Agressions, menaces : maire, une fonction ingrate ?

« La fonction de maire est la plus ingrate de la République ». Ces mots, prononcés par le maire de Sénas Philippe Ginoux, dont la maison fut incendiée en 2021, sont lourds de sens. Ils sont pourtant révélateurs du quotidien des élus locaux qui, depuis plusieurs mois voire plusieurs années, sont victimes d’un nombre croissant de menaces et d’agressions en tout genre. Un phénomène mis en lumière par la démission du maire de Saint-Brévin (Loire-Atlantique), Yannick Morez, qui a vu sa maison incendiée par des membres d’extrême droite hostiles à l’installation d’un centre d’accueil pour demandeurs d’asile sur sa commune.

Depuis, on ne compte plus les actes d’agressions sur des édiles de tous les territoires : Édouard Babel, maire de Magnières (Lorraine), a été roué de coups par une dizaine d’individus il y a à peine plus d’une semaine après être intervenu pour tapage nocturne. Encore plus récemment, le vendredi 9 juin l’édile de Pont-Hébert dans la Manche, Michel Richomme, s’est vu assener un coup de poing dans le ventre par un de ses administrés.

Les agressions verbales et physiques à l’encontre d’élus ne datent pas d’hier, bien qu’elles aient drastiquement augmenté ces derniers mois (+32 % entre 2021 et 2022). Bon nombre d’élus locaux de la Vallée de Seine ont d’ailleurs été victimes de faits similaires au sein de leur commune, notamment à Magnanville.

Au mois de juillet 2021, le maire (DVG) de la commune Michel Lebouc est d’abord menacé par téléphone par un habitant en colère qui le prévient : « Attends mon gros con, j’arrive ». Quelques minutes plus tard, l’individu tient parole en se présentant en mairie, et attrape l’édile par le cou. Après l’agression, la police retrouvera un cutter dans sa poche : cet échange houleux aurait pu se conclure de manière dramatique. « J’en suis à ma cinquième plainte pour menaces de mort, déclare un Michel Lebouc excédé. Ce ne sont pas des faits innocents. Ce sont des choses qu’on banalise souvent, mais qui font qu’à un moment, on se retrouve dans une situation difficile pour nous et ceux qui nous entourent ».

Lors de son mandat de maire de Poissy, Karl Olive, désormais député des Yvelines (Renaissance), a lui aussi été la cible de menaces et d’agressions « graduellement importantes », selon ses propres mots. Des individus déséquilibrés sont allés jusqu’à l’attendre sur la place de la République couteau à la main, ou encore surveiller son domicile nuit et jour et toquer à sa porte, tout en laissant des lettres de menace dans sa boîte aux lettres. « Quand on est maire et qu’on s’engage, ça fait partie de la panoplie, regrette-t-il. Mais de là à vouloir s’en prendre physiquement, être insulté et harcelé, c’est compliqué pour l’élu et aussi pour sa famille ».

Ces situations parfois intenables ont poussé 1 293 maires à rendre leur écharpe à mi-mandat. Une éventualité qui n’a jamais traversé l’esprit de Karl Olive. « Jamais, à aucun moment, je n’ai songé à quitter la vie politique, assure le député. Il se trouve que dans les Yvelines, on a la chance d’avoir un Préfet efficace et réactif. Il y a un travail qui est effectué en synergie avec la police, la DDSP… J’ai notamment bénéficié d’une surveillance discrète en 2019 ». S’il assure lui aussi ne pas vouloir « abandonner », bien que ça lui ait « traversé l’esprit », le maire de Magnanville Michel Lebouc exprime de son côté de grosses réserves quant à la l’efficacité de la protection des élus locaux. « La police n’a pas les moyens de protéger les élus que nous sommes, constate l’édile. Je ne leur en veut pas, car ils sont submergés, mais il faut au moins que nous soyons protégés judiciairement ».

En réponse aux nombreuses agressions survenues ces dernières semaines, le Gouvernement, via la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales Dominique Faure, a annoncé à la fin du mois de mai la mise en place d’un « pack sécurité », visant à renforcer la protection des élus locaux. Parmi les solutions proposées, la création d’un réseau de plus de 3 400 référents « atteintes aux élus » dans toutes les brigades de gendarmerie et les commissariats, le renforcement du dispositif « Alarme élu » qui permet aux élus qui se sentent menacés de se manifester auprès de leur commissariat ou de leur gendarmerie, ou encore l’amplification de la démarche « d’aller-vers » des forces de l’ordre pour permettre aux élus locaux de déposer une plainte, ainsi que la mobilisation de la plate-forme PHAROS pour mieux détecter et judiciariser les violences en ligne.

Si Karl Olive souligne l’importance de « la protection fonctionnelle » et se satisfait que « les choses apparaissent dans la loi », Michel Lebouc a une lecture quelque peu différente de cette annonce. « C’est de la com, c’est pas la réalité, s’insurge-t-il. Venez sur le terrain, pour voir comment on se fait insulter ! Regardez les plaintes qu’on porte, les menaces dangereuses ! On a dépassé ça, on veut être aidés juridiquement ». S’il y a bien un point sur lequel les élus s’accordent, c’est sur le manque de fermeté des sanctions. « Quand on touche un élu, on touche la République », s’indigne l’élu pisciacais.

Alors, est-elle vraiment ingrate, cette fonction de maire ? Bien qu’il ait quitté son bureau à l’hôtel de Ville, Karl Olive estime que le mandat de maire est « le mandat le plus beau ». « Quand on est maire, on sait qu’on est à portée d’engueulade. On est confronté tous les jours aux échanges avec les administrés, parfois on n’est pas d’accord, ça fait partie du job. Mais s’en prendre aux élus, c’est inadmissible ».

« Quand je me suis investi en politique, j’ai toujours dit que le mandat de maire était le plus beau mandat, poursuit Michel Lebouc. Maintenant, je suis en train de m’interpeller par rapport à ce que j’ai dit. L’État a tout fait pour nous mettre en responsabilité, c’est facile de la faire porter à d’autres ». Quel que soit notre point de vue, les incivilités à l’égard des élus constituent bel et bien un symptôme du climat social et politique du pays.

La faute à un « effet Covid » ?

La fonction en elle-même fait que les maires ont toujours été « à portée de baffe » sur le terrain. Toutefois, la recrudescence des actes de violences à leur encontre interroge sur les raisons qui poussent les agresseurs à passer à l’acte. Karl Olive et Michel Lebouc pointent tous les deux du doigt ce qui pourrait avoir provoqué cette hausse de la violence : la pandémie de Covid-19. « Les gens sont excédés, et le Covid a accéléré cela, observe le maire de Magnanville. Quand on voit ce qui se passe au niveau national, on voit que les gens sont en colère, qu’ils ont lâché la politique politicienne. On se retrouve dans une situation très compliquée. Les élus que nous sommes, nous sommes les plus accessibles aux gens donc ils se lâchent. Parfois à bon escient, mais surtout à mauvais ». « Il a fait beaucoup de mal psychologiquement parlant, enchérit le député des Yvelines. Certains l’ont très mal vécu et ne s’en sont pas remis, même si je considère que c’est ce qu’il fallait faire ».