Mur de la prison effondré : un scénario annoncé

Prévenue depuis 2017, l’administration pénitentiaire avait choisi de reporter l’exécution du chantier faute de budget. Le mur de la rue des Ursulines a finalement cédé lors de ces travaux, dans l’après-midi du jeudi 28 mars.

La prédiction de l’expert, rendue dès septembre 2017, était d’une étonnante exactitude : « L’effondrement est inévitable si aucune action n’est entreprise. La zone impactée en cas d’effondrement serait de l’ordre de 30 m en ce qui concerne les éboulements côté chemin de ronde avec de fait une large ouverture côté voie publique. Le risque de dommage côté domaine public est limité, un balisage pourrait néanmoins être mis en œuvre pour éviter tous risques pour le public. »

Ce scénario, décrit par le cabinet Epsylon architecture dans un rapport commandé par la direction inter-régionale des services pénitentiaires de Paris (DISPP), s’est finalement réalisé ce jeudi 28 mars, en début d’après-midi. Il est environ 13 h 30 lorsque le mur d’enceinte extérieur de la maison centrale de Poissy, côté rue des Ursulines, s’effondre sur une trentaine de mètres, laissant apparaître un trou. Aucune victime n’a été à déplorer.

Prévenue depuis la réalisation de ce diagnostic de septembre 2017, invitant en rouge l’administration à « des solutions de reprises et de stabilisation […] sans attendre », la DISPP n’avait pu engager les travaux qu’en ce début d’année 2019 pour des raisons budgétaires. Selon 20 Minutes, ces travaux auraient en effet dû commencer un an plus tôt, mais les remarques de l’architecte des Bâtiments de France auraient doublé le montant des travaux.

L’état de délabrement et la vétusté du bâtiment, ancien couvent de religieuses transformé en maison centrale en 1821, était pointé du doigt par les syndicats comme par le maire Karl Olive (LR).

« Le surcoût induit ne pouvant être financé en 2018, mes services ont donc été contraints de retirer la demande préalable de travaux et de reporter cette opération sur l’exercice budgétaire 2019 », détaille le quotidien, citant une lettre envoyée par le directeur de la DISPP à Karl Olive (LR), le maire pisciacais.

L’état de délabrement et la vétusté du bâtiment, ancien couvent de religieuses transformé en maison centrale en 1821, était régulièrement pointé par les syndicats comme par l’édile qui demandait son déménagement. En décembre dernier, la DISPP annonçait à La Gazette que des travaux de réfection d’un montant de « 330 000 euros » sur le mur des Ursulines allaient avoir lieu.

Ironie du sort, ce sont ces travaux, dont la fin était prévue « le vendredi 29 mars », indique le magazine municipal de Poissy, que le mur n’a pas supporté. Selon les premiers éléments récoltés pour déterminer la cause de cet effondrement, le mur se serait écroulé après une injection de béton. Des experts devaient se rendre sur place ce lundi 1er avril afin d’examiner les pans restants du mur d’enceinte, et les possibles risques d’effondrement de ces derniers.

L’établissement est une maison centrale, elle accueille environ 230 détenus condamnés à de très longues peines, à l’instar du terroriste Carlos. L’administration pénitentiaire assure que la vie des détenus ne sera pas perturbée et les promenades maintenues. La section locale de la CGT a d’ores et déjà demandé le transfert des détenus particulièrement surveillés : « Une prison sans murs ce n’est plus une prison », argue un représentant du syndicat.

Si la vétusté de l’ensemble de l’enceinte extérieure de la prison est admise (une seconde enceinte en béton ceinture l’intérieur du chemin de ronde, Ndlr), « seul le mur des Ursulines » présentait « un risque réel de ruine », selon le rapport réalisé par Epsylon architecture. « Le « voilement » du mur dans son plan, laissant apparaître un déversement de celui-ci vers l’intérieur du chemin de ronde pouvant atteindre localement 50 cm », poursuit son expertise.

« La charge verticale apportée par le poids du mur est sortie du plan vertical de son alignement d’origine, précise l’architecte sollicité par l’administration. Cela a pour effet de générer des efforts de traction et de cisaillement côté rue dans les joints et la maçonnerie entraînant un cisaillement du mur et le glissement horizontal des pierres. Il apparaît que le phénomène est à ce jour bien engagé. » Si les architectes indiquaient alors ne pas pouvoir déterminer le moment « où le mur va céder », leur propos reflétait cependant une inquiétude peu dissimulée : « Nous avons vu que les joints présentaient une ouverture aux abords du point de basculement, cela n’est pas rassurant. »

