Attentat de Magnanville : Mohamed Lamine Aberouz condamné à la réclusion criminelle à perpétuité

Depuis le 25 septembre, le procès de Mohamed Lamine Aberouz se déroulait au palais de Justice de Paris. Accusé de complicité lors des attentats de Magnanville, le Muriautin a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Ses avocats ont fait appel.

Durant 15 jours, la salle Voltaire du palais de Justice de Paris a vu des débats « houleux mais dans le respect de la Justice » commente Vincent Brengarth, l’avocat de Mohamed Lamine Aberouz, et il ne pouvait en être autrement. Depuis le 25 septembre, son client comparaissait pour une éventuelle participation à l’attentat de Magnanville, un choc des extrêmes, avait donc lieu au sein de la cour. D’un côté un homme accusé de complicité d’assassinats sur personnes dépositaires de l’autorité publique en lien avec une entreprise terroriste, qui n’a pas hésité à déclarer que « sa vision de l’islam était incompatible avec la République française. » De surcroît, il se présentait à cette audience alors qu’il purge déjà une condamnation de cinq ans de prison pour non dénonciation de crime terroriste, lors de la tentative d’attentat aux bonbonnes de gaz sur le parvis de Notre-Dame de Paris. En face de lui, les proches du couple Schneider/Salvaing, eux qui représentaient cette même république française de par leur fonction : Jessica était agente administrative au commissariat de Mantes-la-Jolie, Jean-Baptiste commissaire de Police à celui des Mureaux. Les peines demandées accentuaient cette impression. Les avocates générales requéraient la réclusion criminelle à perpétuité avec une peine de sureté de 22 ans, tandis que Maîtres Brengarth et Arnaud l’acquittement pur et simple. Chacun ayant des arguments à faire valoir.

Lors de leurs plaidoiries, les représentantes du parquet mettent en avant la trace d’ADN « pure » retrouvée sur l’ordinateur de Jean-Baptiste Salvaing. Elles pointent également le bornage du téléphone de l’accusé sur une antenne d’Hardricourt alors que s’il se trouvait chez lui ou à la Mosquée de Bizet – lieu qu’il fréquente régulièrement – celles de Chapet ou des Mureaux auraient dû le détecter. D’ailleurs, pour nier sa participation aux meurtres des fonctionnaires de police, le Muriautin a toujours clamé sa présence au sein de l’édifice religieux. Toutefois son alibi est mince. Peu de personnes l’ont vu, et ceux qui soutiennent le contraire sont ses frères. « Lorsque sa famille a été interrogée, nous avons eu des festivals de mensonges et d’incohérences, avec énormément de preuves de connivence. Comme une leçon apprise mais surtout mal récitée » s’insurge l’une des ­avocates.

Un faisceau de preuves

Le comportement global de Mohamed Lamine Aberouz fait naître plusieurs soupçons. Le soir du 13 juin 2016, il s’empresse de supprimer son compte Telegram, réinitialise son téléphone et va cacher son passeport ainsi que ceux de sa famille chez une connaissance. « Il a peur. Il est conscient d’être radicalisé mais sait pertinemment que cela ne lui vaudrait aucune poursuite » explique l’une des femmes de loi, « en revanche, en faisant partie des proches de Larossi Abballa, il connaît les procédures et il n’est pas exclu qu’il se soit débarrassé de preuves accablantes ». Durant son interrogatoire pendant le procès, Mohamed Lamine Aberouz est tantôt affirmatif, tantôt balbutiant. Sur la question du téléphone, c’est « ni oui, ni non », puis il est « sûr de l’avoir donné à un de ses frères » et enfin à nouveau « certain à 99 % de l’avoir eu sur lui ce soir-là. »

Dernier élément à charge, les souvenirs de l’enfant du couple Schneider/Salvaing. La psychologue relate les reconstitutions où le garçon de 3 ans et 9 mois à l’époque indique qu’il y avait « un homme qui voulait le tuer et un autre non. » Car sa vie n’a tenu qu’à un fil. Larossi Abballa a bel et bien hésité à ajouter une troisième victime dans sa folie sanguinaire et ne fut stoppé que par un sondage sur les réseaux sociaux où des femmes djihadistes lui ont ordonné de ne pas toucher à l’enfant.

