11 janvier 2022, Yasmine Candau, présidente de l’association EndoFrance pousse un ouf de soulagement : Emmanuel Macron lance officiellement la stratégie nationale de lutte contre l’endométriose. « Quand j’écoute son discours, ma première réaction a été de me dire enfin » avoue-t-elle. Cependant, la réalité la rattrape assez vite : « Je m’aperçois finalement que tout est à construire. » L’auteure de deux livres sur cette pathologie peut néanmoins savourer cela comme un début de victoire car elle alerte les pouvoirs publics depuis près de 20 ans. En 2003, son association militait déjà pour une refonte de la formation initiale des médecins afin de prendre en compte ce mal touchant une femme sur dix en France, mais résumé en une ligne dans les manuels.
Par ailleurs, comme la théorie ne va pas sans la pratique, elle demandait également l’ouverture de centres d’expertise dans le but de mieux prendre en charge cette pathologie et assurer un suivi médical de qualité. Il faut attendre 2019 et une rencontre fortuite avec la ministre de la Santé de l’époque Agnès Buzyn – grâce à l’entremise d’un chercheur de l’INSERM pour que la machine se mette enfin en marche.
Un an plus tard, un décret intègre l’endométriose dans les cours médicaux de second cycle et, en parallèle, le remplaçant d’Agnès Buzyn, Olivier Véran, décide qu’il faut établir la fameuse stratégie nationale évoquée plus haut. « Sauf que les professionnels de santé capables de détecter l’endométriose rapidement n’arriveront sur le marché du travail que dans 10 ans » déplore Yasmine Candau. La filière de soins – nommée Voyelle (le Val-d’Oise et les Yvelines s’Engagent pour Elles contre l’Endométriose) – et agissant sur les départements des Yvelines et du Val-d’Oise Ouest – voit officiellement le jour le 7 mars 2023 pour pallier cette attente et ainsi réduire l’errance médicale.
Une errance causée par la difficulté d’identifier cette maladie chronique mais aussi par la prolongation de l’adage biblique « tu enfanteras dans la douleur ». « Tu souffriras lors de tes menstruations » reste alors quelque chose de normal dans l’imaginaire collectif. « Mais à partir du moment où cette douleur empêche de se lever, elle ne peut pas être considérée comme anodine » regrette la présidente d’EndoFrance. De plus, l’errance médicale de l’endométriose, estimée entre sept à dix ans, peut avoir des conséquences terribles comme des opérations chirurgicales abîmant la vessie ou des stomies à vie à cause d’une partie d’intestin trop longue retirée.
Couvrir le territoire efficacement
La première fonction de la filière de soins sera de mailler le territoire comme l’explique le Professeur Arnaud Fauconnier, chef du service gynécologie obstétrique du Centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye (ci-après CHIPS) et membre du comité scientifique d’Endofrance : « Une prise en charge graduée des soins sera mise en place sur notre territoire avec différentes structures partenaires et/ou des professionnels de santé du 1er recours (médecins généralistes, sages-femmes, gynécologues, radiologues, ndlr), du 2ème (professionnels référents, de ville ou en établissement de santé, participant à un ou plusieurs centres multidisciplinaires référents, ndlr) et du 3ème recours (centre de recours chirurgical composé d’experts en endométriose, Ndlr). Les femmes concernées auront donc un diagnostic de proximité. »
Marion Lausberg, coordonnatrice de Voyelle, déploiera ce maillage territorial avec la collaboration des partenaires (associations agrées de patientes…), structures de santé et professionnels de santé du territoire. Elle poursuivra également son travail de prévention et d’information sur le terrain auprès des personnes touchées par cette maladie mais également auprès de leurs proches. « Il faudra toujours expliquer comment vivre avec et comment gérer de la douleur » constate-t-elle.
