Bilan de la réforme des retraites : deux députés face-à-face

Tout d’abord, quel est votre avis sur le parcours démocratique de la loi sur la réforme des retraites ?

Benjamin Lucas : C’était un parcours anti-démocratique. La démocratie implique de s’appuyer sur trois sources de consentements : celui du peuple, des partenaires sociaux et enfin des parlementaires. Et finalement nous n’avons eu aucun des 3, un véritable déni de la démocratie donc.

Bruno Millienne : C’est dans la constitution et le conseil constitutionnel jugera de la conformité ou non. Maintenant vous dire que j’aurais préféré voter la loi, oui, effectivement car je suis frustré. Maintenant je rappelle gentiment que les amendements d’obstructions de la NUPES ont empêché d’aller jusqu’à l’article 7, celui avec le report de l’âge légal à 64 ans.

En effet, la NUPES avait annoncé « seulement » 7 000 amendements, il y en a eu plus de 11 000.

B.L : Il faut du temps pour débattre de quelque chose d’aussi fondamental que de bousiller la vie de millions de français en passant la retraire à 64 ans. Cela touche beaucoup de sujets sociaux, au monde associatif. On nous reprochait de ne proposer aucune alternative alors qu’il y avait 1 250 propositions de financement avec la taxation des superprofits, une légère augmentation des cotisations sociales patronales et il fallait les analyser.

Et de l’autre côté, l’article 47.1 empêchait des débats en ­longueur.

B.M : Les réformes d’Éric Woerth et Marisol Touraine, qui portaient sur le même sujet, ont vu les deux chambres utiliser moins d’heures que les 175 consacrées à cette réforme. C’est simple, il y avait 600 amendements pour l’une et 800 pour l’autre. Et pour ceux qui reprochent les cadeaux fiscaux aux entreprises, une mission d’information est en cours pour voir le retour sur investissement de l’Etat par rapport à cela.

Nous avons tous vu l’ambiance délétère des débats à l’Assemblée Nationale. Quel impact cela va avoir sur l’image des politiques ?

B.L : Il y a de la tension dans tout le pays et elle se répercute dans l’hémicycle. C’était dû aux convictions solides et sincères qu’il y avait en jeu. Après, l’Histoire entière de l’Assemblée Nationale regorge de débats houleux mais il faut normalement tenir un cadre digne et respectueux.

B.M : L’Assemblée Nationale ne sortira pas indemne de cette séquence. Les hurlements, les vociférations, les insultes, les députés de la NUPES ne se rendent pas compte du mal qu’ils font à notre institution. Et ce faisant, ils font monter le Rassemblement National.

Puisque vous parlez de tension, est-ce que vous condamnez toutes les violences durant les ­manifestations ?

B.L : Je répugne la violence, cela ne sert aucune cause. Mais il y a un responsable à cela : le président de la République. Les organisations syndicales – exemplaires depuis le début – organisent un mouvement social historique mais derrière, comme il n’y a aucune réponse du pouvoir, cela génère cette violence. Maintenant il faut redescendre d’un cran et Emmanuel Macron a toutes les clefs en main en retirant sa réforme.

B.M : D’où qu’elles viennent. D’ailleurs, les manifestations encadrées par les syndicats se sont admirablement bien passées et je les en remercie. C’est toujours en queue de cortège qu’une minorité composée de casseurs s’infiltre pour mettre le bazar.

Fait marquant, nous avons assisté à beaucoup de manifestations locales. Quels enseignements sont à en tirer ?

B.L : À Mantes-la-Jolie, j’ai participé à certains rassemblements les samedis matin à la Collégiale. Ce qui m’a frappé, c’est de voir des personnes qui n’avaient jamais manifesté de leur vie et ce n’était pas que des militants de la NUPES. Simplement des gens réclamant de la dignité et du respect de la part du président.

Durant les manifestations parisiennes, nous avons découvert la BRAV M et ses méthodes ­d’interventions…

B.M : J’ai déjà assisté de près à une manifestation avec les CRS, et je loue leur calme quand je vois ce qu’ils prennent comme cocktails molotov, de boules de pétanques… La BRAV M est soumise à cette même pression. Ils sont surtout là pour attraper des black blocs mais sont soumis à la même déontologie policière. J’attends de voir l’enquête en cours pour ceux qui sont accusés de comportements abusifs et il y a déjà 17 enquêtes de l’IGPN qui ont été ouvertes.

