Carrés musulmans : à la recherche de solutions pour pallier le manque

Mis en lumière durant le premier confinement, le manque de places pour les fidèles musulmans dans le Mantois est un problème plus ancien. Si les maires se disent favorables à leur création, ils pointent des contraintes foncières.

En termes d’espaces confessionnels, « le Mantois était plutôt le parent pauvre », estime Mehdi Berka, recteur de la Grande mosquée de Mantes-la-Jolie et secrétaire général du Conseil des institutions musulmanes yvelinoises (Cimy). En 2017, l’institution avait recensé 24 espaces confessionnels, orientés vers La Mecque, dans le cadre d’une étude sur l’offre dans le département des Yvelines. Mais dans le Mantois, « si on avait discuté du sujet à la même période l’année dernière, il n’y [en] avait qu’à ­Mantes-la-Jolie », poursuit Mehdi Berka.

Un manque de places que la crise liée à l’épidémie de Covid-19 a mis en lumière, la fermeture des frontières empêchant le rapatriement des défunts au pays. De l’avis des maires, comme des représentants du Cimy que La Gazette a pu interroger, le problème n’est pourtant pas nouveau et risque de s’aggraver avec le souhait des générations actuelles de s’enterrer dans les communes où ils ont vécu. En 2017 déjà, le journal La Croix pointait les difficultés de fidèles à enterrer leurs défunts dans le « carré musulman » du cimetière de Gassicourt, le seul du territoire.

Lors du premier confinement, un courrier avait été envoyé par le Cimy et les responsables religieux locaux aux différentes municipalités, pour alerter les élus sur ces difficultés. Avec des retours plutôt positifs, des carrés musulmans doivent ouvrir à Rosny-sur-Seine en 2022, 2023 pour Limay et également à Mantes-la-Ville et Buchelay. Mais si les maires réagissent, ils évoquent également des difficultés foncières, des travaux de réhabilitations ou de ­reprise de concessions à effectuer.

Du premier confinement, les élus se souviennent des difficultés qu’ils ont eu pour pouvoir répondre aux demandes des familles de confession musulmane. « Jusqu’à présent on arrivait à [aller à] Mantes ou à d’autres endroits pour être dans des cimetières limitrophes, détaille l’édile rosnéen, Pierre-Yves Dumoulin (LR). Pendant le Covid moi j’ai [pu] mettre un Rosnéen à Freneuse. » À Limay dans le cimetière actuel, « on en a improvisé un, lors du premier confinement […] on a déjà une dizaine de tombes occupées du fait du Covid », souligne l’adjoint à l’urbanisme Djamel Nedjar (DVG), de la situation. Une façon de « faire tampon » jusqu’à l’ouverture du nouveau cimetière dans les Hauts de Limay.

Pendant la fermeture des frontières, les places du cimetière de Gassicourt ont été très demandées, obligeant la mairie à ouvrir des places supplémentaires, mais réservées cette fois-ci aux seuls Mantais. « C’était compliqué de devoir refuser ça à certaines familles qui n’étaient pas mantaises cette année, note toutefois le maire Raphaël Cognet (LR), qui dispose d’un pouvoir « discrétionnaire » pour accorder des dérogations, seul pouvant être enterré dans un cimetière un résident de la commune, ou une personne y étant décédée. Moi je me suis dit je pense aux Mantais, c’est aux autres maires de prendre leurs responsabilités. »

« Il y a un cimetière qui est de l’autre côté du département, celui de Valenton dans le Val-de-Marne, qui avec dérogation pouvait accueillir du monde, mais c’est problématique, pointe Mourad Dali, administrateur du Cimy. […] C’est assez violent de demander à des personnes qui sont des Yvelines d’aller enterrer leurs proches à 80 km de chez eux, ça ne facilite pas le deuil. » D’où l’urgence pour le Cimy d’interpeller les maires sur cette question.

Mourad Dali pointe une certaine compréhension de la part des élus de vallée de Seine, il déplore ailleurs des retours « qui expliquent que cela n’avait pas été traité, que le problème ne s’était pas présenté […]. Il y a des maires qui ont une perception erronée de la laïcité, selon eux, ils ne peuvent pas ouvrir de carré musulman dans leur cimetière. »

Depuis la loi du 14 novembre 1881, les cimetières sont considérés comme des espaces « interconfessionnels » et neutres où « tout regroupement par confession sous la forme d’une séparation matérielle du reste du cimetière est interdit », où les maires choisissaient les emplacements des tombes. La dernière circulaire de 2008, portée par Michèle Alliot-Marie, ministre de l’intérieur de l’époque, encourage les élus à « favoriser, en fonction des demandes, l’existence d’espaces ­regroupant les défunts de même confession », tout en veillant à ne pas installer de signes religieux dans les parties communes du ­cimetière, rapporte La Croix.

Pendant la fermeture des frontières, les places du cimetière de Gassicourt ont été très demandées, obligeant la mairie à ouvrir des places supplémentaires, mais réservées cette fois-ci aux seuls Mantais.

