À peine trente minutes. C’est la durée du dernier conseil municipal mantevillois, le dernier de la première mandature de Cyril Nauth, seul maire Rassemblement national d’Île-de-France. Neuf élus de la majorité étaient présents sur 22, et sept de l’opposition, soit un total de 16 élus sur 33 au total. Une conclusion dans la continuité des conseils se tenant depuis octobre 2017 et systématiquement repoussés faute de quorum, aux dates prévues.
Manque de quorum régulier, d’investissements, de projets d’envergure pour Mantes-la-Ville sont ainsi décriés par les différents groupes d’opposition au conseil municipal et les candidats externes, qualifiant une Mantes-la-Ville devenue « ville dortoir » ou « ville morte ». Dans son bilan de 20 pages, l’édile actuel et candidat à sa succession évoque lui « des fondations solides » et rejette la faute sur ses prédécesseures, Annette Peulvast (1995-2008, DVG) et Monique Brochot (2008-2014, PS).
S’il pointe une gestion « sérieuse » des finances de la ville, les camps d’en face regrettent eux que cette gestion ait été accompagnée d’une dégradation des services publics, en particulier concernant les actions de prévention et celles menées dans les centres de vie sociaux. Alors que la sécurité et l’augmentation des effectifs de la police municipale avaient été l’un des axes forts de sa campagne, Cyril Nauth rencontre finalement des difficultés à remplir les huit postes budgetés, le service connaissant un fort turn-over.
Le 30 mars 2014, le résultat des élections municipales avait en effet créé la stupeur, pour ce bastion de la gauche depuis la Libération. Le candidat frontiste, jusque-là habitant de Mantes-la-Jolie, arrive en tête du deuxième tour avec 30,26 % des suffrages exprimés et 61 voix d’avance sur la maire sortante, Monique Brochot. Un résultat dû à une quadrangulaire rassemblant donc Monique Brochot (29,35%), Annette Peulvast (28,29%) et Eric Visintainer (12,09%), devenus depuis chefs de file de leurs groupes d’opposition respectifs. L’abstention était, elle, de 42,60 % pour ce second tour.
Six ans plus tard, à cinq semaines du premier tour, seul Eric Visintainer (Libres) sera tête de liste de Mantes en mouvement. Du côté du groupe de Monique Brochot, c’est Amitis Messadghi (EELV), ostéopathe, qui prendra la tête de la liste Printemps pour Mantes-la-Ville. Annette Peulvast figurera quant à elle sur la liste de Sami Damergy (SE), ancien président du FC Mantois, ayant obtenu le soutien de la République en marche (voir encadré). Enfin, Romain Carbonne, fondateur du Collectif de réflexion et d’initiatives citoyennes, sera, lui, la tête de liste de Nous Mantevillois. Tous espèrent pouvoir redonner vie à la commune, tout en « faisant barrage au RN ».
L’aspect le plus visible et le plus marquant de la vie politique mantevilloise est sans conteste le manque de quorum constant chez les élus de la majorité. Depuis le mois d’octobre 2017, les conseils sont systématiquement reportés, l’opposition quittant la séance après avoir constaté le manque de quorum (sauf une fois, en raison des conditions climatiques, Ndlr).
« Quand j’ai constitué ma liste il y a six ans, j’étais un candidat inconnu du Front national (devenu depuis Rassemblement national, Ndlr), tient à rappeler Cyril Nauth. À l’époque je ne cherchais pas forcément des gens prêts à s’investir en étant élu pendant six ans, je pensais que j’allais avoir un groupe de quatre, cinq, six maximum, donc effectivement ces personnes-là étaient très engagées, ils sont devenus mes adjoints. »
De sa liste qui sera « à 50 % renouvelée », l’édile souligne qu’elle « fera mieux que le quorum », en termes de présence. « C’est une gestion qui se fait vraiment avec une équipe très très réduite, fait remarquer Amitis Messdaghi. Il n’y a aucune contestation dans son équipe et il n’y a aucune discussion […]. S’il devait être réélu ça peut énormément changer, il peut avoir une équipe qui s’investit et conteste. »
Pour Eric Visintainer, ces absences répétées sont la preuve d’une « liste de bric et de broc ». Il poursuit : « À partir du moment où on fait une liste de gens sans motivation, sans connaissance de la ville, ça ne peut pas marcher. » Sami Damergy l’assure : « Le quorum pour moi ce n’est pas un minimum, c’est une obligation. Je n’ai pas l’impression qu’on mette la pression, soit on a envie de faire quelque chose, soit on ne le fait pas. »
Et alors que les élus actuels de l’opposition lui reprochent un manque d’écoute et de démocratie, Cyril Nauth botte en touche : « Ils n’ont formulé aucune proposition, on m’a reproché le nom de la ferme pédagogique et le nom de la nouvelle école, mais à la limite je n’ai pas envie de les associer et je l’assume. »
En septembre 2014, six mois après l’élection, France Inter pointait déjà les coupes et choix politiques perpétrés par Cyril Nauth : « Toutes les subventions municipales ont été diminuées de 22 %, le périscolaire, lui, est désormais payant. » En 2015, le phénomène s’accentue, l’opposition fustigeant alors la très forte baisse des dépenses d’investissement et l’absence d’emprunt pour financer de grands projets. Il avait également annulé la restructuration des trois centres de vie sociale et acté la pose de six caméras de vidéosurveillance.