Lorsque la mécanique sera bien huilée, le déroulement s’effectuera comme ceci : le 1er recours réalise le diagnostic, puis adresse les patientes au 2ème recours si une solution efficace n’est pas trouvée et enfin au 3ème recours, représenté sur le territoire par le CHIPS et le Centre Hospitalier de Versailles. « Ce que nous souhaitons – avec le Docteur Pierre Panel – c’est de s’occuper des cas les plus complexes avec des formes multi-organes ou avec prise en charge d’une fertilité complexe » détaille le Professeur.
Si ces deux établissements de santé ont été choisis comme « experts », c’est parce que les deux hommes collaborent depuis 2008 sur la prise en charge de l’endométriose et abondent une base de données communes sur les patientes prises en charge et leurs symptômes. « Et lorsque ces formes-là arrivent chez nous, un chef d’orchestre va définir un plan thérapeutique avec à la clef des réunions de concertation pluridisciplinaire pour confirmer ou infirmer ce plan. Et à l’issue de cette synthèse, la démarche et le parcours médical seront validés avec la personne concernée » poursuit le gynécologue-obstétricien.
Pas de traitement miracle mais des guérisons possibles
Ce parcours permettra-t-il à toutes les femmes atteintes d’endométriose de ne plus ressentir de douleurs ? Le Professeur Arnaud Fauconnier rappelle un élément important : « une chirurgie bien conduite, faite de façon complète et non mutilante reste efficace à 50 %, avec 30 % de chance de récidive. Elle revient parfois car elle a réussi à s’implanter sur d’autres organes, parfois parce que la chirurgie n’a pas été faite assez largement – sans abîmer des organes – et que certains brins sont encore présents ». Par ailleurs, il existe également des traitements hormonaux pouvant « suspendre » l’évolution de la maladie comme les pilules qui bloquent les cycles menstruels. Malgré cela, les douleurs peuvent subsister car chaque forme d’endométriose peut être différente d’une patiente à une autre.
Cependant, toutes les douleurs n’ont pas comme origine l’endométriose. « Il ne faut pas chercher de l’endométriose là où il n’y en a pas. Beaucoup de femmes ont des brins qui ne vont rien produire, et cela même chez des personnes fertiles. Il faut s’intéresser à ce que j’appelle les syndromes endométriosiques, avec des kystes, des douleurs et des lésions qui se voient » rappelle le chef du service gynécologie obstétrique du CHIPS. De plus, d’après des données et des essais randomisés effectués dans les années 1990, 1/3 des femmes vont voir leur endométriose régresser spontanément. Et surtout cette maladie ne rime pas avec infertilité.
Théoriquement, avec des nouveaux professionnels de santé sensibilisés à l’endométriose, un référencement d’experts sur le futur site internet de la filière régionale d’Île-de-France et un territoire de santé correctement maillé, l’errance médicale se réduira au fil du temps. Tout est donc fait dans l’intérêt des patientes mais les pouvoirs publics et les autres acteurs concernés ne devront pas oublier le nerf de la guerre – les investissements – pour que ces filières de soins restent optimales.
L’endométriose, qu’est-ce que c’est ?
L’endométriose est une maladie bénigne au sens médical du terme, c’est à dire qu’elle n’engage pas le pronostic vital de la patiente, mais est extrêmement douloureuse avec 70 % de douleurs invalidantes et constituant un handicap invisible. Il n’y a pas de corrélation entre l’intensité de la douleur ou le type d’endométriose. En effet, une endométriose superficielle peut être très douloureuse en raison de la présence de nombreux nerfs.
Elle se définit par la présence de muqueuse utérine (l’endomètre) en dehors de l’utérus et qui migre vers les organes voisins pour s’y greffer (péritoine, ovaire, trompe, intestin, vessie, uretère, diaphragme…) et qui réagit à chaque cycle menstruel et sous l’influence des modifications hormonales. Il est impossible de comprendre cette maladie sans prendre en compte la théorie de la régurgitation dite « théorie de l’implantation ». Lors de la menstruation, sous l’effet des contractions utérines, une partie du sang est régurgitée dans les trompes pour arriver dans la cavité abdomino-pelvienne. Cette théorie expliquerait la majorité des atteintes d’endométriose.