« Je n’avais jamais vu autant de monde aux bureaux de vote. » Du Val Fourré à Mantes-la-Jolie au quartier de la Noé à Chanteloup-les-Vignes, en passant par Poissy ou les Mureaux, le constat est le même dans la plupart des quartiers prioritaires en politique de la ville (QPV). À l’occasion du premier tour des élections présidentielles, les urnes de ces « banlieues » ont recueilli plus de voix qu’elles n’en avaient l’habitude.
Une mobilisation qui peut surprendre lorsqu’on sait que les sujets liés aux quartiers populaires ont été, dans l’ensemble, plutôt absents de cette campagne. À en croire les électeurs et les acteurs politiques interrogés, la progression de l’extrême-droite et « la désillusion » du dernier quinquennat en sont les principales explications. Passée la déception de voir Jean-Luc Mélenchon (FI), candidat très largement plébiscité par le vote populaire, relégué aux portes du second tour, les intentions semblent balancer entre abstention et barrage.
« Moi j’ai fait trois aller-retours au bureau de vote dans la journée parce qu’à chaque fois il y avait trop de monde, ça fait 40 ans que j’habite ici et c’est du jamais vu », s’étonne encore Dominique quelques jours après la forte mobilisation constatée dans le quartier mantais du Val Fourré. Dimanche 10 avril, 61,95 % des 9 009 électeurs inscrits dans le quartier se sont déplacés contre 60,57 % des 8 697 en 2017. Sur les 14 bureaux de vote que compte le Val Fourré, le candidat de la France Insoumise a réalisé un score inédit en remportant 92 % des suffrages exprimés.
« Je pense que les gens avaient besoin de s’exprimer parce qu’il y a eu beaucoup de gens qui ont été déçus par Macron, juge ce retraité de l’éducation nationale qui a lui-même voté pour Jean-Luc Mélenchon après avoir soutenu Emmanuel Macron (LREM) en 2017. J’ai notamment été déçu par sa politique africaine, il y avait beaucoup d’attentes, on pensait qu’il allait mener une politique de développement mais finalement il n’y a rien eu de ce côté là. »
Aux Mureaux, la mobilisation a également profité au candidat de gauche puisqu’il a tout simplement doublé son score réalisé en 2017 passant de 36,57 % à 60,66 %. Abstentionniste revendiqué depuis plus de vingt ans, cette année Hamid a souhaité participer à « l’effort de guerre ». Voyant, dans les dernières heures de la campagne, l’engouement populaire gonfler pour placer Jean-Luc Mélenchon au débat d’entre-deux tours, ce père de famille de 39 ans, originaire du quartier des Musiciens, voyait là l’occasion d’écarter Marine Le Pen (RN) dès le premier tour. « Quand j’étais plus jeune je ne m’intéressais tout simplement pas à la politique, dernièrement un peu plus mais comme ils sont tous pourris, explique-t-il des tampons manquants sur sa carte d’électeur. En 2017, je n’y suis pas allé et ça été un choc. Quand je parlais avec [mon entourage] la semaine dernière on était tous d’accord pour dire qu’il fallait que ça change. »
Parmi les habitants rencontrés dans les QPV de vallée de Seine, beaucoup ont également employé la formule du « tout sauf Macron » pour expliquer la couleur de leur bulletin. « Ce qui a effectivement amplifié le phénomène c’est que, jusqu’au dimanche matin où certains ont pu se lever encore dans le doute, je pense qu’il y a eu une réflexion autour de ce que moi je préfère appeler le vote intelligent et partiellement adhérent, analyse de son côté Audrey Hallier, coordinatrice de la France Insoumise pour la 8e circonscription des Yvelines. À un moment donné quand on est de gauche et dans le contexte actuel, on avait deux choix : voter le vote de cœur pour un programme où on se retrouve à 100 % et qui ne passerait pas et de l’autre un choix plus stratégique avec un programme qui, au moins dans les grandes lignes, pouvait porter des valeurs en commun. »
La campagne menée par les différents candidats ne laissait pourtant pas présager un tel élan de participation, tant ces derniers avaient délaissé les problématiques propres aux quartiers prioritaires. À la fin du mois de janvier, une centaine de maires franciliens avaient d’ailleurs signé une tribune demandant aux candidats de formuler leurs propositions pour ces 1,5 million de personnes concernées. « Dans ce débat politique et médiatique actuel, les banlieues sont très souvent considérées comme des « problèmes ». Le constat vis-à-vis de leurs habitants est tantôt sévère, tantôt misérabiliste. Ces discours ignorent et passent sous silence les réalités des quartiers qui sont, comme tout chose, contrastées », dépeignaient les élus dans la tribune écrite sous l’impulsion de l’association des maires d’Île-de-France (Amif) et de l’association des maires Ville & Banlieue.
Ce désintéressement semblait d’ailleurs pleinement intentionnel à en croire la maire DVD de Chanteloup-les-Vignes et signataire de la tribune, Catherine Arenou. « Nous n’avions eu des retours que dans la semaine qui a précédé les élections, fait savoir celle qui a fait de la rénovation urbaine des quartiers prioritaires son grand combat. Brusquement tout le monde nous a demandé des rendez-vous pour savoir ce qu’on attendait […] On a été en contact avec l’équipe d’Hidalgo, l’équipe de Jadot, l’équipe de Macron […] mais il n’y pas eu d’impacts puisque les programmes étaient déjà bouclés alors que les courriers qu’on avait faits aux candidats c’était trois mois avant ».
Cette dernière critique vivement la stigmatisation des habitants de banlieues dans le débat public. « Ça a été très détestable cette campagne dans ce cadre-là, grince Catherine Arenou qui y voit également un impact sur les résultats. Il y a une espèce de tronc commun dans toutes les villes qui ont un quartier politique de la ville d’une surmobilisation des jeunes dans les quartiers et ça correspond à une surreprésentation du vote Mélenchon : il a su parler aux jeunes, et dans cette campagne morbide c’est le seul qui a pu leur donner un peu de rêve. »
Pour une étudiante de 22 ans originaire du quartier Beauregard de Poissy, ce premier vote à une élection présidentielle tenait plus du rite de passage que d’une véritable adhésion pour l’un des candidats. « Moi la politique ça ne m’intéresse pas vraiment mais j’y suis quand même allée parce que là, le Covid c’était vraiment compliqué », témoigne la jeune femme rencontrée sur le marché du quartier. À quelques jours du second tour, l’étudiante confie se sentir « prise au piège ». « Je pense que je n’irai pas ou alors [pour voter] blanc », lâche-t-elle.
Pour les deux candidats qualifiés, les prochains jours seront cruciaux pour convaincre cet électorat populaire qui ne leur a pas fait confiance il y a deux semaines. Les rencontres faites par La Gazette et les scores obtenus par la candidate du rassemblement national dans les quartiers de vallée de Seine laissent jusque-là entrevoir un ralliement plutôt fort derrière le président sortant même si la participation pourrait connaître une chute importante.
« Moi ça me fait vraiment peur [les sondages] annoncent des résultats très serrés, il ne faut surtout pas perdre cet élan et que ça profite à Le Pen, s’inquiète Jean Oscar, entraîneur d’un club de basket aux Mureaux. Dès que j’en vois, j’essaye d’encourager les jeunes du quartier à aller voter pour qu’on ne se retrouve pas dans un scénario catastrophe. »