Attendue, la décision a été publiée au Journal officiel. Le 4 juin dernier, les ministres de l’économie Bruno Le Maire, et de la transition énergétique et solidaire, François de Rugy, ont signé un arrêté « accordant un permis exclusif de carrière de calcaire cimentier […] au profit de la société par actions simplifiée Calcia » pour une durée de dix ans. Le second arrêté, concernant l’autorisation environnementale, n’a toutefois pas encore été publié, tandis que l’autorisation préfectorale est tombée jeudi 20 juin.
La signature de cet arrêté autorise donc l’entreprise Calcia, qui exploite depuis 1921 une cimenterie à Gargenville, et depuis quelques décennies la carrière de Guitrancourt, à exploiter une carrière cimentière sur une centaine d’hectares au sein de la commune de Brueil-en-Vexin, projet évoqué depuis 1994. Chez les opposants, qui manifestent encore leur opposition au projet (voir notre édition du 12 juin), « on ne baissera pas les bras », souligne Dominique Pélegrin, présidente de l’association AVL3C des actions à venir, notamment au niveau juridique.
Parmi les trois parlementaires de la vallée de Seine, les avis sont plutôt mitigés, même si la décision de l’État n’est pas une surprise. Si pour le député de la 8e circonscription, Michel Vialay (LR), cette décision est « scandaleuse » au vu des arguments déployés par l’association et les réserves émises lors de l’enquête publique, son homologue de la 9e circonscription, Bruno Millienne (Modem), affirme « sans rougir [que Calcia a] fait le maximum de ce qu’ils pouvaient faire pour rehausser les normes environnementales requises ». Concernant la question économique, Michèle de Vaucouleurs (Modem), députée de la 7e circonscription, se montre plus mesurée (voir encadré).
De la décision de l’État, Bruno Millienne la justifie en évoquant le classement de la future carrière en tant que Projet d’intérêt général. « Si jamais l’État se désengage, le porteur de projet attaque en justice, et dans 99,9 % des cas il gagne, précise le parlementaire. […] Pour autant, maintenant que l’État a respecté ses engagements vis-à-vis du porteur de projet, l’État ne sera pas responsable de ce qu’il se passe ensuite. » Une manière d’encourager l’AVL3C et les nombreux maires opposés au projet à continuer leur mobilisation ?
Après avoir bloqué les commissaires-enquêteurs dans le cadre de l’enquête publique sur le Plan local d’urbanisme intercommunal à Sailly, Juziers et Brueil-en-Vexin, la journée du jeudi 27 juin promet d’être animée. Dans la matinée, une délégation d’une quarantaine de maires yvelinois comme valdoisiens et de différents parlementaires, emmenée par l’édile brueillois Bruno Caffin (SE), se rendra devant le ministère de la transition écologique et solidaire. « Dans cette affaire, les élus ont été méprisés, ils n’ont pas plus été écoutés que les habitants, fait remarquer l’édile. On va aller exprimer notre déception, notre colère, rappeler qu’on existe. »
Dans l’après-midi, c’est sur le parking de la salle des fêtes gargenvilloise que se tiendra une manifestation organisée par l’association, à l’entrée de la séance du conseil communautaire dont une majorité d’élus avait voté négativement à l’avis consultatif de l’intercommunalité. « On veut remercier les élus qui nous ont soutenu, leur dire de ne pas baisser les bras, qu’ils demandent à l’exécutif de faire quelque chose », détaille sa présidente. Elle pointe cependant « des jeux politiques » au sein du conseil communautaire : « Nous demandons des positions claires. »
Également vice-président au sein du Parc naturel régional (PNR) du Vexin français, Bruno Caffin précise : « La Charte n’interdisait pas un projet de carrière […] Mais il devait imposer une méthode de réalisation exemplaire. En termes de concertation, cela a été une catastrophe. »
Si l’arrêté valide l’exploitation, « je ne pense pas que Calcia osera passer outre les recours », toujours pendants devant les tribunaux et non-suspensifs, espère Bruno Caffin. « On y passera le temps qu’il faudra, on va en rajouter une couche », poursuit-il. « Ça ne va pas commencer demain, estime de son côté Dominique Pélegrin du lancement des travaux. Il y a un an et demi, deux ans minimum de délai. »
« On ne considère pas avoir perdu, les réserves ne sont pas levées, indique-t-elle. On sait qu’on a raison de penser qu’il faut abandonner le projet, avec toutes les failles qu’il y a. » Des arguments qui sont aussi ceux de Michel Vialay, député de la 8e circonscription. « On a des risques pour la santé d’un bassin de vie qui comprend des milliers d’habitants, je prends juste en référence les maires qui ont signé la motion [d’opposition], quand on additionne, ça fait 165 000 habitants », note-t-il.
