Le terroriste s’était radicalisé depuis plusieurs mois
Sept personnes mises en examen, dont deux collégiens
Des larmes, de l’incompréhension et parfois même de la colère. Voici ce qui ressort des différents rassemblements organisés en vallée de Seine, suite à l’assassinat de l’enseignant d’histoire-géographie et d’enseignement moral et civique au collège conflanais du bois d’Aulne, Samuel Paty. Le 16 octobre vers 17 h, ce dernier a été décapité aux abords de l’établissement par un jeune homme de 18 ans, Abdoullakh Abouyezidovitch Anzorov. Le motif semble lié à la diffusion des caricatures du prophète Mahomet publiées par Charlie Hebdo dans le cadre d’un cours sur la liberté d’expression, en classe de 4e, donné le 5 octobre et aux réactions ayant suivi sur les réseaux sociaux. Les rassemblements en l’hommage du professeur ont réuni des centaines de personnes.
« C’était essentiel de venir rendre hommage à Samuel Paty », affirme le mardi 20 octobre Sophie, une riveraine conflanaise à l’issue d’une marche blanche organisée en ville et dont l’itinéraire, d’environ un kilomètre, reliait le collège du bois d’Aulne à la place de la Liberté. Regardant tout autour d’elle, elle ajoute : « Je m’attendais à ce qu’il y ait beaucoup de monde mais je ne pensais quand même pas qu’il y en aurait autant ». Environ 6 000 personnes ont participé à la marche blanche à Conflans-Sainte-Honorine.
La mobilisation était également importante à Poissy. D’après la page Facebook de la Ville, le rassemblement du 19 octobre a réuni « plus d’un millier » de personnes. Elles étaient environ 400 à être venues au rassemblement commun organisé par les communes d’Épône, La Falaise et Mézières-sur-Seine. Du côté d’Orgeval, Villennes-sur-Seine et Andrésy, plusieurs centaines de personnes ont également tenu à rendre hommage à Samuel Paty. À Mantes-la-Jolie, devant la mairie, 200 personnes avaient répondu le 21 octobre à l’appel lancé par la FSU 78, la Ligue des droits de l’homme, la CGT (UL Mantaise) et les fédérations de parents d’élèves.
Le vendredi 23 octobre, les élus du Mantois ont également tenu à rendre hommage au professeur devant approximativement 300 personnes parmi lesquelles des riverains et des responsables religieux. « Ce moment de recueillement, certains se demandent peut-être pourquoi est-ce-qu’on se réunit […]. J’ai entendu cette semaine [que] cela ne sert à rien, [qu’il] y en aura d’autres. Je crois que la tentation de ne rien faire serait quelque chose à éviter aujourd’hui. Nous ne sommes pas d’accord collectivement avec le fait de laisser passer cet horrible événement sans réagir et en faisant comme si c’était un événement de plus auquel il ne faudrait pas répondre », déclare l’édile de Mantes-la-Jolie, Raphaël Cognet (LR) en affirmant apporter son soutien aux forces de sécurité et aux professeurs.
Outre les pensées envers Samuel Paty et ses proches, ces mobilisations ont en effet aussi parfois été l’occasion de s’interroger sur les conditions de travail des enseignants. Déjà, comme le relatait La Gazette dans son édition du 21 octobre, plusieurs d’entre eux n’exerçant pas au collège du bois d’Aulne avaient profité du rassemblement, organisé au lendemain du drame devant l’établissement, pour faire part des conditions parfois difficiles dans lesquelles ils exercent.
« La difficulté c’est qu’on demande aux enseignants plus que ce qu’ils ne peuvent faire […], déplore lors du rassemblement du 21 octobre à Mantes-la-Jolie, Gérard Reix, secrétaire FO de l’Union locale de Mantes et retraité de l’éducation nationale en tant qu’ancien instituteur et directeur d’école élémentaire dans le quartier du Val Fourré. Monsieur Paty, comme des milliers d’autres enseignants, a été confronté à un problème : on lui dit d’enseigner et, en même temps, on ne lui donne pas tous les moyens pour enseigner en sécurité. »
Interrogé sur les réponses pouvant être apportées pour solutionner ce « problème », Gérard Reix est catégorique. « Embaucher des dizaines de milliers d’enseignants ! », s’exclame-t-il avant d’expliquer : « S’il y avait plus d’enseignants dans les écoles, on pourrait faire beaucoup plus de choses. Les enseignants seraient à même de répondre de manière beaucoup plus individualisée à toutes les questions que soulèvent les jeunes, en particulier les jeunes adolescents qui ont plein de questions en tête. »
Ces paroles trouvent un relais chez un père de famille conflanais de confession musulmane venu avec ses enfants à la marche blanche organisée à Conflans-Sainte-Honorine. L’un d’eux, scolarisé en 5e, était un élève de Samuel Paty. « Pour moi, l’éducation civique il n’y a qu’une heure [par semaine] mais ce cours devrait vraiment être plus important, quitte à mettre même deux heures et faire en sorte que les enfants confrontent leurs points de vues, suggère le père tandis que ses enfants acquiescent d’un signe de tête. C’est le socle de notre République, c’est le socle de nos institutions. »
Visiblement conscient du problème, l’édile de Conflans-Sainte-Honorine, Laurent Brosse (DVD), détaille, des solutions devant la foule réunie sur la place de la Liberté, à l’issue de la marche blanche. « Nous devons faire plus parce que le cadre institutionnel de l’école ne permet pas toujours aux élèves d’exprimer ce qu’ils ont sur le cœur. Parfois, le contexte familial ne permet plus à certains de nos enfants de comprendre ce qui est bien ou mal. Nous devons libérer la parole des jeunes en allant directement à leur rencontre », affirme-t-il.
