Les librairies indépendantes sont toujours à la page

Crédits : Librairie Le Pincerais

Le goût de la lecture se perd-il vraiment ? Si les plus pessimistes se jettent sur un tel raccourci à la vue du moindre smartphone, la réalité du secteur semble tout autre. Saviez-vous, par exemple, que les ouvertures de librairies ont atteint un niveau record en 2022 ? Pas moins de 142 commerces ont ouvert leurs portes l’année passée, contre à peine plus de 80 à la fin des années 2010. Le chiffre d’affaires des éditeurs est même passé de 2,7 en 2020 à plus de 3 milliards d’euros en 2021.

« On n’est pas en crise, assure Thomas, Pisciacais de naissance et propriétaire depuis 5 ans de la librairie Le Pincerais à Poissy, véritable institution datant de 1982. Être libraire en France, c’est une chance, avec le prix du livre unique ou le statut de commerce essentiel pendant le Covid. On est des privilégiés ». Il reconnaît cependant un phénomène qui n’a rien d’une hypothèse pessimiste : le recul du livre chez les jeunes de 15 à 24 ans.

Attirer les jeunes dans les librairies est un véritable casse-tête pour le secteur, et ce depuis des années. Pourtant, un dispositif mis en place par le Gouvernement semble avoir créé un nouvel élan : le pass culture. « C’est ça qui a ramené les jeunes dans ma librairie, se satisfait Thomas. Et pourtant, en deux clics, ils peuvent tout commander sur internet. Mais grâce au pass culture, les ventes de mangas et de BD ont explosé ».

Demandez à Anne-Laure ! Avec sa librairie L’Illustrarium, ouverte en 2019 à Mantes-la-Jolie, elle a offert un repère à tous les fans de planches du mantois. Un lieu spécialisé dans la bande-dessinée et le manga qui attire les jeunes, mais pas que ! « Il se trouve que la BD est très variée en terme de public, souligne-t-elle. Oui le manga va toucher beaucoup de jeunes, mais ma génération, celle des presque 40 ans, c’est la première à avoir grandi avec, donc elle continue à en lire ». Sans concurrence directe sur le territoire, L’Illustrarium a trouvé son public, un public avide de conseils et de contact humain. « Ce que les gens recherchent, c’est le côté social de leur boutique de quartier, observe Anne-Laure. On dit que les jeunes ne font que commander en ligne, mais eux aussi ils cherchent ces conseils ! »

Cette proximité avec le client, Claire et Isabelle en ont fait leur cheval de bataille. À la librairie La Nouvelle Réserve de Limay, elles cultivent cette relation privilégiée depuis 2015. Même les confinements n’auront pas eu raison de l’attachement des habitants à leur commerce de proximité. « Lors du second confinement, on a bravé les interdictions, admet Claire. La règle, c’était le click and collect, mais c’était impossible à mettre en place car les gens entraient d’eux-mêmes ! Alors on est resté ouvert, avec le soutien de la mairie ».

Claire et Isabelle vous attendent à La Nouvelle Réserve à Limay.

Bien que la librairie ait eu le temps de s’ancrer dans son territoire, les nouveaux clients continuent pourtant d’affluer aux portes comme au premier jour. « Le lieu est un peu caché, on n’est pas en centre-ville, remarque Claire. On trouve souvent de nouveaux clients grâce au bouche-à-oreille, au passage, et grâce à notre site internet qui est devenu notre vitrine ».

Car oui, il faut bien miser sur le numérique pour faire face aux géants du e-commerce, principaux concurrents des librairies indépendantes. En témoignent les revendications graffées sur le mur de la cour de La Nouvelle Réserve : « Au lieu d’aller sur Amazon, j’achète dans ma zone ». « Amazon est ce qu’il est, on est dans une société qui veut tout, tout de suite, déplore Claire. C’est la rapidité, on peut tout avoir dès le lendemain. Après, il faut voir les conditions de travail derrière… ».

Il faut alors mettre les bouchées doubles pour sortir les lecteurs de leur confort et les convaincre de se déplacer jusqu’à un point de vente physique. Et pour continuer en ce sens, l’équipe de La Nouvelle Réserve a une idée derrière la tête : transformer le commerce en un lieu hybride mêlant librairie et espace café. Espérée pour le mois de septembre prochain, cette nouvelle vision de La Nouvelle Réserve devrait permettre d’attirer une nouvelle clientèle.

Du côté du centre-ville pisciacais, la librairie du Pincerais a elle aussi bénéficié d’un lifting, il y a un peu plus d’un an. Une façon de donner un coup de neuf à un lieu vieux de plus de 40 ans. « Quand le covid est arrivé, les gens ont pris en main notre nouveau site internet, se rappelle Thomas. On a développé nos réseaux sociaux, et à partir de là, on a beaucoup travaillé. Je me suis dit soit on trésorise, soit on investit pour fidéliser ». Plus neuf, plus éclairé, plus grand et plus ouvert vers l’extérieur, le commerce de l’avenue du Général-de-Gaulle s’est offert une seconde jeunesse. « Les grands travaux d’aménagement ont été menés l’année après le covid, se souvient-il. Aujourd’hui, la librairie est totalement différente, tout a été modifié. C’est un parti pris, rajeunir l’image du Pincerais pour offrir un cadre plus chaleureux, plus convivial. Au final, les clients sont contents, et l’équipe aussi ».

On leur promettait l’enfer, et pourtant, les librairies indépendantes semblent garder la cote, soutenues par des lecteurs avides de conseils et de contact humain. Suffisant pour tenir tête à Amazon et consorts ? Le temps nous le dira. Dans tous les cas, selon le syndicat de la librairie, les librairies indépendantes restent le 1er circuit de vente de livres en France, avec 40 % de part de marché. Devant les grandes surfaces culturelles, la grande distribution alimentaire et internet. Sans parler du coup de pouce bienvenu qui va faire son apparition au mois d’octobre : l’instauration de frais de port de 3 euros minimum pour l’achat de livres sur internet.