« C’est vraiment toute la vallée qui se sent à pouvoir ressentir des effets sur la santé, sur l’eau, car la nappe phréatique est en risque, on ne peut pas imaginer que l’ensemble de la nappe ne sera pas touché (malgré les mesures de mitigation proposées par l’industriel, Ndlr), poursuit le député. Au-delà du mépris, il y a du cynisme. On voit bien que le gouvernement dans son discours de politique générale (le 12 juin, Ndlr), fait un beau discours pour dire comment on va retrouver une vertu écologique. Là on avait une capacité à le dire, et ils n’en ont rien à faire. »
Selon Bruno Millienne, les garanties apportées par le cimentier étaient suffisantes pour emporter l’accord de l’État. « La décision ne me satisfait pas […] Je continuerai dans mon soutien aux associations environnementales, précise-t-il de sa position personnelle. Je les suivrai surtout sur les actions qu’ils mèneront contre l’action au projet. »
Du côté des soutiens historiques de la carrière, la décision des ministères « est dans la logique des derniers évènements », souligne Jean Lemaire (UDI), maire de Gargenville, évoquant l’avis favorable rendu par la commission yvelinoise de la nature, des paysages et des sites. Lui appelle à « faire confiance » à l’industriel en termes de mesures environnementales. « On voit bien aujourd’hui que les industriels qui exploitent des carrières sont amenés à des remises en état, poursuit l’édile. En 30 ans, il y a eu une évolution technologique, une évolution écologique, une évolution environnementale qui n’est plus comparable. »
Les différents avis favorables rendus soulignent « le caractère exemplaire du dossier », estime enfin la direction de Calcia. « Le projet, de sa phase de départ, au dossier final, a énormément évolué pour prendre en compte un maximum d’incidences potentielles et de trouver à les réduire ou à les compenser », ajoute l’industriel, qui ne souhaite cependant pas s’exprimer plus avant la validation préfectorale.
Les alternatives à la cimenterie assez étudiées ?
Si le député de la 9ème circonscription Bruno Millienne (Modem) semble confiant par rapport à l’environnement, son homologue de la 7ème circonscription, Michèle de Vaucouleurs (Modem), est bien plus réservée. La parlementaire porte son questionnement sur la question économique. Dans un document que La Gazette s’est procuré, issu du ministère du développement durable, au contenu très proche des arguments développés par Calcia au sein de l’étude d’impact du projet, plusieurs alternatives sont chiffrées, mais aucune ne semble satisfaisante aux yeux des experts. « Ce qui me préoccupait, moi, c’était de savoir si les alternatives avaient vraiment été étudiées par rapport à ce projet, souligne la parlementaire. […] Tout mon questionnement est de savoir s’il y a vraiment eu un rendez-vous politique entre Bercy et Calcia sur […] des alternatives peut-être pas rentables, plus coûteuses, mais qui mériteraient d’être étudiées dans le cadre de nos engagements en terme d’écologie. » Sans réponse pour le moment. Dans le rapport, qui se focalise exclusivement sur des alternatives maintenant l’activité de la cimenterie de Gargenville, l’une d’entre elles serait un approvisionnement de la cimenterie gargenvilloise par le gisement de Monterault-Fault-Yonne (Seine-et-Marne). Mais « il n’existe dans ces secteurs aucune carrière en activité susceptible d’alimenter la cimenterie de Gargenville à un débit de 700 000 tonnes par an », précise le document. En outre, acheminer le calcaire de Seine-et-Marne ne serait pas bénéfique pour l’environnement, avec la mobilisation « d’une flotte de 60 à 70 camions » et mettrait « en péril l’équilibre financier » avec un « surcoût de 18 euros par tonne ». Par voie fluviale, « au minimum sept à huit péniches » devraient être mobilisées, pour une traversée de 17 heures. Là aussi, un surcoût de « 26 euros » serait engendré, à cause du chargement et déchargement des péniches par camions, la rendant inenvisageable « d’un point de vue technico-économique ». Utiliser le gisement de calcaire de l’usine de Ranville (Calvados) raccourcirait la durée d’activité de l’usine normande par épuisement de la matière première, et ce avec les mêmes contraintes que le site de Monterault-Fault-Yonne. Enfin, selon ce document, aucun approvisionnement via une carrière non cimentière ne saurait être possible, aucun « ne correspondant aux caractéristiques requises [de qualité du calcaire] dans un rayon compatible avec un coût de transport économique acceptable ». En conséquence, « la solution retenue par Ciments Calcia qui met en œuvre en toute sécurité un dispositif de convoyage à bande sur un linéaire entièrement contenu dans des terrains privés avec un franchissement souterrain de l’espace boisé constitue la solution de moindre impact pour maintenir l’alimentation de l’usine de Gargenville en calcaire cimentier ». Michèle de Vaucouleurs aimerait toutefois aller plus loin. « Les alternatives, il n’y en a aucune dont on se dit « évidemment c’est celle-là qu’il faut faire », indique-t-elle. Par contre, si on veut remporter la bataille du climat, peut-être qu’il faut qu’il y ait une vraie discussion politique pour voir si effectivement, cette cimenterie a du sens aujourd’hui, s’il n’y a pas d’autres façons de faire que de produire cette catégorie de ciment avec ce produit-là et à cet endroit-là. Cela dépasse le cadre de l’étude d’environnement qui a été faite, et c’est ça, dont je ne sais pas si ces discussions ont eu lieu, que je voudrais savoir. »