À l’époque, Cyril Nauth avait justifié sa position par le fait de construire un groupe scolaire au sein de la Zone d’aménagement concertée Mantes Université, pour un coût de 12 millions d’euros. Une position qu’il réitère aujourd’hui, en insistant sur le fait de ne pas avoir augmenté les impôts durant ces six ans. « Cet engagement de ne pas augmenter les impôts, pour y parvenir il faut forcément un sérieux budgétaire, une maîtrise des dépenses, de la masse salariale, de la dette, […], explique-t-il. Cela implique des choix politiques des arbitrages, les économies ce n’est pas faire des économies pour faire des économies […] le but c’est de faire des économies pour faire de grands projets. »
S’il considère que les anciennes maires ont réalisé « des dépenses inconsidérées et somptuaires », par l’achat de l’ancienne filature Le Blan et « l’explosion de la masse salariale » (une partie a désormais été transférée à la communauté urbaine Grand Paris Seine et Oise, Ndlr), leurs nouvelles têtes de listes sont beaucoup plus critiques sur la politique financière de Cyril Nauth. « Il fait une gestion d’entreprise, son objectif ce n’est pas de proposer des services de qualité aux citoyens, […] souligne Amitis Messdaghi. Si la ville se meurt et qu’il est à l’équilibre financièrement, il est satisfait. » Elle regrette également un « manque de transparence » quant à l’utilisation des sommes allouées.
Sami Damergy se montre lui plus lapidaire : « Il n’a rien fait. » L’ancien président du FC Mantois a d’ailleurs vu baisser sa subvention drastiquement. De 80 000 euros en 2013, la subvention est passée à 65 000 euros en 2014 puis 15 000 euros en 2015. De quoi faire réagir le FC Mantois qui avait saisi le tribunal administratif en se basant sur la convention triennale passée avec Monique Brochot couvrant une période de 2013 à 2016.
Qualifié « d’opposant précoce » par Cyril Nauth, Sami Damergy détaille des moyens trouvés par le club pour continuer à vivre : « On l’attaque parce que justement il ne les paye pas. […] On a été impactés tout de suite. Il a fallu qu’on serre la ceinture, 80 000 euros il fallait les retrouver. Deux volets tout de suite, c’était d’augmenter la cotisation […]. Ensuite on a eu un coup de chance, on a eu un joueur de l’époque, qui a signé à l’étranger […]. Il avait signé pour 17 millions d’euros, et comme lui est resté formé quatre ans chez nous, on a touché environ 155 000 euros, on a étalé. »
Cyril Nauth justifie lui cette réduction par des travaux d’importance menés au stade Aimé Bergeal, où le FC Mantois joue ses matchs à domicile, et donc des dépenses imprévues. « J’avais souhaité baisser la subvention parce qu’on s’est rendu compte qu’il y avait des travaux de remise aux normes du stade Aimé Bergeal à faire, précise-t-il. […] C’est clair que si on dépense des centaines de milliers d’euros en dépenses imprévues, on ne pourra pas maintenir [la] subvention qui était quand même bien généreuse. »
Autre victime des coupes budgétaires, l’association Insertion formation éducation prévention (Ifep) a, elle aussi, vu la disparition de sa subvention de 70 000 euros pour « manque de résultats », selon le maire. Subvention qui a été reprise par le Département dans le cadre d’un contrat exceptionnel de solidarité, comme pour 11 autres associations. « Nous sommes obligés de faire plus que notre travail quand des élus ne le font plus suffisamment, par incompétence ou idéologie », avait à l’époque commenté le président du Département Pierre Bédier (LR). En réponse, la mairie avait coupé tout contact avec ces associations.
