C’est une bataille interne qui secoue et divise le milieu syndical à l’usine Stellantis de Poissy depuis près de 18 mois. Le jeudi 1er septembre, une audience inédite s’est déroulée devant le tribunal de Bobigny (Seine-Saint-Denis), voyant s’opposer 16 membres « historiques » du syndicat CGT PSA-Poissy aux représentants d’un nouveau syndicat jumeau créé dans des conditions qui font débat.
Avant les congés d’été, les 16 membres de l’ancienne équipe dirigeante ont tous reçu une assignation en justice du nouveau syndicat, nommé CGT-Stellantis-Poissy, réclamant que les membres de l’ancienne organisation « cessent de se revendiquer de la CGT, de parler en son nom et d’utiliser son logo ». Reportée, l’affaire sera jugée le 20 octobre prochain.
Pour en comprendre le fond, il faut remonter plusieurs mois en arrière lorsqu’en 2021, une partie des militants PSA-Poissy dénoncent « des dérives » au niveau de l’équipe dirigeante du syndicat animé par Jean-Pierre Mercier, jusqu’il y a peu délégué syndical central (DSC) de la CGT PSA, et Farid Borsali, son secrétaire général. « Déjà en 2017, il y avait eu des dysfonctionnements et une première vague de départs. Par exemple, nous avions l’interdiction d’aller suivre les formations syndicales et puis il y avait de la pression sur les votes avec des menaces », assure Jonathan Dos Santos, qui a quitté les rangs du syndicat historique pour devenir secrétaire général de la nouvelle CGT-Stellantis-Poissy, appuyé la fédération de la métallurgie et l’union départementale des Yvelines.
En novembre 2014, un congrès exceptionnel est convoqué pour remettre aux voix les mandats désignatifs du syndicat « historique » et ainsi apaiser les tensions. L’équipe dirigeante est alors maintenue devant « 193 syndiqués », selon les organisateurs. Seulement, en décembre 2021, la direction de la fédération des métaux, qui reproche au syndicat « historique » de ne pas avoir voulu laisser le pilotage de ce congrès aux structures de la fédération, organise un autre congrès à l’union locale CGT de Poissy.
Elle enjoint par la suite tous les syndiqués de rejoindre « librement » le nouveau syndicat créé CGT-Stellantis-Poissy. « La porte était ouverte, l’ancienne équipe dirigeante, ils ont refusé de nous rejoindre, ils se sont exclus eux-mêmes », explique Jonathan Dos Santos. Et à partir de ces deux congrès la crise explose puisque, ne reconnaissant pas le congrès du 14 novembre, seul le nouveau syndicat est adoubé par la fédération des métaux et l’union départementale qui retirent ensuite les mandats des membres de l’ancienne organisation.
Jugeant « illégale » la création de cette nouvelle entité, ces derniers ont saisi la justice. Car les statuts de la CGT précisent bien que « la création d’un syndicat ne doit pas venir concurrencer une implantation syndicale existante sur le même périmètre ». En première instance le 28 avril, le tribunal de Versailles n’a pas donné raison à Jean-Pierre Mercier et ses soutiens, qui se sont pourvus en cassation. « On a de très grandes chances de gagner et donc de récupérer nos mandats désignatifs de délégués syndicaux locaux, estime Jean-Pierre Mercier. C’est pour ça que la fédération s’est empressée de nous envoyer des huissiers de justice pour déclencher une nouvelle procédure juridique à Bobigny plutôt que d’ouvrir la procédure interne qui aurait ouvert un débat interne à la CGT qu’elle aurait perdue ». Le délibéré de la Cours de cassation est attendu pour la fin de l’année.
Figure locale de la lutte automobile, Jean-Pierre Mercier a également perdu sa casquette de DSC en mai au profit du candidat de la fédération des métaux, Michael Imhoff (usine de Trémery en Moselle). Pourtant, le Pisciacais avait été largement plébiscité par les militants au siège de la confédération CGT à Montreuil (Seine-Saint-Denis) en récoltant 82 % de votes favorables. « Nous, on défend la démocratie syndicale, c’est la base qui doit décider », fustige Jean-Pierre Mercier tandis que la fédération de la métallurgie estime que ce vote « est plus que caduc » du fait que Jean-Pierre Mercier n’était déjà plus élu dans l’usine de Poissy.
Derrière ces deux bras de fer local et national, se joue ainsi la direction politique de la CGT-Stellantis. Avec d’un côté la fédération de la métallurgie, la troisième plus grosse de la CGT, et généralement plus prompte aux accords avec le patronat que le « clan Mercier » qui s’appuie principalement sur une ligne de lutte et de révolte.