne trouvent pas preneurs. « Selon les chiffres du mois de septembre, il y avait plus de 3 000 emplois à pourvoir en Ile-de-France », indiquait en novembre Younes Barech, responsable du site Prom’hôte-ifitel de Chanteloup-les-Vignes.

Face à ce constat, les responsables politiques locaux tentent d’apporter des solutions par la formation. A Chanteloup-les-Vignes, le projet est né de la volonté commune de la mairie et du conseil départemental à travers son agence d’insertion Activit’Y. L’objectif était de relancer sur place une activité dans ce secteur, suite à la fermeture, à la fin de l’année 2017, du Centre de promotion pour la formation (CPF), confronté à d’importants problèmes financiers.

Lors de son discours inaugural de Prom’hôte-ifitel le mardi 27 novembre, Catherine Arenou (DVD), maire de Chanteloup-les-Vignes et vice-présidente du Département déléguée à l’insertion, n’y va pas par quatre chemins. « Pour nous (la Ville et le Département, Ndlr), le sujet est de former pour faciliter l’accès à l’emploi, mais aussi de répondre au besoin de main-d’œuvre, qui est bien réel dans l’hôtellerie et de la restauration », affirme celle qui est aussi vice-présidente de l’agence Activit’Y.

Depuis deux ans, le bras armé du Département en matière d’insertion concentre ses dispositifs dans les communes du Nord des Yvelines, de loin les plus touchées par la précarité professionnelle. Selon Catherine Arenou, les perspectives d’embauche seraient ainsi nombreuses. « Même s’il ne suffit pas de traverser la route pour trouver du travail dans ces métiers, il est incontestable que les opportunités sont là, assure l’élue. Si l’on regarde les chiffres, en Ile-de-France, le nombre d’emplois et les projets d’embauche [dans ce secteur] augmentent de 25 % par an avec une majorité de CDI, notamment pour les moins de 30 ans. »

Pour combler ce manque de main-d’œuvre, l’offre de formation chantelouvaise, qui dure trois mois, « s’adresse en priorité aux publics les plus éloignés du marché du travail », fait savoir Activit’y. Sont ciblés les jeunes de moins de 25 ans, bénéficiaires du RSA, les demandeurs d’emploi de longue durée ou en reconversion professionnelle. « On a été sollicités par le Département qui était en lien avec Prom’hôte-ifitel, confirme Benito Ruiz, le directeur de l’antenne Pôle emploi de Conflans-Sainte-Honorine. On a fait le plein lors des deux sessions de recrutement. »

« On a privilégié les gens du coin, 90 % de nos stagiaires proviennent de la vallée de Seine et 10 % du Val d’Oise », détaille le responsable du site de formation de Chanteloup-les-Vignes,Younes Barech. « Notre formation s’adresse aux habitants de la commune et notamment à ceux issus des quartiers populaires. Il ne sont pas prioritaires, mais ils sont les bienvenus », explique Virginie Viger la directrice de cette association qui compte sept établissements de ce type en France.

Le centre de formation Prom’hôte-ifitel a pris ses quartiers depuis la mi-octobre en plein cœur de la cité de La Noé, à Chanteloup-les-Vignes.

Mais il s’avère difficile de savoir si les habitants de la cité de la Noé ont répondu à l’appel du pied de l’école hôtelière située au pied de leurs immeubles. Selon Younes Barech, « deux ou trois Chantelouvais ont intégré la promotion. » Car les Chantelouvais les plus éloignés de l’emploi sont bien directement visés par l’établissement : « Si on s’est implanté ici, ce n’est pas pour aller chercher des personnes extérieures », assure ainsi la responsable de Prom’hôte-ifitel.

Au sein du lycée des métiers Camille Claudel, le dispositif de recrutement est tout autre, puisque la formation s’adresse « à des élèves issus de 3e qui se dirigent vers un CAP ou Bac Pro », explique le proviseur Laurent Bonsergent. « On a des élèves qui proviennent de tout le secteur du bassin de Mantes et des Mureaux et même plus large car on recrute sur huit départements, poursuit le chef d’établissement. C’est une formation assez rare, donc les gens peuvent venir d’un peu partout. On a tous types de population, de tous milieux sociaux confondus. »

Parmi les stagiaires de Prom’hôte-ifitel, Nassima Hocquemiller a intégré la formation mi-octobre, en tant que commis de cuisine, par l’intermédiaire du Pôle emploi de Cergy-Pontoise. « J’ai été serveuse pendant dix ans dans une brasserie près de la Gare de Lyon, confie cette habitante de Herblay (Val d’Oise). J’en avais marre de ce métier, je ne voulais plus faire de grosses heures, poursuit l’apprentie âgée de 43 ans. Je préfère être en cuisine à seconder le chef et à maîtriser les techniques. »

La formation est pour elle l’opportunité de rebondir après quelques expériences ratées. « J’ai été sans activité pendant un moment, j’avais pour projet de faire de la cuisine à domicile mais j’ai laissé tomber car question logistique, c’était compliqué », se souvient-elle. Au terme du cursus, elle devrait décrocher un certificat de qualification professionnelle. « Cette formation me remotive, elle est assez riche, à la fois théorique avec des cours pendant la semaine et pratique avec le restaurant d’application », confie Nassima.

Les motivations des élèves en CAP et Bac pro du lycée Camille Claudel sont différentes, car les émissions de télé-réalité consacrées à la cuisine sont dans les esprits de la majorité des lycéens. « La télé leur met des étincelles dans les yeux, ils imaginent tout de suite qu’ils vont devenir des stars, sourit Dominique Dos Santos, directeur délégué aux formations de l’établissement mantevillois. La gastronomie, ils ne la connaissent que par écrans interposés, mais ils n’ont pas la culture du restaurant, d’ailleurs quand ils arrivent ici, ils sont déçus pour certains. »

Mais le monde du travail peut être aussi source de bien des désillusions pour eux une fois qu’ils sortent du lycée. « Les élèves qui viennent chez nous le font par choix, mais la réalité du terrain est complexe, avance Laurent Bonsergent. Il n’y a pas beaucoup de jeunes qui abandonnent en cours de formation, mais ensuite, on les perd un peu en route. La durée moyenne d’un employé dans l’hôtellerie-restauration est de sept ans, et après, il change de boulot. »

PHOTOS : LA GAZETTE EN YVELINES