« Nous allons fermer pendant trois semaines les crèches, les écoles, les collèges et les lycées. » C’est ainsi que le président de la République, Emmanuel Macron (LREM), a annoncé, lors d’une allocution le 31 mars, la fermeture des établissements scolaires à partir du 5 avril. Cette mesure s’inscrit dans le cadre d’un renforcement des mesures sanitaires pour lutter contre l’épidémie de Covid-19. Ces fermetures s’accompagnent d’une harmonisation des vacances scolaires de printemps sur l’ensemble du territoire français. Elles devaient débuter le 10 avril pour la zone A, mais n’étaient attendues que le 17 avril pour la zone C à laquelle appartient la vallée de Seine. Alors que la rentrée en présentiel des maternelles et primaires est désormais fixée au 26 avril, elle est prévue le 3 mai pour les collégiens et lycéens. L’académie de Versailles se veut rassurante quant au respect de ces dates, contrairement aux professeurs et parents d’élèves qui, s’ils s’attendaient aux fermetures, craignent un prolongement.
« Il n’y avait pas le choix, résume de la décision de fermer les établissements le co-secrétaire départemental du syndicat SNES-FSU, Fabien Le Duigou qui est également enseignant au lycée général, technologique et professionnel Louis Bascan, à Rambouillet. L’allocution du président, mercredi soir, quand on sondait un peu les collègues dans les salles des professeurs, tout le monde se disait que cela n’était pas tenable [qu’] ils vont être obligés de fermer. »
Ce sentiment est également partagé par Christine Boutry, représentante des parents d’élèves à la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) au collège Albert Thierry à Limay. « Je pense qu’il fallait en arriver là et cela aurait sûrement dû se faire avant […], déclare-t-elle des fermetures de classes à répétition en raison des cas de Covid-19 positifs chez les élèves ou chez l’équipe enseignante. Cela ne permet pas d’avoir une ambiance de travail sereine : on ne sait pas s’il va y avoir cours, pas cours, si les enfants vont être là, pas là, comment ils vont faire pour rattraper le cours. C’est désorganisé, pas du fait de l’établissement, surtout pas. C’est désorganisé [du fait] de la pandémie parce que les enfants ne sont pas présents, les enseignants ne sont pas présents. »
Ces dernières semaines, les fermetures de classe s’étaient effectivement accentuées en raison d’un renforcement du protocole sanitaire dans les établissements scolaires, suite à l’annonce le 18 mars du confinement de l’Île-de-France par le premier ministre, Jean Castex (LREM). Dans une note du ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports à l’attention des directeurs d’établissements scolaires, il est ainsi demandé que « dans les départements faisant l’objet de mesures renforcées, la classe est fermée dès le premier cas confirmé d’élèves ».
De ce fait et à titre d’exemple, cela a notamment été le cas du groupe scolaire Les baronnes à Rosny-sur-Seine, comme l’annonçait la Ville le 29 mars sur Facebook, pour une durée d’au moins une semaine. Ce délai est effectivement le minimum exigé par le protocole sanitaire comme le précise la note aux directeurs d’établissements scolaires : « Les personnels et les élèves, identifiés comme « contacts à risque » doivent faire un test et ne pourront revenir dans l’école que si leur test, réalisé dans les sept jours après le dernier contact avec le cas confirmé, est négatif. »
Le groupe scolaire Les baronnes n’était cependant pas le seul à avoir fermé ses portes plus tôt que les autres établissements français. Les élèves du groupe scolaire Paul Verlaine à Chanteloup-les-Vignes étaient invités à rester chez eux « jusqu’au 6 ou 8 avril ». D’après la maire chantelouvaise, Catherine Arenou (DVD), cette mesure faisait suite au fait que « huit enseignants sur 12 » étaient absents et qu’il était inenvisageable de regrouper les élèves dans les autres classes ouvertes. « C’est là que nos habitudes de mettre les enfants dans une autre classe est complètement perdue », poursuit-elle du protocole sanitaire. Quant à l’école maternelle Les marronniers, à Magnanville, le maire, Michel Lebouc (DVG), a annoncé sa fermeture dans un live Facebook du 23 mars.
Or, selon un communiqué de presse de l’académie de Versailles daté du 26 mars, seulement 306 classes avaient fermées sur les 44 521 que compte l’académie, ce qui représente « 0,69 % » des établissements scolaires. Douze établissements sur les 4 097 avaient également intégralement fermé leurs portes, dont le collège d’Issou dès le 23 mars. D’après l’académie de Versailles, les fermetures totales d’établissements scolaires ne représenteraient donc que « 0,29 % ».
