Combattre les LGBTIphobies sous toutes leurs formes

Confection de drapeaux arc-en-ciel, fresque de personnes ouvertement LGBT ou ayant participé à la lutte pour leurs droits, atelier participatif et conférence, contrairement à de nombreuses communes, Carrières-sous-Poissy s’est mobilisée le 17 mai, à l’occasion de la journée internationale contre l’homophobie et la transphobie. « Nous sommes une ville engagée par nature, sur toutes les formes de discriminations, avec un tissu politique qui ne laisse place à aucune ambiguïté » clame Eddie Aït, le maire carriérois. Une initiative locale nécessaire puisqu’en 2022 ­l’homophobie tue toujours.

Dans son dernier rapport – dédié à Lucas, jeune adolescent ayant mis fin à ses jours en janvier 2023 après avoir été victime de haine LGBTIphobe et de harcèlement scolaire – SOS Homophobie pointe une augmentation des violences physiques envers les personnes LGBTI+ de 27 % par rapport à l’année précédente, ce qui correspond à une agression tous les deux jours. Par ailleurs, 2022 marque la première année où cette association a mis en ligne une plateforme d’aide accessible 7 jours sur 7, 24 heures sur 24. Ce dispositif permet d’apporter des premières réponses aux utilisateurs et utilisatrices, en leur proposant une série de questions les menant à une fiche d’information à propos de leur besoin spécifique, ainsi que les contacts d’organisations pouvant leur apporter le soutien nécessaire. 3 035 utilisateurs uniques l’ont utilisée et entamé le parcours de réponse aux questions : 1 813 parce qu’ils avaient besoin d’aide, 1 222 car ils se questionnaient. Il serait tentant de qualifier ces discriminations comme d’un autre temps, pourtant l’Histoire démontre qu’une forme de tolérance existait auparavant.

Dépénalisée QUE depuis 40 ans

« Durant le Moyen-âge, certains saints du christianisme ont eu une dualité de genre, même si c’est un peu anachronique de dire cela. De plus, au sein de la cour du roi de France, nous pouvions remarquer une grande frivolité des vêtements » explique Guillaume Doizy. Ce spécialiste de l’histoire de la caricature et du dessin de presse date un changement de paradigme à partir du milieu du XIXème siècle avec l’arrivée de la psychanalyse. Celle-ci caractérise l’homosexualité comme anormale et propose comme traitement des lobotomies, des séances d’électrochoc voire des ablations d’organes génitaux. « C’est également à ce moment-là que le côté binaire comme la couleur rose pour les filles et le bleu pour les garçons apparaît » ajoute-t-il. Dans le même temps, les premières lois condamnant les comportements homosexuels apparaissent, mais des villes comme Paris, Londres, New-York et Berlin comptent des cafés, des bars, dans lesquels la communauté LGBT pouvait vivre ouvertement sa sexualité.

En France, Pétain fait voter une loi en 1942 durcissant la lutte contre les relations homosexuelles. Et malgré la Libération, elle reste maintenue. Pis encore, certains préfets dressent des circulaires pour empêcher tout travestissement ou empêcher des danses entre personnes du même sexe. Une véritable homophobie règne même au sein des partis politiques, qu’ils soient Gaullistes ou Communistes puisqu’à cette époque, l’URSS imposait la famille traditionnelle comme norme sociale. Toutefois des avancées vont pointer le bout de leur nez.

La première marche des fiertés débarque à Paris en 1977, et la dépénalisation des relations homosexuelles arrive enfin cinq ans plus tard. C’est surtout le mariage pour tous – dont nous avons fêté le 10ème anniversaire – qui reste dans toutes les têtes. « Toutefois, il ne faut pas oublier dans quel climat il a été obtenu » rappelle Eddie Aït. Autre fait pour Guillaume Doizy, une circulaire Blanquer de 2019 qui permet aux élèves transgenres d’être mieux pris en charge, même si la réalité est toute autre.