Pour cela, plusieurs solutions sont proposées par le maire. « Les éducateurs doivent aller au cœur de nos quartiers pour les écouter, les accompagner. Cet accompagnement doit aussi s’adresser aux familles. J’envisage [aussi] la création de groupes de paroles au cœur des quartiers », promet-il en expliquant s’appuyer sur les groupes préexistants en ville.
L’édile conflanais rappelle également que la liberté d’expression, enseignée par Samuel Paty, par le biais notamment des caricatures publiées par Charlie Hebdo, est un « pilier de notre démocratie […] pour lutter contre l’obscurantisme ». Sur ce point, il est rejoint par ce même père de famille. « On a la chance de vivre dans un pays où on est libre de s’exprimer, explique-t-il. On n’a pas à vous tuer pour cela ! Il faut au contraire vivre dans un pays plein de créativité, où on rigole, où on innove. »
Son avis est partagé par une habitante du quartier des Physiciens, à Mantes-la-Jolie, et venue assister au rassemblement du 21 octobre devant l’hôtel de ville. « Pour moi, c’est juste une image, déclare-t-elle en insistant sur le fait d’être, elle aussi, musulmane. Nous on a notre point de vue […] mais [les caricatures] c’est la liberté d’expression. Si nos enfants ne le comprennent pas et que nos jeunes ne le comprennent pas non plus, c’est un échec pour nous [en tant que parents]. »
Émue, la riveraine a également une pensée envers les parents d’ Abdoullakh Abouyezidovitch Anzorov. « Je pense à sa maman qui l’a éduqué et qui doit se demander « mais qu’est-ce-qu’il s’est passé dans sa tête ? », ajoute-t-elle. Est-ce-qu’il était net dans sa tête, est-ce-qu’il était drogué ? […] Il y avait beaucoup de « est-ce-que » dans ma tête. »
Pour cette Mantaise qui condamne le passage à l’acte du terroriste, les réponses à ses questions demeurent en suspens. « Assassiner un professeur qui éduque nos enfants, je n’ai pas les mots […], poursuit-elle. Ce n’est pas dans notre religion [qui] est la paix. » Son propos est partagé par le père de famille conflanais : « C’est ce que j’essaye d’inculquer à mes enfants : on ne répond pas à la haine par la haine. Ce n’est pas comme cela que ça fonctionne. »
« La paix » est justement le mot d’ordre de Laurent Brosse. « Je ne veux pas que le 16 octobre soit chaque année associé à ce drame, déclare-t-il devant la foule rassemblée sur la place de la Liberté, à l’issue de la marche blanche. Je veux au contraire en faire une journée de la paix où, ensemble, tous quartiers confondus, quelque soit notre âge, quelque soit notre religion, nous nous retrouvions pour célébrer la paix et la fraternité. » Pour cela, le maire envisage de créer « un lieu dédié à cette journée avec une stèle en l’hommage à Samuel Paty, sous réserve, bien entendu, de l’accord de sa famille ».
Les conditions de rentrée du bois d’Aulne décrites par la Ville
Dans une mise à jour datée du 22 octobre pour informer les habitants du maintien des « structures locales d’accompagnement » et les modalités pour les joindre, le site internet de la Ville, conflans-sainte-honorine.fr, a également précisé les conditions de rentrée des élèves, à l’issue des vacances scolaires.
Un dispositif d’accompagnement spécial sera donc mis en œuvre en « deux temps ». Ainsi, « un premier temps doit permettre aux adultes de se retrouver, de commémorer et de penser les modalités de communication avec les élèves ». Par la suite, un moment de recueillement sera « organisé en présence des élèves ».