Un chiffre sous-estimé selon Michel Lebouc. « Il faut qu’on arrête de travailler dans certains ministères sur des pourcentages, sur de la stratégie politique […], lance-t-il le 31 mars, en marge de la campagne de vaccination dans sa commune. Je n’ai pas une majorité des écoles fermées à Magnanville, en pourcentage, c’est vrai, sauf que j’ai une école maternelle et des classes qui ferment au fur et à mesure. En tout état de cause, voilà les réalités. Les pourcentages n’ont vraiment de valeur que lorsqu’ils représentent quelque chose. Aujourd’hui cela ne représente rien. »
Le maire magnanvillois insiste également sur le fait que l’édile n’a pas la décision, seul, de fermer les écoles. Un propos qui semble en adéquation avec l’état d’esprit du maire EELV d’Andrésy, Lionel Wastl, dont l’école maternelle des Charvaux avait fermé en raison de la positivité au test Covid-19 des trois Atsem. « [On a] 100 % des gamins qui toussent de partout [à l’école des Charvaux] et puis moi je suis atterré parce que l’inspection nous dit [que] ce n’est pas grave. On a deux enseignantes de touchées, eh bien ils les remplacent. Je suis très étonné que les enseignants acceptent de venir dans des écoles comme cela qui sont touchées », expliquait-t-il le 29 mars en précisant que « tant qu’officiellement les gamins ne sont pas positifs, on ne ferme pas ».
« Nous on sait depuis le début que les contaminations existent en milieu scolaire », insiste Fabien Le Duigou avant d’ajouter : « Par contre, on est très en colère parce que cela fait de nombreux mois qu’on alerte sur la situation. On a proposé des solutions pour éviter la contamination en milieu scolaire et pour éviter justement les fermetures d’établissement. Nous on n’est pas du tout pour la fermeture des établissements. On veut que nos enfants restent à l’école sauf que là, les mesures ont été prises bien trop tard et ils n’ont pas écouté les remontées de terrain. »
Pour Emmanuel Macron, il n’y a aucun déni de la part du gouvernement sur les risques de contamination dans les classes. « Oui, le virus circule dans les établissements scolaires mais pas plus qu’ailleurs », affirme-t-il dans son allocution, avant de justifier les raisons l’ayant conduit à ne pas fermer les établissements scolaires sur l’ensemble du territoire national, plus tôt. Parmi les motifs avancés, on y trouve notamment l’idée selon laquelle « nos enfants ont besoin d’apprendre, d’être ensemble et [que] nul ne sait dire les conséquences durables des fermetures des écoles qui renforcent les inégalités sociales ».
C’est pourquoi le président de la République insiste sur le fait qu’outre les vacances de printemps, la fermeture des établissements scolaires, encadrant ces congés, n’est en aucun cas synonyme d’un arrêt de la scolarité pour les écoliers, les collégiens et les lycéens. « Nous devons préserver l’éducation et l’apprentissage, déclare-t-il. C’est pour cela que le calendrier scolaire sera adapté pour ne pas laisser nos enfants seuls et sans apprendre. » De façon concrète, cette annonce signe donc le retour de l’éducation à distance.
« Certes, sanitairement c’est indispensable sauf que le distanciel nous on l’a vécu comme tout le monde l’année dernière et on sait les dégâts que cela fait dans l’accompagnement éducatif et scolaire », rétorque Catherine Arenou du retour de l’éducation à domicile. Elle est rejointe par la présidente de la fédération des parents d’élèves de l’enseignement public (Peep) à Conflans-Sainte-Honorine, Cécile Ribet-Retel. « J’ai envie de dire que les parents qui sont dans des milieux favorisés, auront toujours des ressources soit familiales soit pour donner des cours de soutien. Du coup les enfants auront majoritairement des effets collatéraux limités. On aura un public aussi moins favorisé qui va payer un lourd tribu de ce distanciel », explique-t-elle.
