Afin de lutter contre le harcèlement scolaire, il faut déjà connaître sa définition. C’est un triptyque entre un rapport de force et de domination entre un ou plusieurs élèves sur une ou plusieurs victimes, une répétitivité des brimades – aussi bien morales que physiques – sur une longue période provoquant un isolement de l’enfant ciblé. Ce fléau touche environ un million d’élèves sachant qu’un quart d’entre eux songe au suicide et qu’en 2022, 22 ont mis fin à leurs jours. « L’école doit être le lieu du savoir et non celui de la souffrance » clame Toine Bourrat, la sénatrice des Yvelines. La parlementaire était présente vendredi à Magnanville afin de présenter les avancées législatives sur cette thématique ainsi que des projets de lois. Un cadre étatique qui a commencé à se mettre au diapason depuis peu.
Il faut remonter à 2014 pour voir les prémices du délit de harcèlement scolaire lorsque le texte sur le harcèlement moral au sein du couple ou au travail annote deux nouvelles circonstances : celui envers les mineurs de moins de 15 ans et l’utilisation des réseaux sociaux comme moyen de harceler. Cinq ans plus tard, la loi n° 2019-791 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance inscrit dans le code de l’éducation, une scolarité sans harcèlement. « Le but était d’impliquer au maximum la communauté éducative sur ce phénomène » explique la sénatrice, membre également de la commission éducative au palais du Luxembourg. D’ailleurs, via cette commission, Toine Bourrat, ses consœurs et ses confrères, avaient auditionné tous les acteurs en lien direct ou indirect avec le harcèlement scolaire (associations de parents de victimes, enseignants, personnels de santé, forces de l’ordre, victimes, avocat, juges…) pour élaborer ce texte de loi.
Un cadre législatif en mouvement
Un rapport contenant 35 recommandations s’était donc retrouvé entre les mains de Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’Education d’alors, avec des propositions phares comme intégrer dans la formation initiale et continue des professeurs la sensibilisation et la détection des signaux faibles du harcèlement scolaire, impliquer les élèves lors de la rédaction d’une charte sur cette thématique, la sensibilisation dès la primaire. De plus, la mesure chaque année, par académie et par cycle, de l’ampleur du phénomène sans dégrader la note des établissements qui signalent ce genre de faits.
Ces dernières années, le sujet est enfin pris à bras le corps puisque depuis février 2022 le harcèlement scolaire est désormais sous la qualification de délit et les auteurs encourent jusqu’à 10 ans de prison ferme et la parlementaire travaille sur un nouveau texte de loi – « qui sera voté cette année » – pour faciliter l’exclusion du bourreau et ainsi éviter la double peine suivante : un harceleur tout puissant et une victime contrainte de changer d’établissement. Toutefois, un écueil subsiste. Aucun renvoi ne peut être prononcé en primaire et les sénateurs dépositaires de cette loi réfléchissent sur cette question.
Même l’Union Européenne s’en mêle mais de manière détournée. Avec l’avènement du smartphone et des réseaux sociaux – et alors que 63 % des moins de 13 ans disposent d’un compte sur une de ces plateformes alors que la loi française stipule qu’il faut avoir au moins cet âge pour en ouvrir un – une pression ininterrompue peut être mise sur l’élève harcelé. « Sur la toile, lutter est bien plus complexe, notamment avec l’anonymat ou le pseudonymat et la viralité des vidéos. En un clic on peut humilier quelqu’un de façon rapide et groupée » regrette la politicienne. Depuis le 23 avril dernier, le Conseil Européen planche donc sur le Digital Services Act, un encadrement des plateformes pour lutter contre la haine en ligne et la désinformation, pour que « tout ce qui est illégal hors ligne le soit en ligne ». Facebook, Twitter et consort seront bientôt considérés comme responsables des contenus qu’ils hébergent, et pourront être sanctionnés d’amendes alignées sur leur chiffre d’affaires global. La mise en œuvre est prévue pour début 2024.
Par ailleurs, ce sont parfois les adultes les plus réticents. Certains avancent que leurs enfants ont besoin de leur smartphone à la sortie des cours pour les prévenir. Une enseignante en primaire au Val-Fourré pose également le problème des montres connectées interdites dans son établissement scolaire où quelques parents refusent de signer le règlement intérieur à cause de cette interdiction.
Un pHARe dans la nuit
Dans le prolongement de la loi de 2019, l’Éducation Nationale a lancé le programme pHARe, un plan de prévention du harcèlement à destination des écoles et des collèges. Argiro Caloudis, inspectrice du 1er degré dans la circonscription de Rosny-sur-Seine détaille ses principes venus de Finlande et expérimentés pendant 2 ans sur 6 académies : « Ils sont au nombre de quatre : établir un plan de prévention, assurer la sécurité des élèves et des équipes enseignantes et développer une entité protectrice avec plusieurs partenariats ». Parmi les actions concrètes que cela implique de mettre en place, la constitution d’une équipe ressource – composée au minimum de cinq personnes – formée à la MPP, ou Méthode de Préoccupation Partagée reste la plus importante. Elle a été théorisée dans les années 1970 par le psychologue suédois Anatol Pikas, puis importée en France par Marie Cartier, Jean-Pierre Bellon et Bertrand Gardette.
Dès la détection des signaux faibles, l’équipe ressource doit s’activer. D’abord pour rassurer la cible, ensuite pour appliquer une méthode non blâmante envers l’élève harceleur qui – grâce à tous les témoins du harcèlement qu’il pratique – doit finir par comprendre qu’il fait du mal à l’autre. Par la suite des solutions constructives seront créées et un suivi sera effectué afin de s’assurer que l’enfant perturbateur ne recommence plus, tandis que la victime sera prise en charge pour évaluer son traumatisme. Toutefois l’inspectrice concède que la MPP ne peut être mise en œuvre que lors des prémices des comportements déviants et qu’en cas de harcèlement lourd, elle active le Protocole national afin d’accompagner les familles à porter plainte.
Si le combat contre le harcèlement est de longue haleine, les jugements sont tout aussi complexes. Le commissaire référent scolaire du commissariat de Mantes-la-Jolie l’explique : « En France il y a ce qu’on appelle l’individualisation de la peine. Elles sont catégorisées en trois groupes, les amendes, les délits et les crimes. Mais lorsqu’une personne est présentée devant le procureur, suivant les circonstances, il peut décatégoriser la sentence. » Cela s’applique bien évidemment aux enfants puisque pour de nombreux psychiatres, un élève de 13 ans n’a pas son cortex frontal cérébral totalement développé et il n’a pas conscience de la conséquence immédiate de ses actes. « Pour beaucoup, le harcèlement est un jeu, ils ne désiraient pas forcément faire de mal. Quid de l’intention coupable de l’adolescent donc » interroge l’homme de Loi. Argiro Caloudis abonde en ce sens : « Lors des entretiens, beaucoup avancent ce terme d’amusement. » Le policier va même plus loin : « Les juges me posent toujours la même question : le harcèlement était volontaire ou involontaire ? C’était gentil ou méchant ? Par exemple je rencontre une superbe personne et tous les jours je lui dis qu’elle est belle mais avec la pression du groupe celle-ci n’ose pas dire la vérité. »
Politiques, corps enseignant, forces de l’ordre, justice, toutes ces instances doivent se coordonner afin de combattre ce mal qu’est le harcèlement scolaire. Car le drame du petit Lucas – élève qui s’est suicidé à cause du harcèlement qu’il a subi pour sa simple orientation sexuelle – nous rappelle qu’il est très destructeur.