Réouverture des écoles, une équation à multiples inconnues

Alors que les écoles maternelles et élémentaires sont censées rouvrir leurs portes à partir du 11 mai, les modalités de ces réouvertures diffèrent d’une commune à l’autre, tout comme le choix des parents d’y envoyer leurs enfants.

Si les manuels de mathématiques retrouvent timidement les salles de classes depuis mardi, la semaine qui vient de s’écouler aura donné son lot de maux de têtes aux acteurs concernés par la décision de l’exécutif de rouvrir, progressivement, les écoles du premier degré. L’annonce faite le lundi 13 avril par le président de la République, Emmanuel Macron (LREM), lors de son allocution, a suscité de vives préoccupations chez les parents. Inquiets des risques sanitaires et sachant que la présence des élèves n’est pas obligatoire, nombreux sont ceux qui restent réticents à l’idée de renvoyer leurs enfants sur les bancs de l’école.

Du côté des enseignants, on dénonce « une rentrée trop précipitée et insuffisamment préparée ». Un point de vue partagé par de nombreux maires de vallée de Seine, à pied d’œuvre depuis plusieurs jours pour rentrer dans les délais. Et le calcul se complique d’avantage au vu du caractère particulier que connaît chaque commune, voire chaque école, donnant lieu à autant d’exceptions qu’en connaît la grammaire. Pour tenter de lever ces craintes et d’illustrer le protocole sanitaire défini pour cette rentrée, le locataire de l’Elysée s’est rendu le mardi 5 mai à l’école Pierre de Ronsard, dans le quartier Beauregard de Poissy, accompagné par le ministre de l’Éducation nationale Jean-­Michel ­Blanquer (LREM).

L’établissement pisciacais est resté ouvert pendant le confinement pour accueillir une trentaine d’enfants dits « prioritaires », c’est-à-dire ceux dont les parents font partie du personnel soignant ou de secours ou des forces de sécurité. « Depuis l’ouverture et jusqu’à ce jour, aucun enfant qui a fréquenté l’école n’a été contaminé », a souligné Karl Olive (DVD), le maire de Poissy, lors du conseil municipal ce mercredi 6 mai. Lors de sa visite, Emmanuel Macron s’est entretenu, avec plusieurs élus locaux, à savoir Karl Olive, et les maires des Mureaux, François Garay (DVG), et de Mantes-la-Jolie, Raphaël Cognet (LR), pour la vallée de Seine. L’édile muriautin avait notamment demandé, avec 400 autres maires franciliens, dont 21 de vallée de Seine*, « de repousser » la date de la reprise, dans une lettre ouverte publiée sur le site internet de La Tribune.

Parmi eux, Michel Lebouc (DVG), le maire de Magnanville craint que sa responsabilité juridique soit ­engagée en cas de contaminations dans les écoles. « L’Etat nous délègue l’éducation et la santé qui sont des responsabilités régaliennes », déplore l’édile. De ce fait, même si depuis le 12 mai la commune a ouvert dix classes au sein de ses trois écoles élémentaires, les écoles maternelles, elles, ne continuent d’accueillir que les enfants « prioritaires », dont la commune a élargi la composition aux enfants d’enseignants, d’agents de poste, du personnel communal, de l’aide sociale ainsi qu’aux élèves handicapés. À noter qu’en ce qui concerne ces critères, toutes les communes n’appliquent pas les même règles. « Je me refuse à l’idée de déconfiner les très jeunes enfants dans ces conditions, ça risquerait d’être traumatisant pour eux », explique le maire magnanvillois. Plus globalement ce dernier a également invité les parents à garder, « dans la mesure du possible », leurs enfants chez eux.

Peu après le déplacement présidentiel, l’Élysée avait indiqué que les communes qui ne sont pas en capacité technique de remplir le cahier des charges sanitaires proposé par l’État pourront refuser d’ouvrir leurs établissements scolaires le 11 mai. Le maire de Limay, Eric Roulot (PC), lui, n’a pas attendu cette dernière annonce pour protester. La semaine dernière, le maire avait déjà entériné le report d’une rentrée à Limay avec un arrêté municipal. « Tant qu’on ne sait pas si la situation s’est améliorée, c’est la meilleure façon de protéger les élèves et le personnel, juge l’édile. Nous avons réalisé un sondage parmi les parents d’élèves et 80% des réponses donnaient un non-retour à l’école, beaucoup d’entre eux sont ­inquiets. »

Comme Eric Roulot, chaque maire de vallée de Seine a reçu, dimanche 3 mai, le protocole sanitaire encadrant la réouverture des écoles. « Un document de 62 pages dont il est difficile de faire la synthèse [aux habitants] », notait Raphaël Cognet au moment d’annoncer, jeudi 7 mai, la réouverture des écoles mantaises pour le 14 mai. On y retrouve notamment le maintien des gestes barrières, la distance d’un mètre entre chaque enfant dans les salles de classe, la gestion des déplacements, l’interdiction des jeux collectifs, ou encore la désinfection des lieux plusieurs fois par jour.

« Une distanciation sociale si peu naturelle pour eux [les élèves], des gestes si peu compatibles avec une vie normale d’écolier, des rythmes pédagogiques et des contenus bien atrophiés », fustigeaient Nathalie Coste et Patricia Lartot, respectivement professeure d’histoire-géographie au lycée Saint-Exupéry de Mantes-la-Jolie et directrice de l’école Jules-Verne au Val Fourré, dans une lettre ouverte adressée le vendredi 1er mai au maire de la ville. De son côté, le mouvement des Stylos rouges, collectif d’enseignants, de l’académie de Versailles regrette « une rentrée trop précipitée et insuffisamment préparée. La configuration des écoles étant tellement variée de l’une à l’autre, il est clairement utopique d’imposer un protocole unique. » Contactée, la direction académique des services de l’éducation nationale (Dasen) n’a pas répondu à nos sollicitations.

