Samuel Paty, la peur de l’oubli

L’émoi national qu’a provoqué l’assassinat de Samuel Paty avait poussé des politiciens locaux à jouer la carte de la surenchère. Très vite, Pierre Bédier, le président LR du Département, ainsi que Laurent Brosse, le maire LR conflanais, se disaient favorable au changement de nom du collège du Bois d’Aulne par celui du professeur d’histoire-géographie. Trois ans plus tard, les actes n’ont pas suivi les paroles. C’est ce que fustige Paul Marion, habitant de Conflans-Sainte-Honorine et président de l’association les Amis de Samuel Paty. « Initialement, je ne comptais pas m’engager sur cette voie-là, mais comme je ne voyais aucun hommage à la hauteur du drame, je me suis lancé » raconte-il. Avant de rédiger les textes officiels de son association, il s’assure d’avoir l’approbation des proches de la victime : « J’ai contacté leur avocate, maître Virginie Leroy, et je me suis assuré que nous étions sur la même longueur d’onde. »

Le 11 octobre 2021 – alors que la date « anniversaire » de l’attentat approche – il rencontre Laurent Brosse. Si au début l’échange est cordial, il finit par se tendre à cause de la divergence de point de vue. Lui rappelant ses dires de l’année précédente, Paul Marion constate que l’édile a changé son fusil d’épaule concernant le changement de dénomination de l’établissement scolaire. « Il m’indique qu’une partie des professeurs et des parents d’élèves sont contre et trouvent cela trop tôt » regrette le président de l’association. Des propos que le maire confirme dans un communiqué qu’il a partagé lui-même sur le réseau social Twitter le jeudi 18 mai. Toutefois, le Conflanais décide d’en avoir le cœur net et contacte les associations des parents d’élèves du collège du Bois d’Aulne. L’une d’elle lui tient un discours identique.

Un traumatisme toujours présent

Paul Marion se tourne alors vers le rectorat de Versailles et rencontre le directeur de cabinet de la rectrice qui lui fait part des mêmes réticences. « Je comprends leur point de vue alors et je leur propose un engagement pour la rentrée 2024 ou 2025, lorsqu’il n’y aura plus d’élèves présents durant l’attentat. Même pour cela, ils sont incapables de se positionner » s’insurge-t-il. Une apathie et une sobriété commémorative qu’il constate même dans les cérémonies dédiées à Samuel Paty dans la commune où il exerçait : « J’avais contacté C215, un graffeur réalisant des fresques murales qui était prêt à en faire une bénévolement à Conflans pour le deuxième anniversaire. Je le mets en contact avec l’équipe municipale et cela finit en lettre morte six mois plus tard. À la place, un buste devait être inauguré au niveau du collège mais n’a pas été dévoilé. Il y a presque de l’auto censure. »

De son côté, Laurent Brosse se défend. Toujours dans son communiqué, il rappelle qu’une cérémonie organisée par la Ville a lieu tous les ans le 16 octobre, qu’un monument en forme de livre ouvert et illustré de caricatures sur la liberté d’expression se trouve sur la place de la Liberté et que ce week-end, le collectif Cartooning for Peace est intervenu dans la commune afin de parler des caricatures.

Au-delà de cela, Paul Marion a comme une impression de déjà vu, où l’envie de ne pas faire de vague avait conduit le professeur d’histoire-géographie à se retrouver seul, sans le soutien franc et massif de ses collègues comme l’a révélé le livre « les derniers jours de Samuel Paty » de Stéphane Simon. « Je ne conteste pas le fait qu’il y ait un traumatisme et je respecte cela. Mais d’autres villes de France ont osé. Là c’est comme si le terrorisme avait gagné » fustige l’ancien collégien du Bois D’Aulne, « cela fait presque 3 ans, et j’ai peur que plus le temps passe, plus son nom finisse dans l’oubli. Il y aura toujours un voisin, un frère, un professeur toujours présent lors de l’attentat alors allons de l’avant dès maintenant. »