Pour terminer cette première salve de 4 heures, l’avocate générale ajoute une anecdote. « J’étais là il y a quatre ans (pour le procès de l’attentat déjoué du parvis de Notre-Dame, ndlr) » déclare-t-elle « il n’a pas changé, aucune introspection, toujours cette position victimaire. » Mohamed Lamine Aberouz reste stoïque dans son box, levant à peine la tête malgré ce réquisitoire envers sa personne. « Ce verdict, toute la société l’attend. Nous sommes tous Jean-Baptiste Salvaing et Jessica Schneider, nous avons tous été touchés en plein cœur par leur assassinat » conclue-t-elle. Il est midi. Nino Arnaud et Vincent Brengarth sont déjà prêts à se lancer dans la bataille mais il leur faudra patienter jusqu’à 14 h. Dès que Christophe Petiteau, le président de la cour, indique qu’il est l’heure de reprendre, le premier cité s’avance à la barre.

Josiane, la mère de Jessica Schneider, était ravie lors de l’annonce du verdict.

Il se tourne vers son client, le fixe, et commence d’une voix douce, « Mohamed, je te sais innocent » avant de poursuivre : « Tout nous oppose, mais je veux que tu profites d’un dimanche à la plage avec ta famille, car nous sommes là pour faire du droit et non jouer à la guerre civilisationnelle. » Avant de véritablement commencer sa plaidoirie, l’avocat fustige ses consœurs qui « ont usé de beaucoup de créativité », la salle « remplie pour moitié de forces de l’Ordre » tout en amadouant les magistrats : « Je vous sais professionnel et courageux. Car il en faudra pour prononcer l’acquittement. » Les deux hommes du barreau se servent de chaque zone d’ombre afin de rappeler la définition du principe de la présomption d’innocence. « C’est à l’accusation d’apporter des preuves de culpabilités » clame Nino Arnaud haut et fort, « les balbutiements de mon client et ses imprécisions ne peuvent être donc retenus contre lui. » Minutieusement, l’un comme l’autre vont s’attacher à démonter l’argumentaire déclamé quelques heures auparavant. Tout d’abord, ils regrettent amèrement l’entreprise de réhabilitation de Larossi Abballa, soi-disant « agneau égaré » face au « cerveau » de ­Mohamed Lamine Aberouz.

« Larossi Abballa est la voix de Daesh »

Depuis 2011, l’assassin de Jean-Baptiste et Jessica n’a jamais caché son envie de « faire le djihad afin de chasser du kouffar (terme péjoratif en langue arabe désignant celui qui ne croit pas en l’islam, ndlr) » De plus, 5 ans avant le véritable attentat de Charlie Hebdo, il projetait déjà un funeste destin à Charb, Cabu et consort. Durant ses multiples incarcérations il menace les surveillants pénitentiaires – preuve de son envie « déjà présente » de tuer des représentants étatiques – en précisant le nombre de filles de l’un d’eux dans le but de lui signifier qu’il dispose de renseignements personnels. Il provoque aussi des émeutes en hurlant des appels à la prière. Les gendarmes et forces de l’Ordre qui le croisent le décrivent comme un leader charismatique. Même Éric Gigou, le commandant adjoint du Raid lors de l’attentat de Magnanville, signalait « un homme déterminé, calme, lucide » lors des négociations le soir du 13 juin 2016.

Larossi est un chef qui n’hésite pas non plus à écarter des acolytes déviant de son islam hyper rigoriste. Par exemple, s’ils écoutent de la musique ou fréquentent trop de femmes. Et « son ami Mohamed Lamine Aberouz » ? Lui et l’aîné de l’accusé, Charaf Eddine, se moquaient allégrement de lui. « Tu crois qu’il peut épouser religieusement Sarah ? » se demande le futur tueur. « Ce n’est pas un mauvais garçon » réplique le frère. « Mais il vit encore chez sa mère et n’est pas très riche » rétorque le premier. Chaque témoignage s’accorde à dire que l’accusé est un croyant qui ne passerait jamais à l’acte. « C’est Larossi Abballa la voix de Daesh » assène Maître Brengarth.