Emmanuel Macron s’est rendu le mardi 5 mai dans l’école Pierre de Ronsard à Poissy accompagné par le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer (LREM).

« Au delà de l’application de ce protocole, il s’agit de connaître le nombre d’enseignants et d’élèves qui reviendront dans les établissements, souligne Christophe Delrieu (DVD), le maire de Carrières-sous-Poissy. Avec seulement une semaine entre la publication du cahier des charges et la date de réouverture, ça ne laisse pas beaucoup de marge de manœuvre pour une telle organisation. » La semaine dernière, Christophe Delrieu a confirmé la réouverture de toutes ses écoles maternelles et élémentaires pour le mardi 12 mai « uniquement pour les niveaux grande section, CP et CM2 ». La veille étant consacrée à une pré-rentrée permettant aux enseignants et directeurs d’établissements de s’organiser.

À Andrésy, la municipalité souhaite prendre son temps. « Nous allons tester des ouvertures d’un un pôle maternelle et d’un pôle élémentaire le 18 mai au plus tôt, indique Denis Faist (divers centre), le premier adjoint, en charge des affaires scolaires. On se donne jusqu’au jeudi 28 mai pour se dire est-ce qu’on élargit ou pas. Pour les maternelles, pour le moment, le pôle ne serait ouvert que pour le personnel prioritaire, à partir du 18 mai. »

Et dans ce pôle, les effectifs seraient très réduits, constate l’élu andrésien : « On est très loin des 15 enfants par classe puisque le consensus est plutôt de cinq enfants par classe, compte-tenu des obligations. Le rapport implication totale des services et agents de l’éducation national est tellement lourd avec très peu d’intérêts que pour le moment, et jusqu’à début juin, notre objectif c’est de se concentrer sur un seul pôle maternelle à l’école Fin-d’Oise pour les hyper-prioritaires. Concernant les élémentaires, on va faire un test du 18 au 28 mai sur l’école du Parc. »

À Conflans-Sainte-Honorine, « depuis la publication du protocole, le nombre de parents enclins à remettre leurs enfants à l’école a quelque peu augmenté, affirme Cécile Ribet-Retel, vice-présidente de la Fédération des parents d’élèves de l’enseignement public (PEEP). Cela dit, une majorité d’entre eux reste tout de même sur un non-retour », ajoute-t-elle.

Comme à Mantes-la-Jolie ou encore Poissy, les élèves conflanais des niveaux de grande section, CP et CM2 seront accueillis dès le jeudi 14 mai à raison de deux jours par semaine. « C’était une demande des directeurs d’établissements, explique le maire Laurent Brosse (DVD). Nous ferons le bilan dans 15 jours pour voir dans quelles mesures les autres classes pourront reprendre. »

De cela, Cécile Ribet-Retel relève quelques inquiétudes sur les dispositions que les parents pourront prendre pour garder leurs enfants pendant ces deux jours de creux. « Il faut voir ce qui est prévu par le gouvernement, il me semble que l’employeur pourrait fournir une attestation de chômage partiel pour ces parents-là jusqu’à fin mai », avance Laurent Brosse.

Du côté des fédérations de parents d’élèves, au-delà des inquiétudes liées aux risques sanitaires, la question de la gestion des effectifs caracole en tête des sujets de préoccupations. « Le directeur académique nous a expliqué que l’objectif était, à terme, un retour de tous les élèves avant la fin de l’année scolaire, relate Mikaël Tane, le référent départemental de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE). Pourtant, dans la plupart des cas, il sera impossible de poursuivre l’application du protocole sanitaire avec des effectifs normaux. »

Une problématique bien connue dans la petite commune de Nézel, près d’Epône. Selon le maire et signataire de la tribune, Dominique Turpin (SE), le seul établissement scolaire du village, l’école Pasteur, devrait voir le retour « d’environ 30 enfants » contre 126 habituellement. Une « chance » pour l’édile qui avoue que « si dans cette configuration c’est gérable, on ne pourra pas recevoir ­beaucoup plus d’élèves… »

En vallée de Seine, même si le flou autour de la reprise scolaire se dissipe au fil des jours, de nombreuses questions persistent, comme celle de la poursuite des cours à distance pour les élèves qui resteront chez eux avec certaines inégalités qui entourent le sujet, ou encore celle de l’évolution de l’état sanitaire dans les semaines à venir qui pourrait donner lieu à des changements de cap.

*Catherine Arenou (Chanteloup-les-Vignes), Samuel Boureille, (Follainville-Dennemont) , Jean-Claude Breard (Vaux-sur-Seine), Laurent Brosse (Conflans-Sainte-Honorine), Pascal Collado (Vernouillet), Pierre-Yves Dumoulin (Rosny-sur-Seine), Jean-François Fastre (Mézières-sur-Seine), Philippe Ferrand (Juziers) , François Garay (Les Mureaux), Marc Honoré (Achères), Karine Kauffmann (Médan), Jacky Lavigogne (Soindres), Fabrice Lepinte (Goussonville), Jean Mallet (Mézy-sur-Seine), Joël Mancel (Triel-sur-Seine), Paul Martinez (Buchelay), Daniel Mauret (Boinville-en-Mantois), Thierry Montangerand (Aubergenville), Pascal Poyer (Perdreauville) , Hugues Ribault (Andresy), Eric Roulot (Limay), Dominique Turpin (Nezel).