Dans le huis-clos des foyers, les périodes successives de confinement instaurées en réponse à l’épidémie de Covid-19, recensent bien d’autres victimes. Depuis un an, police et associations yvelinoises déplorent une forte hausse des signalements de violences conjugales. Alors qu’un nouvel épisode de restrictions de déplacements s’amorce en vallée de Seine, de nouveaux dispositifs d’accompagnement et de répression viennent alimenter la lutte contre ce fléau.
Pour mener ce combat, les services de la police nationale des Yvelines ont eu l’idée d’équiper leurs fonctionnaires de brochures de prévention et des contacts des organismes spécialisés, tous réunis dans une petite carte que les victimes présumées peuvent scanner en toute discrétion. De même, quand il est trop tard pour prévenir, plusieurs communes, comme Carrières-sous-Poissy, Mantes-la-Jolie ou Mantes-la-Ville ont investi pour mettre à disposition des appartements d’urgence afin de mettre ces femmes à l’abri de leur conjoint.
Au cours des dernières assignations à domicile, les rythmes de vie des foyers ont radicalement changé. Et dans ces couples, ou la violence est quotidienne ou même naissante, ces longues semaines d’isolement peuvent vite accroître l’enfer vécu par les victimes.
« Ce qui est sûr c’est que le confinement accentue les tensions et ça se retrouve dans les chiffres au niveau national des signalements des violences, ça c’est indéniable », analyse Anne Laure Carro, la directrice du Centre d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) des Yvelines, basé dans le quartier des bords de Seine de Carrières-sous-Poissy. Pour cette association, qui informe les femmes victimes de violences conjugales et les oriente vers un accompagnement juridique et psychologique, la mesure du couvre-feu à 18 h, a également entraîné « un risque accru de violences ».
Qu’elles soient d’ailleurs physiques ou psychologiques puisque les périodes de confinement peuvent renforcer l’emprise du conjoint sur sa victime. « Non seulement la victime est surveillée en permanence, mais elle peut être aussi coupée des liens avec ses proches qui sont parfois les témoins des violences », explique Anne Laure Carro.
Pour autant, les confinements n’ont pas fait baisser le nombre de signalements de violences conjugales, bien au contraire. Entre les mois de mars et mai 2020, le standard téléphonique du CIDFF a « explosé ». Et pour cause c’était le seul moyen pour les victimes d’obtenir de l’aide puisque les structures étaient fermées.
Mais cela a aussi contraint les victimes à user de ruse pour témoigner. « On s’est aperçus de problèmes auxquels on n’aurait pas pensé : parce qu’une femme qui vous appelle en période de confinement, et bien il y a monsieur qui n’est pas loin donc ça veut dire qu’elle doit réussir à s’isoler, être obligée d’élaborer des stratégies en disant « madame mettez vous dans la salle de bain, faites couler l’eau pour que monsieur n’entende pas », rapporte la directrice de l’association. Ça nous a obligés à être beaucoup plus souples dans notre prise en charge parce qu’on ne pouvait pas appeler quand on voulait, il fallait être sûre que ça ne mette pas madame en difficulté. »
Cette hausse a également été corroborée par la plateforme de signalement internet des violences sexuelles et sexistes de Guyancourt. Cette dernière a enregistré une hausse de « 60 % » des appels de victimes pendant le deuxième confinement, a annoncé, samedi 9 janvier, Marlène Schiappa au journal Le Monde. Déjà au mois de novembre, La Gazette de Saint-Quentin-en-Yvelines rapportait que la plateforme avait enregistré une augmentation de 15 % lors du premier confinement.
Toujours dans le département, Marlène Schiappa, ministre déléguée à la Citoyenneté, a au mois de septembre, décerné le prix accompagnement des victimes du ministère de l’Intérieur, au nouvel outil de prévention développé par la direction départementale de la sécurité publique des Yvelines. Il s’agit d’un QR code imprimé sur une petite carte, qui permet aux femmes d’avoir accès à l’ensemble des informations et des dispositifs existants sur le territoire.