Sur ce point, la rectrice de l’académie de Versailles, Charline Avenel, tente de les rassurer. Le 2 avril, en visite à l’école mantaise Colette, puis au collège de Gassicourt, pour échanger avec les élèves et l’équipe pédagogique et enseignante de la continuité pédagogique durant la période de fermeture des établissements scolaires, elle affirme : « On prépare ce qui va être une parenthèse pour faire ce qu’a demandé le président de la République pour vaincre le virus en attendant la vaccination […]. Les élèves sont prêts, les enseignants sont prêts. On n’est pas du tout dans la même configuration que l’année dernière. »
« On n’est pas du tout prêts en collège à mettre en place le travail à distance ! », lâche Fabien Le Duigou en insistant sur le fait que les collégiens ne sont pas suffisamment équipés en matériel informatique. Son propos est similaire à celui que détaille un professeur du collège André Chénier à Mantes-la-Jolie. « On n’a pas les bons outils […], détaille-t-il. Je pense qu’on s’est trompé sur l’histoire de la tablette (fournie par le Département, Ndlr). Il fallait mieux financer des PC portables. Cela aurait été plus efficace. La tablette, cela reste un gadget […]. Les élèves prennent le cours en photo quand ils n’ont pas terminé, ils peuvent faire deux-trois trucs [avec] mais cela reste à la marge. »
Selon l’enseignant mantais qui affirme néanmoins comprendre les raisons sanitaires conduisant à la fermeture des établissements scolaires, le distanciel est donc loin de remplacer le présentiel. « Je le dis vraiment et je le pense, à la maison, c’est juste pour faire semblant. Et là les gamins en plus il fait beau et ils ont le droit de sortir. Cela reflétera juste que les gamins qui ne travaillaient pas ne travailleront pas plus et que les gamins qui travaillent sont demandeurs, lance-t-il. Moi j’ai des gamins qui m’ont demandé de rester en contact mais c’est ceux qui travaillaient déjà. Certains m’ont dit « ben non monsieur ». »
Par conséquent, la possibilité de voir un prolongement de la fermeture des établissements scolaires, inquiète le professeur au collège André Chénier. « Il ne faut pas que cela dure parce que les gamins ne sont plus au travail. C’est une vraie inquiétude », déclare-t-il. « Les chiffres étant ce qu’ils sont, les médecins annoncent un pic dans 15 jours à trois semaines […], affirme Christine Boutry, qui craint que le confinement actuel, moins strict que le premier, ne soit pas suffisant pour lutter efficacement contre l’épidémie de Covid-19. Enfin, moi je ne vois pas la solution réglée dans trois semaines. »
« Je n’ai pas de craintes, répond quant à elle, Charline Avenel quand on l’interroge sur la possibilité d’un prolongement de la fermeture des établissements scolaires. La perspective qui a été donnée en termes de date [a] un séquençage sur cette semaine, les deux semaines de vacances et une reprise progressive, donc je crois qu’il y a un agenda qui a été décidé pour être cohérent avec la situation sanitaire. Et nous sommes prêts pour faire face à ce genre de situations donc je ne suis pas inquiète. »
Alors que la rectrice de l’académie de Versailles prend le temps de répondre aux questions d’une classe de CM2 de l’école Colette, sur le déroulé du travail en distanciel, l’un des élèves, Nawfel, ne semble pas particulièrement inquiet. « On a eu l’habitude l’année dernière », lâche-t-il en haussant les épaules.
Pourtant, selon Fabien Le Duigou, la possibilité de terminer le programme scolaire risque d’être difficile, d’autant plus si un prolongement des fermetures d’établissements scolaires était à prévoir. Selon lui, cela est particulièrement vrai pour les lycées. « En lycée, il y a des établissements qui sont en demi-groupe, en demi-jauge depuis le mois de novembre. Donc non, les programmes ne seront pas respectés partout », précise-t-il.
La non possibilité de pouvoir respecter le programme scolaire inquiète particulièrement Cécile Ribet-Retel. « L’épreuve du grand oral [dont les épreuves se dérouleront du 21 juin au 2 juillet] reste pour une très grosse majorité des établissements en cours de préparation. [Les élèves] doivent préparer deux sujets à présenter à l’oral, à présenter aux examinateurs et il y en a qui n’en ont pour l’instant arrêté aucun », déclare-t-elle. Selon le site internet du ministère de l’éducation nationale, le jury choisit l’une des deux questions présentées par le candidat pour l’évaluer, notamment la capacité de ce dernier à « prendre la parole en public de façon claire et convaincante ».
« Ils vont être stressés !, s’exclame Fabien Le Duigou du maintien éventuel de cette épreuve. Ce n’est pas évident déjà de passer un examen, un examen oral c’est encore difficile pour certains élèves qui ne sont pas à l’aise, parce qu’ils ne sont pas habitués à le faire. On va créer un stress supplémentaire pour les élèves et pour les familles donc, pour nous, cela ne semble pas possible […]. Nous on pense que ces épreuves de fin d’année, malheureusement, il va falloir les passer en contrôle continu. On ne peut pas faire passer des examens de ce type alors que les élèves n’ont pas été assez préparés. »
Interrogé sur France Inter le 4 avril, le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, ne partage pas l’avis de l’enseignant. « L’épreuve de philosophie, à l’écrit, a vocation à être passée, de même que celle du grand oral », tranche-t-il en précisant qu’un examen sous la forme intégralement en contrôle continu « n’est pas du tout l’idée que nous nous faisons du mois de juin aujourd’hui ».