« Ceux qui ont décidé de saccager et de brûler ont tiré une balle dans le pied à tous les habitants de ce quartier. » En direct sur BFM, Raphaël Cognet, le maire de Mantes-la-Jolie avait les traits tirés le 28 juin après une nuit passée auprès des forces de secours. En question, l’incendie volontaire de la mairie annexe du Val-Fourré. Le symbole est fort. Il marque aussi une escalade dans la violence après la mort du jeune Nahel, tué à Nanterre deux jours auparavant par un policier après un refus d’obtempérer. « Il y avait dans la mairie annexe des agents municipaux en train de travailler. Ils auraient pu mourir. Le feu aurait pu se propager à d’autres habitations et mortellement blesser ceux qui l’ont mis mais aussi ceux qui habitent à côté » s’insurge l’édile.
Grâce aux caméras de surveillance, le déroulé des événements a pu être reconstitué. Entre 50 et 100 jeunes en deux temps se sont d’abord acharnés sur la porte de la mission locale, et ont ensuite mis le feu en introduisant un container poubelles. D’après les images, ils ont également mis une bouteille de gaz à l’intérieur. Puis ce fut le tour de la mairie annexe. Une destruction qui tombe au pire moment puisque l’hôtel de ville sera prochainement en travaux, ce qui perturbera fortement les services municipaux, au détriment de tous les habitants, en premier lieu ceux du Val-Fourré.
Des traces dans toutes les Yvelines
Sur place, les habitants restent interloqués et ne peuvent constater que les autres stigmates de cette nuit agitée. Plusieurs voitures et un engin de chantier ont été brûlés. Plusieurs feux de poubelles, autant de points de fixation des forces de secours, fumaient encore. Dans le même temps, une salle de sport, tout juste inaugurée a été saccagée. Autre événement marquant, l’incendie du Centre des Impôts de Mantes-la-Jolie dans la nuit de vendredi à samedi, juste après le passage de Gérard Darmanin, le ministre de l’intérieur venu avec BFM rendre hommage aux forces de l’ordre. Mais Mantes-la-Jolie n’est pas la seule ville yvelinoise à porter les signes de la colère de ses habitants.
La commune voisine, Mantes-la-Ville, a vu le magasin Franprix situé dans le centre commercial des Merisiers être attaqué trois nuits de suite, la cantine scolaire du même quartier a également été incendiée tandis qu’une quarantaine de jeunes ont pillé le magasin Darty de Buchelay. Les manifestations de cette colère interrogent donc les forces de l’Ordre. Celles-ci sont restées sur le qui-vive toute la semaine et ont procédé à une quarantaine d’arrestations, des jeunes âgés de 14 à 23 ans, tous connus défavorablement des services de police. « Nous sommes sur une criminalité en bande organisée avec un objectif de destruction », indique une source policière « au fil de la semaine, celle-ci a évolué sur une autre logique. Lors de leurs interpellations, les jeunes n’ont pas vraiment résisté… » Alors, qui payera la facture ? Pierre Bédier, le président du Département assure que son institution fera du cas par cas afin de venir en aide aux municipalités.
À plusieurs kilomètres de là, à Chanteloup-les-Vignes, le Territoire d’action départementale a été ravagé par les flammes, ce qui a poussé le directeur général des services du Département, Yves Cabana, à sortir de ses gongs dans un post sur LinkedIn : « Merci au Directeur général adjoint des services et à toutes ses équipes qui ont passé tout un samedi à mettre à l’abri les 600 dossiers des enfants du secteur confiés à l’aide sociale à l’enfance. » Ne mâchant pas ses mots, il a tenu à rappeler le coût de cette exaction, 5 millions d’euros d’argent public partis en fumée avec eux la capacité des services sociaux du Département de poursuivre leurs missions de solidarité sur ce territoire qui en a besoin. Par ailleurs, le poste de police chantelouvais a été attaqué.
Des torts partagés
La Mairie s’est donc mise en cellule de crise afin de ramener le calme dans la ville. Tout d’abord, des maraudes ont été organisées depuis jeudi avec à leurs têtes soit des parents, soit des associations locales. Résultat, depuis vendredi, aucun événement notable n’était à signaler. De plus, l’équipe municipale et tous les acteurs sociaux chantelouvais ont signé une lettre d’appel au calme publiée sur les réseaux sociaux juste avant le début du week-end. « Prenons soin de ce que nous avons bâti ensemble. La destruction n’est jamais une solution, vandaliser l’espace public c’est s’attaquer au cadre de vie de tous. Nous refusons que notre peine se mue en double-peine » rappelle-t-elle. Mais si certaines villes tendent vers l’apaisement, d’autres ont vu la violence passer un autre cap. Dans la nuit de samedi à dimanche, une voiture-bélier a foncé sur le domicile du maire de L’Haÿ-les-Roses (94), Vincent Jeanbrun, alors que sa femme et ses enfants étaient présents sur les lieux. Une attaque qui a poussé l’Association des Maires de France (AMF) à lancer un appel : un rassemblement citoyen devant chaque mairie afin de réunir les habitants pour le retour à la paix civile.
Lundi à midi, l’intégralité des municipalités de la Vallée de Seine a répondu présent. « Nous avons déjà vécu des moments forts difficiles mais nous avons réussi à les surmonter ensemble » scande Catherine Arenou sur le parvis de l’hôtel de Ville, « les origines des problèmes datent de plusieurs décennies et nous avons tous des responsabilités, et c’est cette chaîne de responsabilité qui peut faire arrêter la violence. » Même son de cloche pour l’édile mantevillois Sami Damergy : « La violence engendre la violence. » Par cinq fois, l’élu utilisera cette expression afin d’accentuer la maxime de la République « liberté, égalité et surtout fraternité » et rappellera que « malgré les désaccords, le dialogue reste primordial ». Sur les réseaux sociaux, les différentes photos démontrent que les citoyens veulent aussi retrouver la quiétude qu’ils connaissaient avant le début des échauffourées.
Mais pour éviter que cela recommence, il faudra un avant et un après. « Il faut absolument repenser les futurs contrats des politiques de la ville, revoir la place des quartiers dans la République et surtout retravailler la relation entre les jeunes et la Police » explique Catherine Arenou. Paul Picard, ancien maire PS de Mantes-la-Jolie de 1977 à 1995 acquiesce en ce sens : « En 1991, j’ai fait des propositions au ministère de la ville pour travailler à fond sur les services publics mais seulement un quart du chemin a été fait. Nous payons les trois quart aujourd’hui. » Un retour également à l’union sacrée où chacun ose avouer ses fautes et avancer vers l’avant. Et retrouver l’unité alors qu’une cagnotte de la honte organisée par l’extrême-droite dépasse le million d’euros afin de toujours vouloir aggraver les clivages.