« Au premier confinement moi j’étais en renfort à la plateforme de Guyancourt et là je me suis rendue compte qu’effectivement il y avait beaucoup de chats [messages] de victimes qui étaient réfugiées chez elles, qui n’avaient connaissance, ni de ce qu’on pouvait faire pour elles, ni des associations qui peuvent venir les aider, explique le major Fabienne Boulard à l’origine de ce dispositif. On a cette possibilité-là nous, policiers, de rentrer au domicile, sauf que quand vous regardez un policier aujourd’hui, vous voyez son équipement, vous vous doutez bien qu’ils ne peuvent pas se balader avec tous les flyers de toutes les associations donc je me suis dit, il faudrait qu’ils aient quelque chose de facile et discret à mettre dans leur poche. »
Pour les victimes de violences, cette notion de discrétion est primordiale. « Des fois on intervient par exemple pour un tapage et on sent qu’il y a quelque chose qui ne va pas, mais la victime ne dit rien, l’auteur évidemment ne dit rien, sauf que ce n’est pas une légende on a quand même un flair policier et on sent qu’il y a un souci », poursuit le major Fabienne Boulard.
Un besoin d’informations d’autant plus important que de nombreuses victimes ne vont pas porter plainte contre leur conjoint. Parfois elles vont même jusqu’à le défendre au tribunal lorsque le ministère public se charge, lui-même, de poursuivre l’agresseur. « C’est un scénario qu’on voit régulièrement, note une source judiciaire au tribunal correctionnel de Versailles. Beaucoup de femmes, souvent jeunes, ne se rendent pas compte des faits et vont dire que celui-ci n’est pas foncièrement violent mais qu’il lui arrive de s’énerver. » Selon nos informations, le nombre d’affaires pour violences conjugales jugées par le tribunal de Versailles en comparution immédiate, n’a pas significativement augmenté sur la dernière année.
Depuis le mois de janvier, les juges sont désormais en mesure d’attribuer, dans le cadre d’une procédure pénale, aux auteurs de violences conjugales, un bracelet anti-rapprochement (BAR). Placé à la cheville du conjoint ou ex-conjoint violent, ce dispositif permet de prévenir les forces de l’ordre ainsi que la victime, si l’auteur des violences vient à braver le périmètre décidé par le juge. « Pour le moment il n’y a qu’une décision qui est en cours sur l’attribution d’un BAR, elle devrait être rendue au mois de mars », fait savoir la directrice du CIDFF qui a signé une convention pour la mise en place de ce dispositif.
« Le pas de la plainte, il est compliqué car ça veut dire aussi d’avoir des victimes qui ont pris conscience des violences qu’elles subissent, confirme Anne Laure Carro. Parfois certaines vous racontent les choses très tranquillement alors qu’elles vous racontent des horreurs. C’est assez rare aussi d’avoir une personne qui se présente en disant je suis victime de violences : souvent on va les recevoir pour un divorce par exemple, elles viennent prendre des informations et on s’aperçoit au cours de l’entretien qu’il y a une problématique de violences. »
Pour permettre aux femmes de détecter les gestes ou les mots qui révèlent une violence ou une emprise, le collectif Noustoutes78, va prochainement distribuer dans les boulangeries des sachets à baguette de pain sur lesquels sont imprimés un « violentomètre » ainsi que le 3919, le numéro national de référence pour les femmes victimes de violences.
« C’est pour montrer qu’il y a beaucoup de formes de violence et que ça peut commencer par des insultes mais qu’après ça monte en puissance », explique Laurence Brignone, membre du collectif et en charge de démarcher les commerçants du Mantois. Si ce dispositif ne sera lancé dans les Yvelines qu’à partir du 22 mars, certaines boulangeries ont déjà confirmé leur participation, comme les boulangeries La Fontaine situées a Mantes-la-Jolie et Mantes-la-Ville ou Les délices de Guerville.
Quand ces femmes trouvent finalement le courage de quitter leur conjoint, les villes sont également à leurs côtés au travers du dispositif Femmes logement réseau d’accompagnement (Flora). Ce dernier, qui prévoit de proposer un logement transitoire aux victimes, a été mis en place à l’origine par les communes de Poissy, Achères et Conflans-Sainte-Honorine. Aujourd’hui l’idée s’étend en vallée en Seine, comme dans les communes de Mantes-la-Ville et de Carrières-sous-Poissy, qui ont récemment indiqué la mise à disposition d’appartements.
C’est ainsi que le maire carriérois Eddie Aït (SE) proposera, lors du prochain conseil municipal, ce mercredi 24 mars, la mise à disposition à titre précaire d’un appartement de type T3 , dans un immeuble appartenant au domaine privé communal pour « les personnes ou familles en rupture d’hébergement, sans aucune alternative d’hébergement en les accompagnant vers une solution de logement pérenne via le CCAS », explique l’édile.