Il y a une véritable cassure politique et sociale, comment tendre vers un apaisement ?

B.L : Entre l’inflation, le COVID, et la nouvelle génération persuadée qu’elle vivra moins bien que la précédente, cette réforme a tout fait cristalliser. Il faut de la justice, que les gens se sentent respectés par les responsables politiques. Il faut retravailler avec les organisations syndicales, redonner de la place aux élus du peuple et à la démocratie. Et surtout, associer les citoyens pour les lois construites en leur nom.

B.M : Déjà que certains responsables politiques arrêtent d’attiser la haine sur les réseaux sociaux. Par exemple, j’ai vu certains comptes Twitter durant les événements de Sainte-Soline, c’était terrible. Depuis une semaine, le groupe MODEM et apparenté essaie de retisser le lien avec les syndicats. Laurent Berger (secrétaire général de la CFDT, ndlr) a tendu la main, le gouvernement l’a prise. Je ne dis pas que c’est grâce à nous mais je suis content qu’Elisabeth Borne reçoive ­l’intersyndicale ­mercredi.

Quel est votre avis sur le discours d’Emmanuel Macron ?

B.M : Je ne peux pas me mettre à la place du président. Il a dit des choses exactes mais selon mon analyse, nous nous sommes très mal pris pour expliquer la réforme des retraites. Il nous manque 30 milliards qui sont le fait des régimes de retraites déficitaires de la fonction publique – et je ne leur jette pas la pierre car il y a 0,9 actif pour 1 actif à cause de la digitalisation – et des régimes spéciaux…

Mais la comparaison avec Donald Trump et Jair Bolsonaro n’était pas en trop ?

B.L : Je ne réponds pas aux outrances du président. Il a une constance, à chaque crise politique, à trouver une insulte : les gaulois réfractaires, traverser la rue pour trouver du boulot, ceux qui ont tout et ceux qui ne sont rien. Ce n’est pas digne de sa fonction.

B.M : Je donne raison au président. Depuis 2017, LFI et associés appellent à l’insurrection. Je n’ai pas oublié les images de la tête d’Emmanuel Macron au bout d’une pique durant la crise des Gilets Jaunes. Qui sème le chaos récolte le fascisme.

Finalement il y a un parti qui n’a pas fait trop de bruit, le Rassemblement National…

B.L : Tout ce que fait Emmanuel Macron est dangereux car il fait planner l’arrivée au pouvoir de Marine Le Pen. Alors que finalement, le Rassemblement National épouse l’air du temps. Auparavant il était pour la retraite à 65 ans, maintenant il ne se prononce pas. Des représentants patronaux me disent qu’ils ont des garanties de la part de ce parti comme quoi ils ne reviendront pas sur la réforme. Le RN n’avait rien à dire, et ne capitalise que sur la colère. Celles et ceux qui se sont battus, ce sont les députés de la NUPES, comme c’était convenu dans notre programme électoral lors des ­législatives.

B.M : Je discute avec quelques députés de LFI et je leur dit sincèrement de baisser le volume car cela les dessert et qu’ils donnent des billes au RN. Nous sommes arrivés à un point où si nous n’arrivons pas à rassembler, tout extrême exclu, j’ai peur de voir Marine Le Pen en 2027. C’est l’avenir de la France qui est en jeu.

La suite du quinquennat ?

BL : Il faut revenir à la raison, qu’Emmanuel Macron retire cette réforme car s’il ne le fait pas, il n’aura plus d’adhésion dans le pays. De notre côté, nous n’arrêterons pas de nous mobiliser.

B.M : Il reste beaucoup de choses à faire dont un texte très important : la loi plein emploi. J’en ai parlé avec Elisabeth Borne, ce qui est remonté lors des manifestations – en dehors de la contestation sur le report de l’âge légal à 64 ans – ce sont des choses qui tiennent à l’organisation du travail : l’égalité femme/homme, le travail des séniors, les carrières hachées, les carrières longues. J’appelle tous ceux qui partagent ce constat à venir travailler avec nous.