La disparition de ces associations, la réduction progressive des activités proposées par les trois centres de vie sociaux, dont deux ne sont désormais que des espaces de vie sociaux, ont ainsi favorisé, selon quatre candidats opposés au maire, l’entre-soi des quartiers. Tous sont favorables au retour d’équipes de médiations « mais il faut que ceux-là soient des Mantevillois », prévient Sami Damergy et au développement de rencontres entre les différents quartiers, passant par l’implication des habitants à la vie de la cité.
Cet épisode du contrat exceptionnel de solidarité est l’un des nombreux épisodes marquant le conflit ouvert entre les deux hommes, mais également l’une des raisons, revendiquée des deux côtés, pour lesquelles aucun projet de développement n’a eu lieu sur la commune en six ans. « Il y a eu une sanction politique, y compris au niveau de l’État qui s’est désengagé de Mantes-la-Ville, analyse Romain Carbonne. On a eu la double peine, à la fois de subir le mandat de Cyril Nauth et à la fois de voir des partenaires institutionnels se désengager et freiner le développement de la ville. »
Or, au-delà de l’élection municipale, le maire sortant nourrit un objectif politique bien particulier : « Dans un an, il y a des élections départementales, si je suis réélu, je pense que je serai le candidat naturel sur le canton et il est clair que je me présenterai aux cantonales et le but c’est de dégager Pierre Bédier, très clairement. » Cette ambition est mal perçue dans les rangs de ses opposants. « Les gens ne le connaissent pas », fait savoir Eric Visintainer de sa présence sur le terrain, tandis que pour Romain Carbonne, le fait que Cyril Nauth soit déjà conseiller régional montre qu’il est « complètement désintéressé des préoccupations des habitants ».
Cyril Nauth énumère lui les travaux lancés durant son mandat sur la question du scolaire, compétence obligatoire de la commune, et des 14 millions d’euros qu’il a investi : remise aux normes sécurité et accessibilité de différents groupes scolaires, travaux de maintenance et d’entretien et surtout le dédoublement physique des classes de CP et de CE1, les écoles étant classées en REP, par le biais de modulaires. « Ce n’est pas que du scolaire mais aussi du social puisque cela concerne les écoles REP , les écoles où il y a les publics les plus fragiles socialement », justifie-t-il.
La question du scolaire sera un axe fort de sa prochaine mandature assure-t-il, notamment par la réalisation de l’école Brochant de Villiers au parc de la Vallée. Initialement prévu dans la Zac Mantes Université, le projet initié sous le mandat de Monique Brochot, est désormais à l’arrêt, la parcelle prévue n’étant plus disponible. « On avait missionné un programmiste en 2014, […] on était en train de voir comment le dimensionner, fait savoir Monique Brochot, de son action. Le foncier on savait qu’on l’avait par l’Etablissement public d’aménagement du Mantois Seine aval (Epamsa, aménageur du quartier, Ndlr).
Une définition du programme dont le maire sortant ne semble pas avoir trouvé trace et qui selon lui, manquait de concret : « Il n’y avait aucun travail sur le foncier, le financement. Elle n’a jamais demandé la rétrocession. » Si le projet n’était pour lui pas prioritaire en 2014, le gel du terrain initialement prévu par l’Epamsa et la SNCF, en 2017, l’avait amené à proposer le parc de la Vallée en s’appuyant sur des études démographiques.
« À terme, il faudra deux nouveaux groupes scolaires, un à Mantes U et un dans le grand centre-ville. […] Je ne peux pas me permettre, vu les besoins, d’attendre une hypothétique avancée de l’Etablissement public d’aménagement du Mantois Seine aval (Epamsa, aménageur du quartier, Ndlr), qui a totalement refondu son projet », assène Cyril Nauth en feuilletant le programme d’Annette Peulvast lors de l’élection municipale de 2001 : « En page six de ce document, elle s’engage à construire une nouvelle école dans le centre-ville. »
Le sujet est régulièrement débattu lors des conseils municipaux. « Fin 2016, début 2017 il s’est réveillé, il y eu un manque d’anticipation », réagit Eric Visintainer jugeant insuffisant le projet actuel de douze classes et estimant qu’une école, plus importante, devait être construite à Mantes Université. « La parcelle doit forcément être délimitée quelque part », avance Amitis Messdaghi, qui aimerait voir dans le quartier la construction d’une « école modèle » en termes d’éco-construction et de programme pédagogique.
