L’uniforme, remède miracle aux maux de l’Éducation nationale ?

Lors de la rentrée scolaire, l’uniforme est revenu sur le devant de la scène. Le ministre de l’Education nationale, Gabriel Attal, s’est prononcé favorablement à des expérimentations dans des écoles volontaires. Dans la vallée de Seine, la Ville de Poissy s’est manifestée pour tester une solution sensée ramener l’esprit républicain et gommer les inégalités.

C’est un marronnier à chaque rentrée scolaire : le port de l’uniforme dans les écoles. Mais avec les émeutes de l’été dernier et les nombreux cas de harcèlement scolaire qui émaillent l’actualité, celui-ci a pris une plus grande dimension et semble être la solution idoine pour pallier de nombreux problèmes. Si l’année dernière, le ministre de l’Éducation nationale Pap Ndiaye s’était prononcé contre, son successeur, Gabriel Attal, souhaite véritablement mettre le sujet sur la table. L’ancien porte-parole du Gouvernement a même annoncé le 4 septembre qu’il dévoilerait en automne les modalités de l’expérimentation pour les établissements volontaires. Et il n’y a pas que le locataire de la rue de Grenelle qui voit l’uniforme d’un bon œil. Selon le sondage IFOP-2017, 63 % des Français se disent favorables au « retour de l’uniforme à l’école ». Par ailleurs, en s’attardant sur les tranches d’âge, nous remarquons que les 18-24 ans sont les moins nombreux (40 %) à être pour, et que les 65 ans sont les plus enclins à apprécier cette idée (74 %)…

Toutefois, il est impératif de s’attarder sur un aspect sémantique : en cas de texte sur la manière d’habiller tous les écoliers, il s’agirait bel et bien d’une « application » et non d’un « retour ». Seuls les lycées publics de garçons créés par Napoléon Bonaparte en 1802 imposaient l’uniforme, et cela jusqu’en 1914. Vous pouvez même les admirer au musée national de l’Éducation (Munaé), à Rouen. La tenue se compose d’une veste aux boutons jaunes en métal sur lesquels est inscrit le mot « Lycée », d’une chemise et d’un bas de pantalon. Il est également agrémenté d’un collet (un bandeau en tissu entourant le cou) et d’un parement (des étoffes ornant le bas des manches). Le tout dans un mélange de bleu céleste et de bleu roi, donnant une impression très militaire, ce qui était clairement le but. En effet, ces lycées avaient des coûts élevés d’inscription et ne devaient former que l’élite française.

Poissy, le doigt sur la couture

Gabriel Attal invite les élus volontaires à entrer en contact avec le gouvernement pour travailler sur cette expérimentation. Le lendemain de son annonce, Sandrine Berno dos Santos devrait prendre son combiné puisqu’elle a confirmé que la Ville de Poissy était candidate à l’expérimentation de l’uniforme, ou tenue unique, dans les établissements scolaires. « Il faut réaffirmer la laïcité et lutter contre le fléau du harcèlement » clame-t-elle, « la tenue uniformisée, c’est également l’opportunité d’effacer les inégalités. » Selon elle, il pourrait aussi être un formidable outil pour apaiser nos établissements et faciliter les apprentissages. « Alors essayons » s’enflamme l’édile pisciacaise.

Voir la cité de Saint-Louis répondre favorablement à l’appel du ministre de l’Éducation nationale n’est pas une surprise puisqu’elle dispose déjà d’une structure imposant l’uniforme : le cours La Galiote. Cet établissement scolaire privé, ouvert depuis novembre 2020, fait partie du réseau « Espérance banlieue » où dans chacune des 17 écoles, les élèves s’habillent avec un polo et un sweat estampillé du logo de l’école. « Cela permet de développer un sentiment d’appartenance et favorise l’esprit de cohésion » explique Charlotte Fourdinier, la directrice de l’établissement. Mais pour se parer d’un tel accoutrement, il faut le mériter : « Les élèves doivent le mériter. Ils doivent comprendre le fonctionnement de l’école, faire des efforts, et quand c’est acquis, il y a une cérémonie où nous leur remettons l’uniforme. »

L’édile pisciacaise Sandrine Berno dos Santos a été une de premières maires à vouloir participer à l’expérimentation de l’uniforme dans les établissements scolaires

« Les nouveaux arrivants les obtiennent en quinze jours environ » ajoute Sylvaine Lefebvre, la présidente de l’association Espérance banlieue à Poissy, « et ceux qui ne l’ont pas encore manifestent leur impatience ». De plus, l’une comme l’autre avancent que l’uniforme rend plus sereins les parents, « ils savent déjà comment habiller leurs enfants, cela retire l’angoisse des marques ». Par ailleurs, afin de mettre tout le monde sur un pied d’égalité, les professeurs portent aussi un polo aux couleurs du cours la Galiote.

« Arrêter avec les mesures gadgets »

Benjamin Lucas, le député de la 8ème circonscription, reste sceptique : « Je suis contre, surtout parce qu’il y a des urgences plus sérieuses au niveau de l’Éducation nationale. Il faut arrêter les mesures gadgets ». L’ancien secrétaire général de Génération.s pointe tout d’abord du doigt le trop grand nombre d’élèves par classe. D’après les chiffres du gouvernement il y a en moyenne 21,6 élèves par classe en élémentaire, 25,9 élèves par classe dans les formations en collège et 30,3 élèves par classe dans les formations générales et technologiques au lycée. Alors qu’au cours la Galiote, ils sont 11 maximum. « Les parents nous remontent souvent les progrès faits en peu de temps » souligne Charlotte Fourdinier. « Ce n’est pas parce que vous habillez différemment un enfant que ses conditions d’étude changent » s’offusque l’élu, « j’aimerais qu’il y ait un droit aux vacances, car sinon, il y aura toujours cette inégalité entre celui qui part voir la mer et celui qui reste chez lui. »

Le député de la 8ème circonscription Benjamin Lucas aimerait surtout plus de moyens pour l’Éducation Nationale

Le député pense que pour retrouver un sentiment d’appartenance à la République française, il faudrait que la promesse de celle-ci – la liberté, l’égalité et la fraternité – soit de nouveau tenue. Selon lui, si les jeunes ont cette impression d’être abandonnés, c’est parce qu’ils ne voient pas notre devise dans leur quotidien : « On leur enlève des services publics, on leur promet un avenir dans la précarité et il y a de la tension liée au racisme ». Concernant la laïcité, il s’appuie sur les textes de loi déjà présents. « Il y a une très belle loi de 2004, celle aussi de 1905, pourquoi rajouter des choses » se questionne le député, « je ne vois pas en quoi il faut rajouter des choses et je ne veux pas qu’on fasse la police du vêtement. Tout le monde doit se conformer au respect de la loi que cela soit à l’école ou en dehors. » Enfin, sensible sur la question du harcèlement scolaire, il remarque qu’aucune étude ne démontre que ce fléau s’amoindrit avec un ­uniforme.

« Cela ne règlera bien évidemment pas toutes les problématiques de l’école et il faudra juger à l’usage » abonde en son sens Sandrine Berno do Santos. Même son de cloche au cours la Galiote : « Nous le savons qu’il y aura toujours une différence entre l’élève qui aura la dernière montre connectée et celui qui n’en aura pas. » L’élu de la 8ème circonscription conclut : « L’enjeu devant nous c’est « ok tu mets l’uniforme » mais si derrière, les enseignants ne sont ni soutenus ni bien payés, que le périscolaire n’a pas plus de moyens, tout cela restera abstrait. Et il est de notre responsabilité à nous les politiques de redonner un sens à la ­République. »