Septembre 2022. L’industrie du cinéma vient d’enregistrer son plus mauvais chiffre depuis 40 ans, avec 7,38 millions d’entrées en un mois, soit une baisse de 34,7 % par rapport à septembre 2019. Un constat alarmant qui témoigne de l’impact de la pandémie de Covid-19 sur l’industrie, entre les fermetures à répétition, le pass sanitaire ou encore le port du masque obligatoire.
Comme si cela ne suffisait pas, les plateformes de streaming en ont profité pour asseoir leur domination et s’installer pour de bon dans le foyer des Français. De quoi sonner le glas des salles obscures ? C’est en tout cas ce que croyaient les plus pessimistes. Il semblerait pourtant que le pire soit derrière eux, et que le public se soit enfin décidé à réintégrer le cinéma dans ses habitudes du quotidien en ce début d’année 2023.
« On sent un nouvel élan, glisse Grégoire Devoise, directeur du cinéma CGR de Mantes-la-Jolie. La programmation de l’année 2023 est quand même bien plus riche que celle de l’année précédente. Le Covid commence à être lointain, on reprend des couleurs. Après on ne retrouve pas les chiffres de 2019, il y a toujours une baisse de l’ordre de 30 % sur le territoire national, mais c’est beaucoup moins catastrophique qu’en 2022 ».
Un rebond également constaté dans un tout autre type d’établissement : le Pandora d’Achères, cinéma de 3 salles à la programmation art et essai. Sa directrice, Nathalie Levasseur, a elle aussi du mal à cacher son enthousiasme après quatre mois prometteurs. « Ce début d’année, il fait du bien ! souffle-t-elle, soulagée. En mars, on avait quasiment rattrapé le niveau de 2019 qui était une très bonne année, avec -3 %. Par rapport à 2022, on est en hausse de 80 % ! »
La première explication à ce retour en forme ? Une programmation qui donne envie. Car comme le dit Grégoire Devoise lui-même, « s’il y a du film, il y a du monde ». Et parmi ceux qui ont fait du chiffre ces derniers mois, le directeur du CGR mantais cite l’évidence Avatar 2. « Il a donné un nouvel élan, il a donné du spectacle. Quand vous projetez le film dans de bonnes conditions, c’est une expérience incroyable. Je pense que ça a donné envie aux clients de retrouver cette habitude de côtoyer les salles. Regardez Mario, en première semaine d’exploitation, il bat des records d’entrées. Donc, c’est qu’il y a une clientèle pour le cinéma ».
Les films à avoir enregistré le plus d’entrées ne sont évidemment pas les mêmes au Pandora. Parmi les récents succès, Nathalie Levasseur retient surtout des productions françaises, comme « Je verrai toujours vos visages », « La Syndicaliste », et « Mon Crime », sans oublier le dernier Spielberg, « The Fabelmans ». « Il y a une vraie curiosité sur l’art et essai, des gens qui n‘étaient pas venus depuis longtemps commencent à revenir », se satisfait-elle.
S’il y a bien une partie du public qui s’est décidée à franchir à nouveau les portes des salles obscures, c’est bien les seniors. D’abord réticents à l’idée de se mêler à la foule en pleine pandémie, ils ont fini par renouer avec leur habitude des salles obscures. Cependant, on ne peut pas en dire autant des jeunes. « Ce qui a changé avec le Covid, c’est la perte de la clientèle 15-25 ans », regrette Grégoire Devoise, et ce malgré la mise en place du pass culture.
Un constat partagé par la directrice du Pandora d’Achères. « Ce problème de faire revenir les jeunes, cela fait 30 ans que je l’entends, dit-elle dans un rire jaune. On essaye pourtant de diversifier la programmation, de ne pas se cantonner à des films qui plaisent aux anciens tout en restant sur des critères qualitatifs. Mais quand les jeunes vont au cinéma, ils ont cette culture du grand écran, du blockbuster, du spectacle. Et on n’est clairement pas un cinéma de cette veine là. Les spectateurs qui reviennent sont les moins jeunes, les moins captifs des plateformes et qui gardent cette culture du film en salle ».
Pourtant, la consommation de contenu sur les plateformes de streaming et les sorties au cinéma ne seraient pas incompatibles, selon l’exploitant mantais. « Je pense que c’est vraiment différent, et que le streaming peut être un complément au cinéma, qui restera une sortie pour les familles, les amis ou les cinéphiles ».
Parmi les raisons qui freinent toujours le grand public à revenir en masse dans les salles obscures, le prix des places revient souvent sur la table. Pourtant, difficile de faire autrement selon Grégoire Devoise. « C’est un peu un débat sans fin. Aujourd’hui, on estime qu’une place de cinéma est chère. Mais l’énergie coûte très cher, comme le personnel. Si on veut un modèle économique stable, il faut malheureusement que les prix correspondent aux charges. Si on baisse les prix, les cinémas coulent. Oui, les places sont chères, mais elles permettent de faire vivre tout un secteur, une filière. Sans ça, ce serait compliqué ».
Programmation alléchante, retour des habitués, chiffres en hausse… Ces dernières semaines apportent de l’espoir à un secteur qui en avait cruellement besoin. De là à devenir optimiste pour la suite ? Pas vraiment, selon Nathalie Levasseur. « On est vigilants, on est rassurés, mais pas optimistes, tempère-t-elle. On était déjà inquiets en 2019 avant le Covid, quand on était à 80 000 entrées. C’est pas mal, mais on est montés à plus de 100 000 dans nos meilleures années, et il nous faudrait ce niveau là pour ne pas être en difficulté financière ».
Depuis son multiplexe mantais, Grégoire Devoise ne cache pas son enthousiasme en jetant un coup d’oeil aux futures sorties. « Rien qu’au mois de mai, on a Fast and Furious, Les Gardiens de la Galaxie, La Petite Sirène… ça va être un mois très sportif ! s’exclame-t-il. Après on attaque les vacances avec Indiana Jones, The Flash, Mission Impossible… Je pense que ça va être une très très belle année ».