Pour Sami Damergy, il y a également une volonté de stopper l’école, mais il tempère : « Le projet est lancé, tout dépend comment c’est engagé, il faut savoir s’il y a un ordre de service, savoir si on peut le stopper combien ça coûte […]. » Du côté de Romain Carbonne, ce dossier est « l’un des plus gros échecs » du maire sortant : « Ce projet-là c’est une catastrophe, déjà il ne l’assumera pas puisqu’il sera de la responsabilité de la prochaine équipe d’instruire, de conduire, tout le projet.[…] Si on peut arrêter ce projet-là, si les coûts pour arrêter ce projet ne sont pas disproportionnés par rapport au désagrément que sera ce groupe scolaire à cet endroit-là […], alors on prendra la décision d’arrêter ce groupe scolaire. »
Autre axe phare de la campagne de 2014 et régulièrement taclé par les opposants politiques, celui des effectifs de la police municipale. Actuellement, le service compte cinq agents de police municipale, pour huit budgetés. « Ce premier mandat a été consacré au développement des moyens matériels », se défend l’édile mettant en avant l’installation de 21 caméras, de la mise en place de l’armement léthal et l’achat de trois voitures neuves. Il met également en avant les travaux du nouveau poste de police qui sera situé rue du Val Saint-Georges. « J’aimerais arriver au nombre que j’ai budgeté, mais en l’occurrence il faut prendre son temps », nuance-t-il en évoquant des difficultés de recrutement semblables dans des communes de même strate : sur 27 recrutements menés, 27 départs ont été recensés.
« Quand les gens ne restent que trois mois c’est qu’on les a bluffés sur le contrat, ce qu’ils avaient à faire dans la ville, et peut-être qu’au niveau de la mission et de la gestion des services », rétorque Romain Carbonne. S’il n’augmentera pas forcément le nombre d’effectifs, il souhaite en revanche que la police municipale puisse se consacrer à d’autres missions comme la question des dépôts sauvages.
Pour les quatre autres, l’augmentation des effectifs pour passer à une dizaine de policiers municipaux est une priorité. « Pourquoi ne pas créer une brigade pédestre, à vélo, qui circule, puisse être présente dans la ville, que les gens les connaissent, que les gens soient habitués à les voir, souligne Amitis Messdaghi. La sécurité est un droit pour tous. »
Eric Visintainer envisage, quant à lui, de mener « un audit interne » auprès de ce service spécifiquement, afin d’en voir le fonctionnement. « Les petites incivilités, la police municipale doit être capable de les régler sans pour cela sévir et sans être angélique, c’est le rôle d’une police de proximité », précise-t-il des missions attendues. Pour Sami Damergy, médiateurs et policiers municipaux doivent être complémentaires : « Il faut qu’il y ait une présence, une rigueur au-dessus. […] L’objectif serait d’arriver à 12, 15 agents. »
Il ne fait aucun doute que l’élection sera suivie médiatiquement : certains des candidats rencontrés ont confié à La Gazette avoir été contactés par des médias nationaux, notamment France 3 et l’AFP. Si les candidats veulent faire barrage au Rassemblement national, ils espèrent aussi que les Mantevillois s’empareront de l’enjeu afin de faire baisser l’abstention.
La République en marche soutiendra l’Union pour Mantes-la-Ville et Sami Damergy
Elle avait deux dossiers sur la table, elle a finalement tranché. Mercredi 29 janvier, tard dans la soirée, la commission nationale d’investiture a choisi d’accorder son soutien à la liste de Sami Damergy, suite à la défection de Christophe Desjardins (voir notre édition du 29 janvier). L’autre candidat potentiel était Eric Visintainer, plutôt soutenu par le comité local.
Dans un communiqué de presse, Sami Damergy s’est montré satisfait de ce soutien obtenu au niveau national. « Je me félicite de cette décision, réagit-il. Elle confirme la volonté de rassemblement que je défends depuis mon entrée en campagne et elle renforce encore la crédibilité de notre démarche commune. »
Sa liste, Union pour Mantes-la-Ville a notamment été rejointe par des anciens soutiens de Christophe Desjardins et Marcheurs historiques mantevillois. « Si le mouvement demande à soutenir un candidat je le suis, souligne Maïmouna, militante depuis quatre ans. Ce n’est pas personnel, on suit pour l’avenir de Mantes-la-Ville. »
D’autres, comme la référente du mouvement à Mantes-la-Ville, Julie Ferry, et l’ancien adjoint socialiste Patrick Lefoulon, se sont, eux, tournés vers Eric Visintainer. Ce dernier a « pris acte » de la décision : « Le ralliement d’une partie des Marcheurs à notre liste […] sont autant de preuves que nous avons un programme qui est structuré et sérieux. »
Mise à jour du 05/02/2020 : Le nom de la liste d’Eric Visintainer a été changé. Par ailleurs un paragraphe, imprécis, concernant l’école Brochant de Villiers a été modifié, incluant des précisions de la part de Monique Brochot et de Cyril Nauth.