Des écrivains face à la diversité des lycéens

Dans le cadre de « leçons de littérature » proposées par la Région dans les lycées, des écrivains vont à la rencontre d’élèves de toutes filières et y présentent leur passion de l’écriture.

La tension est à son comble au lycée Louise Weiss d’Achères en ce vendredi 15 février. Le RER qui doit amener son invitée rencontre quelques complications, cette dernière doit prendre un taxi pour ne pas arriver avec trop de retard. Un certain stress se ressent chez les organisateurs, qui veulent que tout se passe au mieux. Les élèves se concertent sur leurs questions. La grande salle de conférence est prête, une centaine de chaises sont disposées face au pupitre de la professeure du jour, tant attendue, qui arrive finalement vers 10 h 45.

Il s’agit de Cloé Korman, écrivaine française qui se rend à Achères dans le cadre de « leçons de littérature », initiative mise en place en 2018 par la Région Île-de-France. Ces interventions visent à offrir aux élèves une transmission des enjeux de la littérature dans leurs relations avec le monde contemporain. En 2019, leur nombre a triplé par rapport à la première édition. Une trentaine d’auteurs partage cette année avec 11 000 lycéens et 100 lycées de la région leur rapport à l’écriture, leur source d’inspiration, leurs lectures et leurs réflexions.

D’abord sous forme de conférence originale suivant la volonté de l’écrivain, la rencontre se poursuit par un moment d’échange avec des questions des élèves. L’une des spécificités de ces conférences d’écrivains réside dans l’égalité d’accès qu’elle permet aux élèves franciliens : elles ne sont en effet pas uniquement destinées aux lycéens des filières littéraires.

À Mantes-la-Jolie, au lycée public Saint-Exupéry, 150 élèves ont assisté à la venue de Sylvain Prudhomme, le 10 janvier dernier. La majeure partie d’entre eux faisait partie de filières technologiques, avec deux classes de 1ères Sciences et technologies du management et de la gestion (STMG) et une classe de 1ères Sciences et technologies de la santé et du social (ST2S) pour accompagner les deux classes de secondes.

Comme à Achères, les petits plats avaient été mis dans les grands pour accueillir l’auteur. Sylvain Prudhomme a pu donner sa leçon de littérature dans l’amphithéâtre du lycée. L’auteur du livre Les grands, révélation française de l’année 2014, a pu partager son attachement très fort au réel et à la vraie vie, qu’il tente de retranscrire dans ses romans. Durant sa conférence, il a également lu des extraits de romans qui lui tiennent à cœur, notamment grâce à la puissance des passages de description.

« Avant d’écrire un roman, je crée une fiction et j’essaye de m’inspirer des histoires de chacun, des hasards de la vie, de ses rebondissements et des choses qui me sont arrivées à moi ou à d’autres et que n’importe qui pourrait vivre », dira Sylvain Prudhomme lors de sa conférence. Face à une assistance initialement quelque peu turbulente, l’écrivain a su trouver les mots pour intéresser les jeunes étudiants qu’il avait face à lui.

Au moment de l’échange, les questions se portent essentiellement sur des aspects concrets de son métier d’écrivain. La première question plante le décor. « Est-ce que vous êtes connu ? » Sylvain Prudhomme répond en toute transparence. « Tout est relatif, je ne sais pas ce que c’est être connu. Il n’y a pas beaucoup d’écrivains que l’on reconnaît dans la rue, fait-il remarquer aux lycéens. Ce n’est pas comme le football, ça n’a pas la même médiatisation. Ce qui est important, c’est juste d’avoir des lecteurs et que ça intéresse les gens. »

Une autre question porte sur ses revenus. « Est-ce que c’est votre métier et est-ce que vous arrivez à en vivre ? » Une nouvelle fois, l’écrivain joue cartes sur table. « C’est mon métier, je ne fais que ça et j’en vis correctement. Il faut que vous sachiez qu’il n’y a pas que les ventes de livres, détaille-t-il. Il y a par exemple des lectures dans des festivals, je fais parfois des conférences, des ateliers d’écriture. J’ai également une chronique dans un quotidien. Aujourd’hui, je ne fais que des activités qui sont liées à l’écriture. »

Au lycée Louise Weiss d’Achères, le public n’est pas le même : les classes concernées sont issues de filières générales, et surtout littéraires, pour écouter Cloé Korman. Contrairement à Sylvain Prudhomme, l’écrivaine, primée pour son premier roman Les hommes-couleurs, a davantage évoqué les aspects propres à ce qui la motive dans son écriture de fictions.

Les questions ont cette fois-ci porté sur des thèmes chers aux élèves de filière littéraires. L’un d’entre eux lui demande ce qui lui plait le plus dans le fait d’écrire des fictions. « C’est un sentiment de liberté, j’ai l’idée que ce n’est pas parce que je suis une certaine personne à une certaine époque dans un certain endroit que je ne peux pas raconter une certaine histoire, indique Cloé Korman. J’ai le droit de raconter des choses que je n’ai pas connu directement, sur lesquelles je suis obligée d’enquêter, ou que je peux inventer de toutes pièces. »

À Mantes-la-Jolie comme à Achères, les élèves sortent avec le sourire pour certains, avec la satisfaction d’avoir rencontré « quelqu’un de connu » pour d’autres. « C’est important pour nous de montrer des écrivains qui sont toujours en vie à nos élèves. Et on a de la chance car Cloé Korman est jeune (35 ans, Ndlr). Ça peut faire changer leur opinion sur le métier d’écrivain et qu’il n’y a pas que ceux dont on étudie les textes en classes », conclut la documentaliste du lycée Louise Weiss.

« Rencontrer un auteur en chair et en os, se laisser porter par ses mots, son imaginaire, ses sources d’inspiration, c’est une expérience riche de création, d’échanges et d’écoute. Quelle chance pour l’auteur comme pour les jeunes de pouvoir converser sur l’écriture, le métier d’écrivain, les grands auteurs », valorise Agnès Evren (LR), vice-présidente de la Région Île-de-France, à l’initiative de cette démarche culturelle. Toutes les classes et toutes les filières ont la possibilité d’y assister. Suite à un appel à candidature, 100 lycées ont été retenus parmi les 124 dossiers reçus.

Il revient ensuite à l’établissement de choisir les classes mobilisées pour la leçon. « Comme dans ses autres actions en direction des lycées, la Région veille à une égalité d’accès entre les différentes filières de formations, l’enjeu étant de permettre à tous les jeunes franciliens de rencontrer cette offre culturelle. En l’occurrence, sur les 100 lycées, toutes les filières, générales, professionnelles, technologiques, se trouvaient représentées », tient à préciser la vice-présidente de la Région.