De l’homophobie vers la transphobie

SOS Homophobie s’inquiète d’un « pic de violence » à l’égard des personnes trans, que ce soit en ligne (18 % des cas), dans leur cercle familial (15 % des cas) et dans des commerces ou services (20 % des cas). « Chez moi dans l’Aisne, des militants homophobes ont déployé une banderole de 10 m « protégeons nos enfants de la folie des LBGTQIA+ » » déplore le caricaturiste, « en 2013, le chiffon rouge c’était le mariage homosexuel qui allait détruire la famille et la morale, aujourd’hui c’est la transidentité. » Le Rassemblement National veut même « capitaliser » sur cette haine pour trouver des alliés. Le parti fondé par des collaborationnistes a lancé une structure pour lutter contre l’intégration des femmes transgenres dans les catégories féminines et cherche à développer un réseau transpartisan. Et face aux médias, certains de leurs élus comme Jordan Bardella n’hésitent pas non plus à parler de lobby LGBT.

SOS Homophobie pointe une augmentation des violences physiques envers les personnes LGBTI+ de 27 % par rapport à l’année précédente. (Crédits : Mairie de Carrières-sous-Poissy)

« Celles et ceux qui parlent de lobby LGBT déshonorent des luttes fondamentales, celles de minorités pour le droit d’exister sans discrimination ni tabassages, en les faisant passer pour la défense cupide d’intérêts particuliers » s’insurge le maire de Carrières-sous-Poissy. Guillaume Doizy renchérit : « C’est une vieille technique pour décrédibiliser des mouvements. Si une telle chose existait, les membres du gouvernement ouvertement homosexuels seraient alors beaucoup plus actifs sur la thématique LGBT. » Eddie Aït va même plus loin : « Il a été composé et mis en musique par l’extrême-droite qui, de la Russie de Vladimir Poutine aux États-Unis de Donald Trump en passant par l’Europe de Victor Orban, compose, lui, un vrai lobby anti-LGBT ».

Autre lieu de résistance, le sport

Le sport – et en particulier le football – reste un monde à part. À ce jour, seuls trois footballeurs ouvertement homosexuels sont encore sur le pré – Jakub Jankto, Josh Cavallo, Jake Daniels – en France, Olivier Rouyer a dévoilé son orientation sexuelle à la fin de sa carrière tandis qu’en Angleterre, Justin Fashanu s’est donné la mort suite à un harcèlement médiatique au début des années 90. Surtout, une nouvelle polémique est survenue le week-end du 13 et 14 mai à l’occasion de la 35ème journée de Ligue 1 lorsque plusieurs joueurs ont refusé de jouer à cause d’un flocage aux couleurs du Rainbow flag ou du brassard de capitaine de la même teinte. « Ce brassard ne dit pas je suis gay mais je m’engage contre les discriminations » rappelle Eddie Aït. Quant à Guillaume Doizy, il regrette le côté symbolique puisque d’un côté les fédérations restent frileuses vis-à-vis de chants contenant des phrases homophobes et qu’aucune prévention n’est réalisée dans les centres de formation. L’éducation, un autre secteur où le bât blesse.

« Même s’il y a des lois, nous ne faisons pas de travail en amont. L’Etat ne fait aucun effort pour mettre des moyens. Des directeurs d’établissements n’osent pas faire intervenir des associations de peur de voir des mobilisations comme à Rennes dernièrement. Ils leur laissent malheureusement le champs libre » constate l’historien. Autre point notable et directement lié, l’éducation à la sexualité. « J’ai des enfants de 10 ans qui ne savent pas comment on fait des enfants et qui n’ont pas de réponses à toutes leurs questions sur cette thématique » s’exclame-t-il. Une ignorance terrible puisque les statistiques démontrent qu’un jeune LGBT est beaucoup plus sujet à la dépression voire aux ­tentatives de suicides.

Localement, l’édile carriérois s’implique et compense les manques étatiques : « La formation des agents de plusieurs services (Etat Civil, jeunesse et le CCAS) sera renforcée. Ils participeront prochainement à une action de sensibilisation aux problématiques rencontrées par la communauté LGBT+. Nous avons également des logements dédiés pour des jeunes homosexuels mis à la porte par leur famille. » Même si les mœurs évoluent dans le bon sens, de nombreuses actions doivent donc être mises en place pour tendre vers une atmosphère paisible.