Furieux du verdict, Maître Brengarth a annoncé dès mercredi son intention de faire appel.

Concernant les preuves, les avocats du prévenu exploitent quelques incertitudes. « L’ADN, l’alpha et l’Omega de l’accusation » tonne Maître Brengarth, « mis en évidence 1 seule fois sur 245 prélèvements sur les lieux du crime. » Il s’appuie sur les propos d’Olivier Pascal, le président de l’IFEG (laboratoire nantais qui analyse les scellés envoyés par les enquêteurs dans l’espoir d’y trouver des traces d’ADN, Ndlr) : « Nous ne pourrons jamais conclure scientifiquement s’il s’agit d’un transfert. Scientifiquement, nous n’avons aucun élément pour aller dans un sens ou dans un autre. » Le bornage à Hardricourt ? En 2016, alors que Mohamed Lamine Aberouz se trouvait à la Mosquée de Bizet, il est arrivé une fois que le téléphone s’appaire avec l’antenne de la commune yvelinoise. Puis Vincent Brengarth s’attarde sur le témoignage de l’enfant avec une voix plus douce. « Mohamed c’est le petit singe ? » demande-t-il en parlant des reconstitutions sous forme de dessins et de figurines du petit garçon « et le chevalier blanc qui le sauve pourrait très bien symboliser le RAID ». Même la psychologue abonde dans ce sens : « Les traumatismes peuvent multiplier les monstres. »

Pas encore la fin du calvaire

« Qu’est-ce qu’il vous reste finalement ? Un homme qui n’a que l’islam en tête et dont on pourrait dire qu’il n’y a pas de fumée sans feu ? Mais ce n’est pas cela le droit » s’exclame Maitre Arnaud. Pour le mot de la fin, il faut attendre le lendemain, entre 9 h 30 et 9 h 45. Mohamed Lamine Aberouz répète la même chose qu’en début de procès : « L’homme qui a commis les crimes est Larossi Abballa. Je le dis et je le répète. En me condamnant, rien ne sera réparé et cela ne fera que détruire des familles supplémentaires. Je vous adresse tout ce qui me reste de compassion après des années d’isolement de dureté et de broyage ». Le verdict doit arriver à partir de 16 h mais dans le palais de Justice, tout le monde est déjà sur le qui-vive.

Le mot « à partir » prend tout son sens puisqu’il faut patienter jusqu’à 18 h 45 pour entendre la sentence. Le Muriautin se lève une dernière fois pour entendre la phrase fatidique. « Sur les 16 questions auxquelles nous devions répondre, la cour a répondu oui à l’intégralité et vous condamne à la prison à perpétuité avec une peine de sureté de 22 ans » annonce Christophe Petiteau. Les avocats de la défense sont désabusés, un sentiment qu’ils partagent dès leur sortie de l’audience. « Les questions qui lui ont été posées n’étaient pas à charge et à décharge, comme on le fait pour n’importe quel citoyen » s’exclame Vincent Brengarth, « quelqu’un a été condamné pour complicité alors que nous ne savons même pas ce qu’il aurait fait sur les lieux. Une juridiction écrit l’histoire ! » Josiane, la mère de Jessica Schneider, arrive peu de temps après et réitère « sa confiance en la justice qui a été rendue à la hauteur du drame et de la souffrance ». « Jessica et Jean-Baptiste sont à mes côtés. Nous ne sommes pas dans la revanche, ni dans la vengeance. Le reste, il faudra le gérer soi-même et cela reste assez lourd » dit-elle d’une voix pleine d’émotion. Une lourdeur qui reviendra : Maîtres Brengarth et Arnaud ont décidé de faire appel.