Emploi : les jeunes sont-ils vraiment devenus trop exigeants ?

Salaires, conditions de travail, horaires… À en croire de nombreux recruteurs, la nouvelle génération n’est plus encline à faire des sacrifices pour la carrière professionnelle, et accorde plus d’importance à sa vie personnelle. Serait-ce la preuve d’une certaine paresse des jeunes aujourd’hui, ou d’une évolution inévitable du marché du travail ?

Mélissa Tisserand travaille en tant que consultante en recrutement pour l’agence d’intérim Start People, basée à Limay et Orgeval. Récemment, elle reçoit la visite d’un soudeur d’une vingtaine d’années, à la recherche d’un emploi. « Il demandait qu’on lui propose un poste à 70 000 euros l’année, avec deux ans d’expérience, se souvient-elle. On lui a donc fait comprendre qu’il fallait revoir ses prétentions salariales ».

Au forum de la réussite de Limay, qui s’est déroulé le mercredi 11 octobre au gymnase Delaune, la conseillère a pu croiser de nombreux recruteurs du territoire. Et chez une majeure partie d’entre eux, le constat est le même : le rapport de force entre le recruteur et le candidat s’est inversé, et celui-ci ne semble plus motivé à l’idée de faire des sacrifices pour sa vie professionnelle.

Cette baisse d’implication, Élisabeth Messager l’a d’abord remarquée chez la nouvelle génération. L’assistante RH de Keolis regrette que les jeunes ne soient « pas assez persévérants ». « Je ne dirais pas que c’est une génération de fainéants, c’est juste que la priorité du travail n’est plus number one, observe-t-elle. Ils ne vont pas faire des heures pour faire des heures, ils ont d’autres priorités. Quand il faut travailler le week-end et avoir des horaires décalés, c’est plus compliqué ».

Au restaurant McDonald’s de Limay, on fait la même observation. « Au quotidien on essaie d’arranger tout le monde : soit on leur change les horaires, on essaie de modifier leurs disponibilités et de leur faire plaisir quand on le peut, mais des fois, c’est compliqué, admet une assistante administrative. Ils ne restent pas très longtemps. Soit c’est trop dur, soit ils n’ont pas envie de se lever, ils veulent avoir leur soirée… ».

Mais le problème ne viendrait-il pas d’ailleurs ? À en croire Mélody Forsain, manager de projet RH chez Aldi présente au forum de l’emploi  les jeunes ne sont pas les seuls à revoir leurs exigences à la hausse. « C’est vrai qu’on est sur une génération qui a de nouvelles ambitions, mais c’est quelque chose que je vois chez tout le monde, observe-t-elle. Tout le monde est plus proche de son équilibre entre la vie ­professionnelle et la vie perso ».

Alors quel chamboulement, survenu ces dernières années, aurait bien pu faire évoluer à ce point les mentalités ? Peut-être un événement qui a changé notre quotidien à tous, un certain virus par exemple. « Il y a l’avant covid et l’après, avoue Élisabeth Messager. Avant, chez Kéolis, on avait une cinquantaine de personnes qui venait aux réunions d’informations collectives. Maintenant, on est content quand on en a 15 ». « Ça a eu beaucoup d’impact, enchérit l’assistance administrative chez McDonald’s. Avant, les personnes qui entraient dans l’entreprise étaient motivées, investies… Après le covid, beaucoup moins. Le fait de rester à la maison, de pas vraiment travailler, je pense qu’on y a pris goût ».

La cause pourrait également être différente, si on écoute les arguments d’un responsable emploi de la SNCF, lui aussi présent sur le stand de sa société au forum de l’emploi limayen. « Il y a plus d’exigences parce que le rapport de négociation sur le marché du travail a basculé, analyse-t-il. Aujourd’hui avec la baisse du chômage, il y a moins de ressources, et donc moins de profils pour chaque offre d’emploi. Du coup, quelqu’un qui a les compétences requises est en position de négocier un équilibre vie pro/vie perso, du télétravail pour les emplois qui peuvent le permettre, de meilleurs salaires, ou des avantages sociaux que les entreprises peuvent, ou pas, accorder. C’est plutôt ce point de bascule qui fait qu’on a des demandes différentes de ce qu’on avait avant ».

Le « Forum de la réussite » de Limay accueillait une soixantaine de stands.

Dans ce cas-là, pour rester attractives, les entreprises ont la nécessité de faire un pas vers eux, et donc de s’adapter. Chez Kéolis, on aménage les horaires, on fait de nouveaux contrats de travail « avec plus de souplesse », et on tente d’améliorer l’ambiance au travail, avec par exemple une refonte de la salle de détente à Ecquevilly et l’organisation d’événements. « Toute la branche transport a augmenté ses salaires, ses services », ­souligne ­Élisabeth Messager.

Le plus important reste de trouver, et de garder un équilibre entre l’amélioration des conditions de travail et la pérennité des affaires de la société. « On essaie de se rapprocher au maximum de leurs critères, assure la consultante en ­recrutement Mélissa Tisserand. On leur fait comprendre qu’il faut faire des compromis, qu’on ne peut pas tout avoir ».

« Dans certains corps de métier, on ne peut pas avoir plus de souplesse, parce qu’au delà d’attirer les candidats, il faut attirer les clients, ajoute Mélody Forsain à propos de son expérience chez Aldi. En magasin, on ne peut pas s’accorder à nos collaborateurs en disant on va faire du 8 h-midi, et faire du chiffre d’affaires derrière. On fait beaucoup de communication interne pour qu’ils puissent comprendre le contexte, au delà de l’entreprise mais le contexte dans lequel on est actuellement, ce que les consommateurs attendent ».

Dans le fond, difficile d’en vouloir aux personnes souhaitant privilégier leur temps libre, et ainsi leurs proches et leur vie de famille. « Je comprends que les gens n’aient pas envie de se lever pour rien, concède Mélissa Tisserand. La vie est dure, mais je pense que malheureusement, la société fait qu’on materne un peu les gens, on ne les pousse pas à découvrir qui ils sont, et qu’est-ce qu’ils ont envie de faire. Je trouve qu’on ne les pousse pas assez, et qu’on leur donne trop d’outils pour rester à la maison ».

D’où l’intérêt de ces salons dédiés au recrutement : après Limay le 11 octobre, c’est la salle Jacques Brel de Mantes-la-Ville qui accueillait son forum de l’emploi, de l’insertion et de la création d’entreprise, le jeudi 19 octobre. Un événement qui trouve tout son intérêt au sein d’un territoire toujours autant touché par le chômage, et qui permet de mettre directement en relation les ­recruteurs et les candidats.

« On sait ici qu’on est dans un territoire sinistré au niveau de l’emploi, déplore le maire Samy Damergy. On compte parmi les 12 quartiers en politique de la ville de GPSEO, avec malheureusement deux sur le podium de tête, et avec une particularité sur le quartier dans lequel où nous nous trouvons, où il y a plus de 50 % de personnes en recherche d’emploi. Il est important de pouvoir accompagner et trouver toutes les structures possibles dans ces phases de recherche d’emploi, et ce format est plutôt dynamique ».

La semaine dernière, à Poissy, deux autres événements aux formats différents ont été organisés dans le but d’attirer de potentiels candidats : une animation « Zoom sur les métiers de la logistique et du transport » sur la place de la République, et un job dating « insertion par le sport », avec pour but de révéler les compétences des jeunes grâce à des activités sportives, puis de les mettre en relation avec les entreprises présentes. L’une des possibles clés pour que les deux parties fassent un pas vers l’autre.