Un deuxième diagnostic, rendu en juillet 2018 par les cabinets KCA architecture et Buca structures, pose le même constat. « Il ressort que l’ensemble de l’ouvrage (entre mirador et 1èr angle du mur) est concerné. En effet, le parement côté voie publique est traité avec un enduit de type chaux/ciment et montre clairement les fissurations verticales affectant le mur, est-il expliqué. Le parement intérieur en maçonnerie de moellons ne faisant apparaître qu’en deux endroits principalement ces fissures verticales. Ces fissurations verticales relevées côté rue sont au nombre de six. »

Le cabinet tente alors de comprendre les causes de cette fragilisation du mur, sans pouvoir définir de causes « uniques ». Sont ainsi évoqués « l’élancement (rapport entre l’épaisseur et la hauteur du mur, Ndlr) » considéré comme « trop important », mais aussi le rôle de « soutènement » occupé par le mur d’enceinte et le « ravinement » constaté lors de fuite du réseau d’assainissement ayant pu « affaiblir sur le long terme l’assise du mur ».

Enfin, le rapport pointe « des manquements à l’entretien » sur cette portion de mur. « Les mesures de balisage et de fermeture du chemin de ronde dans cette portion sont à prévoir par l’utilisation », conclut le rapport. Ce jeudi après-midi, beaucoup de Pisciacais, curieux, contemplent le trou créé par l’effondrement.

Si les architectes d’Epsylon architecture indiquaient alors ne pas pouvoir déterminer le moment « où le mur va céder », leur propos reflétait cependant une inquiétude peu dissimulée.

S’ils ne ressentent pas forcément d’inquiétude, beaucoup ne sont pas surpris de cette situation. «  Je me suis mis à la fenêtre et j’ai vu le mur par terre, souligne un retraité pisciacais. Pourquoi on aurait peur ? Des prisonniers ? Il faudrait déjà qu’ils escaladent le premier mur. » Alain Richefeu, secrétaire local FO Pénitentiaire, se montre rassurant. « Il n’y a pas de risque d’évasion », assure-t-il en espérant qu’avec cet éboulement, « la direction inter-régionale verra qu’il faut investir ».

Une autre retraitée s’inquiète de la situation rue des Prêcheurs : « Tout le mur est en mauvais état, regardez ! Ils ont mis des filets pour empêcher que les pierres tombent. » Fin novembre, la municipalité avait pris un arrêté pour interdire le stationnement aux abords du mur, qui présente boursouflures et fissures engendrant des chutes de pierre. Des filets ont été posés, et en fin d’année dernière, une opération de purge des enduits sur la partie basse du mur a été réalisée.

Des Equipes régionales d’intervention et de sécurité (Eris) ont été appelées en renfort afin d’opérer une surveillance continue de l’établissement pénitentiaire. D’abord fermée à tous les types de circulation, la rue des Ursulines a finalement été réouverte aux piétons ce vendredi 29 mars et devrait être rouverte dans les deux sens pour les voitures ce mardi 2 avril. Des travaux de sécurisation seront menés jusqu’à la fin de l’année, et « un cloisonnement provisoire » sera très prochainement mis en place, assure la DISPP.

Une situation venant engorger un peu plus le centre-ville de Poissy durant les heures de pointes. « Tout doit être mis en œuvre pour que la voie soit rouverte au plus vite », détaille dans un communiqué de presse Karl Olive. Il suggère également à la ministre de la Justice Nicole Belloubet (LREM) à se rendre sur place : « Je l’invite à venir constater sur place l’état de délabrement de notre maison centrale. Et surtout, que soient rapidement trouvées des solutions pour que nos administrés retrouvent leur quiétude. »

Au-delà des seules conditions de circulation, cet effondrement agace en effet clairement le premier magistrat pisciacais. « Je suis vraiment très en colère parce que depuis deux ou trois ans maintenant, j’alerte systématiquement sur la vétusté de l’établissement […], indique Karl Olive ce jeudi 28 mars. En mai 2018, j’ai fait un courrier en expliquant exactement ce qui allait se passer. Il s’est donc passé ce que j’écrivais il y a un an. »

Dans cette missive de huit pages, l’élu indiquait, évoquant le mur des Ursulines : « Ce désordre présente un caractère assez sérieux, dans la mesure où un effondrement, même partiel, de ce mur constituerait une fragilisation substantielle de la sûreté pénitentiaire et conduirait – le temps des travaux de reconstruction – à la mise en place d’un dispositif lourd de sécurité active périmétrique. »

Il avait alors été présenté au premier ministre Edouard Philippe, selon l’édile. Karl Olive s’appuyait alors sur ces éléments de vétusté, comme d’un avis défavorable de la sous-commission de sécurité émis en 2014, pour demander le déménagement de la prison. Cela ne semblait cependant alors pas à l’ordre du jour, pas plus qu’en fin d’année, lorsque l’administration répondait par une fin de non-recevoir au sein d’un article publié dans La Gazette.

Crédits photo 2 : EPSYLONARCHITECTURE