« Nous n’en pouvons plus des atermoiements et des reports. Une fois de plus, le Comité interministériel des Villes (CIV) prévu le 9 octobre dernier a été reporté pour convoquer dans l’urgence un Conseil national de la refondation (CNR) « postémeutes » dont il n’est rien ressorti de concret. » Le 18 octobre, l’association des Maires Ville et banlieue de France – dont Catherine Arenou, l’édile de Chanteloup-les-Vignes, est la vice-présidente – fustigeait les actions de l’État, ou plutôt ses non-actions envers les quartiers prioritaires. Neuf jours plus tard à 8 h tapante, Elisabeth Borne débarquait enfin dans la cité chantelouvaise avec 13 autres membres de son gouvernement. La haute fonctionnaire commençant son tour de la ville par le centre social Espoir. Sur la table, le sujet des cités éducatives. Autour, les différents membres qui la composent : les associations, les parents d’élèves et les professeurs.
Et avec deux complexes de ce type – la cité Champeau et la future cité Simone Veil dont la livraison est prévue en 2026 – Chanteloup-les-Vignes est bien placée pour en parler. Bocar So, le directeur du centre social, détaille leur importance : « Avant [la cité éducative], l’école était un tiers-lieu dont les parents ne savaient pas comment investir » explique-t-il, « cela leur a permis de connaître les professeurs, la proviseure. Ils ont compris que la scolarité n’était pas seulement le sujet de l’Éducation nationale mais l’affaire de tous. » Par ailleurs, il a également mis en évidence d’autres problèmes comme le manque de professeurs dans les écoles primaires de la ville. « Il manque aussi un professeur de technologie dans chacun des collèges » renchérit Laurence Goumeaux, présidente du « Collectif Parents ». Par ailleurs, elle a également monté le projet « Chantelivre » qui préfigure une future bibliothèque. « Une des réflexions récurrentes des parents est « ma fille n’aime pas lire ». Alors il faut leur donner cette envie » assène celle qui est cheffe d’entreprise dans la vie de tous les jours. Une envie bel et bien présente puisque la bibliothèque éphémère installée dans la cité Champeau, a vu 149 prêts de livres en deux jours.
Les QPV enfin inclus dans la transition écologique
La visite de Chanteloup-les-Vignes se poursuit. Elisabeth Borne rencontre les habitants, dialogue avec les commerçants et arrive au Phenix, le lieu du CIV, aux alentours de 10 h 30. 2 h 30 plus tard, elle se présente au pupitre pour détailler les futures mesures. « Les inégalités demeurent et nous ne pouvons pas nous y résoudre. Il faut donner des réponses et des perspectives aux plus de 5 millions de Français qui vivent dans les quartiers » clame-t-elle dans son discours d’introduction, « améliorer concrètement la vie des habitants, c’est s’intéresser à toutes les politiques publiques, les mobiliser toutes ensemble pour construire un nouvel avenir ». Après le volet répression de la veille, place maintenant au volet social donc. La première annoncée porte sur le fond vert. Alors que les personnes résidant dans les QPV sont celles qui subissent le plus le dérèglement climatique, notamment à cause des passoires thermiques, l’ancienne directrice de la RATP, en réponse à cela, compte doubler la part du fonds vert investie dans les quartiers, avec un objectif de 15 %. Et 24 nouveaux quartiers s’ajoutent au programme « Quartiers Résilients » dont faisait déjà partie Mantes-la-Jolie.
« Notre deuxième priorité est l’emploi et l’activité économique. La politique de la ville est née du chômage de masse et de la désindustrialisation. Alors la perspective du plein emploi doit arriver dans ces quartiers » poursuit la cheffe du gouvernement. Persuadée que les quartiers populaires regorgent de talents, elle annonce qu’un nouveau programme d’accompagnement à la création d’entreprise – « Entrepreneuriat Quartiers 2030 » – verra le jour ainsi que des moyens décuplés pour l’insertion dans l’emploi. Un dispositif porté par Bpifrance et la Banque des territoires, doté de 456 millions d’euros sur quatre ans.
Une enveloppe de 300 millions sur 3 ans, dont la moitié bénéficiera aux habitants des quartiers, est aussi allouée en faveur des associations. Une bonne nouvelle pour un monde associatif qui pallie régulièrement les manques de l’État. « Nous aidons autant que possible et nous dépassons un peu notre fonction car nous aidons à réaliser les démarches pour la CAF ou la CPAM… c’est compliqué de les avoir car ils ne sont là qu’une fois par semaine » indique Bocar So.
Le directeur du centre social Espoir manifestait également son envie de voir plus de cités éducatives : « Les résultats sont très bons mais c’est vrai que Chanteloup-les-Vignes, c’est 10 000 habitants et tous les partenaires se connaissent. » Elisabeth Borne semble aussi y croire puisqu’une généralisation progressive du projet porté en 2018 par un groupe de travail national au ministère de la Cohésion des territoires et par le rapport Borloo est prévue. En outre, toujours dans le volet éducation, les collèges seront désormais ouverts de 8 h à 18 h dès la rentrée 2024 et les jeunes pourront retrouver le chemin de l’école dès la dernière quinzaine d’août dans les quartiers. Alors, avec toutes ces mesures, est-ce que l’appel de Lyon a été entendu ?
De l’espoir couplé à de la vigilance
« Nous avons enfin eu l’attention particulière obtenue de la part du gouvernement pour une politique très large. La précarité d’habitat financière, sociale, éducative devait être prise en compte et nous avons eu la déclinaison d’une série de mesures » répond Catherine Arenou avec un large sourire. L’une des mesures qu’elle attendait le plus était sur la transition écologique : « 15% du fonds vert sur nos quartiers, c’est ce que nous avions demandé. Cela n’avait jamais été retenu alors que c’est dans nos quartiers qu’il fait le plus chaud en été et le plus froid en hiver. Les habitants ont eu des augmentations de charges considérables alors qu’ils ont déjà des problèmes à réaliser des économies (30 % des habitants de Chanteloup-les-Vignes vivent sous le seuil de pauvreté, ndlr). Et en plus ce sont les moins pollueurs. »
Toutefois l’édile chantelouvaise attend de voir comment va être effectué le ciblage de cette transition écologique. Elle a aussi mis en garde sur le label « Cité éducative » qui n’est pas qu’une formule magique. « Il faut une collectivité qui porte le sujet, des éducateurs qui ont envie de le développer et du périscolaire qui joue le jeu. » explique-t-elle. La doctoresse se veut certes résolument optimiste, « dans les banlieues nous avons de l’espoir sinon nous ne vivrions pas longtemps », mais sera vigilante.
Un sentiment que partage Ali Rabeh. Le maire de Trappes reste même plus dubitatif : « Quand on voit la litanie des mesures annoncées ce matin, et les annonces de la Première ministre jeudi, je ne vois pas de mesures fortes. Les ingrédients qui ont fait l’explosion de colère sont toujours là. » Il pointe notamment l’absence d’un vrai volet sur l’accès à la culture.
Un constat que partageait Laurence Goumeaux durant la réunion du centre social Espoir. « Nous n’avons pas besoin d’une culture élitiste. Par exemple, j’avais préparé une sortie à Versailles juste en présentant la partie historique et en expliquant comment ils vivaient à l’époque de la Révolution française… » détaille-t-elle. Mais le Trappiste était surtout remonté contre les 300 millions promis au monde associatif : « C’est du recyclage de mesures déjà annoncées. On vient de supprimer 15 000 emplois aidés qui bénéficient aux associations. » L’appel de Lyon a finalement eu ses réponses et n’attend plus que de les voir se concrétiser.