« Nous sommes ici pour évoquer un projet important, et qui ne semble pas faire l’unanimité ». Les rires jaunes qui ont suivi ces premiers mots de Marc Honoré, maire d’Achères (DVD), lui donnent raison. Et c’est le moins que l’on puisse dire. Cela faisait des semaines que les membres du collectif « Non au pont d’Achères » attendaient cette réunion publique sur le fameux projet de liaison entre la RD30 et la RD190, organisée le lundi 28 août à l’espace Boris Vian d’Achères. Cette rencontre, qui a rassemblé plusieurs dizaines de personnes, était l’occasion pour le Département des Yvelines de présenter en détail le projet aux riverains, avec pédagogie, après des années de conflit.
D’abord, un peu de contexte. Vieux d’une quarantaine d’années et déclaré d’utilité publique en 2013, le projet dit du « pont d’Achères » prévoit la création d’une route d’environ 3,4 kilomètres, à 2×2 voies, traversant les communes d’Achères, Carrières-sous-Poissy, Chanteloup-les-Vignes et Triel-sur-Seine. Celle-ci relierait les voies existantes de la RD30 et de la RD190, qui seraient elles-mêmes requalifiées sur 2,4 kilomètres.
« Ce projet d’envergure a été imaginé pour décongestionner le trafic, et permettre de circuler dans de meilleures conditions » assure Marc Honoré qui, même s’il admet que des « inquiétudes et questions légitimes » ont été posées, « il faudra un jour passer à l’exécution ». En effet, les riverains s’inquiètent de la dégradation de leur qualité de vie et de la hausse de la fréquentation de leur quartier après l’aboutissement d’un tel projet.
Dans les faits, qu’est ce qui rend ce projet aussi indispensable aux yeux du maître d’œuvre, le Département des Yvelines ? L’un des arguments avancés est le désengorgement du centre-ville de Poissy, constamment surchargé de véhicules. Sans parler de l’arrivée du tramway 13 à l’horizon 2026. « Comme vous le savez, dans Poissy, les circulations sont saturées à longueur de journées, souligne Corinne Seniquette, directrice des mobilités au Département. Île-de-France Mobilités a fait les études de circulation pour regarder comment ils allaient mener les travaux d’insertion du T13, et elles ont montré qu’il fallait que le pont d’Achères soit réalisé, d’abord pour qu’ils puissent réaliser les travaux dans des conditions de circulation acceptables, puis pour optimiser la circulation du tramway ».
Un argument qui n’a fait que conforter le sentiment d’injustice des riverains, qui se sentent délaissés au profit des habitants de Poissy. « Si vous nous dites que les 200 millions d’euros servent aux Pisciacais, et bien bravo pour les Pisciacais qui sont favorisés par rapport aux Achérois, aux Carriérois, aux Andrésiens… » ironise un habitant en colère, sous les applaudissements de l’assemblée.
Le vice-président du conseil départemental en charge des mobilités, Richard Delpierre, assume. « Évidemment, comme dans tous projets, il y a des dégâts collatéraux, reconnaît-il. Mais il y a aussi l’intérêt général. Ces infrastructures sont nécessaires en termes de mobilité ».
Outre la circulation dans la cité Saint-Louis, l’autre grand enjeu de ce projet est de désenclaver la boucle de Chanteloup, qui « présente des problèmes quotidiens de congestion », en vue de « faciliter son développement » selon le Département. Des arguments déjà connus de la plupart des habitants hostiles au projet qui, après avoir écouté dans le calme la première partie de la présentation, commenceront à faire entendre leurs voix au moment d’aborder le fameux pont enjambant la Seine, qui cristallise la plupart des tensions.
L’un des appuis de l’édifice sera en effet situé sur l’île de la dérivation, entre Carrières-sous-Poissy et Achères. Le Département assure que celui-ci sera situé « à l’extrémité nord de l’île, là où il n’y a pas d’habitations ». Pas de quoi rassurer les riverains. « Il y en a à côté, à même pas 100 mètres », peste l’un d’entre eux. « Vous devriez venir voir ce qu’il en est, avant de raconter n’importe quoi », vocifère un autre.
Et le sujet des appuis du pont n’est pas le seul à les inquiéter : de tels travaux posent forcément des questions sur la préservation de la faune et de la flore. Sur ce point, le Département a tenté de rassurer les plus inquiets, avec des mesures prises dès le début des travaux. Le diagnostic d’archéologie préventive sera réalisé entre septembre et novembre 2023 pour respecter les calendriers biologiques des espèces, tandis que l’abattage de certains arbres sera encadré par un écologue qui veillera à la préservation des chauves-souris pouvant y nicher. Et cerise sur le gâteau, sur l’île de la Dérivation, l’abattage sera réalisé « manuellement » et « à l’aide de chevaux », afin de réduire les nuisances, avant évacuation par voie fluviale. De quoi provoquer l’hilarité générale et de nombreux applaudissements ironiques dans le public. « Arrêtez de nous prendre pour des cons », réplique même l’un d’entre-eux.
Une autre mesure a été, cette fois-ci, mieux accueillie. Le Département a prévu d’aménager 27 hectares de compensations écologiques qu’il promet de gérer pendant les 50 prochaines années. « Dans un environnement qui pour partie aujourd’hui ne peut plus accueillir de culture vivrière et qui subit des dépôts sauvages, le Département aménage 3 sites de compensation écologique qui permettront notamment de recréer des habitats favorables aux espèces protégées », assure le maître d’oeuvre. Celles-ci se trouveront aux Groues du Cerf, sur la rive droite de la Seine au niveau de Carrières-sous-Poissy, puis au niveau de la plaine de Rocourt.
La question des nuisances sonores est elle aussi revenue un bon nombre de fois sur la table. Les opposants au projet s’inquiétaient que le niveau de bruit dépasse les limites autorisées avec l’augmentation du trafic. Afin de réduire ces potentielles nuisances, des barrières acoustiques seront érigées tout le long du pont, ainsi que sur une bonne partie de la RD30.
Si ce projet d’ampleur avait tout d’une chimère depuis des années, les premiers coups de pioches n’ont désormais jamais été aussi proches. Comme précisé plus haut, les travaux préparatoires (défrichement, archéologie préventive) débutent en ce mois de septembre. Les travaux de voirie, eux, commenceront au début de l’année 2024, et marqueront le top départ de 4 années de chantier qui devraient arriver à leur terme en fin d’année 2027.
À l’arrivée, pas de miracle : cette réunion publique n’aura pas réussi à apaiser les tensions entre deux camps qui paraissent plus irréconciliables que jamais. En témoignent les dégradations constatées dès le lendemain, sur le chemin de halage de Carrières-sous-Poissy : des messages d’opposition au projet ont été appliqués sur plus de 80 mètres, à l’aide d’une peinture permanente. Impossible, donc, de réparer les dégâts sans refaire toute la zone dégradée, ce qui devrait coûter pas moins de 20 000 euros. Un tarif d’autant plus salé quand on sait que cette portion de route a été rénovée pas plus tard que cet été, pour la modique somme de 70 000 euros. Si les pouvoirs publics espéraient une accalmie, nul doute que la gronde est bien partie pour durer.