Le point de vue des élus du Mantois ne surprend pas Mehdi Berka : « Il y a une culture de l’ouverture et une présence du fait musulman qui sont assez anciens. […] Il n’y a plus de problème politique et idéologique, tout le monde comprend que c’est à la fois une demande raisonnable et légitime. » Djamel Nedjar abonde : « Pouvoir être enterré quelque soit son origine et sa religion, c’est un engagement qu’on a pris politiquement avec le nouveau cimetière. » Selon Pierre-Yves Dumoulin, « cela fait partie de la réussite et de l’intégration républicaine qu’on se retrouve tous au même endroit ». À Mantes-la-Ville, l’entourage du nouveau maire Sami Damergy (SE) assure que « c’est un sujet qu’on étudie et au moment venu on saura apporter la réponse ».

Cependant, le maire rosnéen comme son homologue mantais pointent un travail de « pédagogie » à faire auprès de leurs administrés, mais aussi auprès des fidèles. « Quand on dit carré musulman, les gens entendent cimetière musulman et ça il n’en est pas question » tranche Raphaël Cognet, la loi interdisant des cimetières privés.

Lui évoque une sorte de « choc culturel » à propos de la cohabitation entre les tombes de religions différentes : « Une mamie qui va tous les jours sur la tombe de son mari qui est mort il y a cinq ans, elle a l’impression que les tombes musulmanes ne sont pas respectées », certaines sépultures étant seulement en terre. L’édile souligne que certaines personnes sont déjà venues se plaindre d’un « manque d’entretien » des sépultures du carré musulman, peu habituées à voir des monticules de terre : « On est sur un problème qui touche à l’intime, à la mort, aux religieux, on est sur un problème qui touche énormément de questions culturelles qui s’entrechoquent et qui peuvent poser des problèmes de cohabitation. »

Pierre-Yves Dumoulin lui, évoque des discussions « pour leur faire accepter l’idée qu’ils ne soient pas un seul par sépulture ». De même Raphaël Cognet poursuit : « Les croyances en matière d’enterrement chez les fidèles musulmans sont parfois différentes d’une famille à l’autre. […] Il faut qu’on fasse de la pédagogie auprès des familles musulmanes pour que le cahier des charges soit extrêmement précis. »

Parmi les solutions évoquées pour pallier le manque de place, la proposition d’un cimetière intercommunal, couvrant les 73 communes de la communauté urbaine Grand Paris Seine et Oise (GPSEO) a été faite par le Cimy. « Cela éviterait de multiplier à droite et à gauche, souligne Mehdi Berka. […] Pour nous c’est une solution idoine qui pourrait résoudre définitivement le problème. » L’idée s’est d’ailleurs invitée à l’ordre du jour d’un bureau des maires de GPSEO en décembre dernier. « Visiblement, quand il s’agit d’extension ou de création de cimetières, c’est la communauté urbaine qui est compétente, détaille Raphaël Cognet, également président de GPSEO. […] Si on a des extensions de cimetières à faire […] on se posera la question de l’organisation dans le cimetière. »

Mais si pour le Cimy, un seul et même espace semble préférable, le président de GPSEO préfère évoquer plusieurs cimetières intercommunaux. « Ce qu’il faut c’est qu’on ait une répartition intelligente des cimetières sur le territoire, insiste-t-il. Demain, un musulman de Mantes ne va pas aller sur une tombe à Carrières-sous-Poissy. Il faut qu’on regarde ça, qu’on regarde où on a du foncier, quels sont les maires qui peuvent nous aider et qu’on avance petit à petit. »

D’après le maire de Rosny-sur-Seine, une discussion aurait été amorcée avec Mantes-la-Jolie. « On a évoqué l’idée d’un cimetière intercommunal ; si on a besoin de s’étendre, j’y suis favorable », fait savoir Pierre-Yves Dumoulin. Il ajoute, à propos de la réunion en bureau des maires : « Certains maires y trouvaient un effet d’aubaine en se disant chic ce n’est pas moi qui vais en porter la responsabilité politique et financière. » À Limay également, le cimetière sera ouvert « aux communes du canton », précise Djamel Nedjar.

« Sur la question sur laquelle [les associations musulmanes] pourraient prendre la main, je ne pourrai pas répondre puisqu’on ne leur a pas permis, mais en tout cas elles le voudraient, […] être au moins dans un principe de cogestion, explique Mourad Dali de l’implication des associations musulmanes. […] Les collectivités locales ont une certaine stabilité, les associations ont une certaine fragilité et c’est mieux d’imaginer une cogestion, c’est un gage de sécurité et de partenariat productif, cela limite les contraintes pour la collectivité et permet aux administrés d’avoir une forme de garantie, de la gestion, de la pérennité du projet. »

Les municipalités restent cependant fermes sur un point : la gestion d’un cimetière et de ses différents espaces confessionnels doit rester municipale. « Après on a des fleurissements, des associations, des personnes âgées qui viennent fleurir des tombes qui ne sont pas les leurs, dans ces missions-là pourquoi pas, nuance Pierre-Yves Dumoulin. Une mairie doit donner un carré musulman, une sépulture à des juifs, évidemment mais à partir du ­moment où on le fait, on l’assume. »