Durant une semaine, les événements survenus au collège Jacques Cartier d’Issou ont nourri l’actualité, accentués par un autre survenu le même jour : le verdict des six mineurs impliqués dans l’affaire Samuel Paty. Si les débats ont tourné autour des valeurs républicaines, les lignes les plus importantes restent celles du courriel envoyé par l’équipe éducative aux parents d’élèves et qui ne mentionne en rien l’incident concernant l’œuvre d’art : « Le mal-être perceptible, la multiplication des incidents et l’augmentation des cas de violence caractérisent désormais le quotidien de notre établissement. » Coïncidence ou non, une dizaine de jours avant les faits, le 28 novembre, le syndicat FSU-SNUipp 78 lançait une alerte nationale. Selon eux, le point de rupture a été atteint et les écoles des Yvelines – comme celles des 102 autres départements – font face à une accumulation de difficultés inédites du fait de la dégradation des conditions de travail des personnels. Une dégradation tout d’abord provoquée par la difficulté de recruter des professeurs.
« C’est le plus beau métier du monde » clame Sandrine Lair, directrice académique des services de l’éducation nationale (DASEN) au sein de l’académie de Versailles, « mais les politiques ont fortement écorné cette image » objecte Bastien Deschamps, co-secrétaire départemental au sein de la FSU-SNUipp 78 et également instituteur à l’école élémentaire Paul Raoul. Si les discours pour faire passer les instituteurs de fainéants sont nombreux, les données du Ministère de l’Éducation démontrent le contraire. Un enseignant travaille environ 42h par semaine et prend 28 jours de travail sur ses vacances. « Ils ont tellement écorné la représentation de la profession que cela fait 3 ans qu’il manque entre 400 et 600 personnes par an dans l’académie de Versailles » se lamente le syndicaliste. La DASEN partage le même constat : « Nous peinons à remplir le concours pour obtenir des professeurs titulaires. Certains candidats s’inscrivent sur plusieurs académies et ne se présentent donc pas. Mais c’est un problème national. » Toutefois, cela n’empêche pas d’avoir « un enseignant derrière chaque classe » comme le demande le Ministère.
Le professeur de CM2 tempère. S’il réalise le même constat, Bastien Deschamps avance que cela est permis grâce à l’utilisation complète de la brigade de remplacement. Alors que celle-ci devrait avoir quelques personnels titulaires remplaçants encore en réserve afin de palier les absences dues aux formations, maladies, congés liés à l’arrivée d’un enfant… Le recrutement de contractuels a également réussi à combler les trous. « Au mieux ils sont recrutés durant les grandes vacances et sont formés 4-5 jours alors que nous c’est 2 ans » explique Bastien Deschamps, « mais beaucoup déchantent car ce n’est pas un métier qui s’invente. »
Il prend comme exemple le défilement de ce type de professeurs sur une classe de son établissement il y a quelques années ou à l’école Pierre Corneille de Gargenville, où un contractuel a démissionné peu de temps après la rentrée : « Il a fallu répartir ses 30 élèves dans les 3 classes restantes, il y a 40 élèves par classe en maternelle. » Sandrine Lair n’est pas du même avis, « ce ne sont pas des professeurs au rabais ! ». La DASEN explique que le concours exceptionnel de 2022 réservé aux contractuels avec 15 mois d’ancienneté pour devenir professeur titulaire ont démontré qu’il y avait beaucoup de qualités. Par ailleurs, les effectifs sont même en croissance : sur les 350 présents lors de la rentrée scolaire 2023-2024, 200 étaient déjà là l’année dernière.
Mais pour recruter plus, la question des salaires revient souvent sur la table. « Un étudiant spécialisé en maths avec un BAC+5 va préférer émarger à 3 000 euros dans une banque plutôt que 1 800 euros en tant que professeur » synthétise le syndicaliste. Et même s’il concède que les fortes augmentations du revenu des enseignants depuis septembre 2023 (174 à 251 € nets par mois dans le 1er degré, quels que soient leur statut, leur corps ou leur ancienneté ndlr), cela ne comble pas le retard pris depuis plus de 20 ans. : « À cause du gel du point d’indice, les enseignants ont perdu 20 % de pouvoir d’achat. »
L’inclusion, un défi qui manque de moyen
Autre situation qui les met en souffrance : l’inclusion des élèves en situation de handicap mental. « Nous sommes pour car c’est une vraie avancée sociétale » précise Bastien Deschamps, « mais il ne faut pas une marche forcée sans y associer de véritables moyens. » Parmi les revendications du syndicat, la demande d’unité spécialisée pour la prise en charge d’enfants neuroatypique – UEMA (unités d’enseignement maternelle autisme) et UEEA (unités d’enseignement élémentaire autisme) – où il n’y a que 10 élèves maximum par classe. « Au sein d’une classe de 25, c’est intenable pour eux. Donc ce sont des gamins qui hurlent parce qu’ils sont en grande souffrance et les classes se transforment en cocotte-minute » raconte-t-il. C’est ce qui s’est passé à Verneuil-sur-Seine dernièrement. Le 24 novembre, une majorité de parents d’élèves n’ont pas amené à l’heure leurs enfants à l’école Jean Jaurès pour dénoncer le manque de moyens dédiés à l’accompagnement de 2 enfants atteints de troubles du comportement en CP.
Cela implique de recruter des accompagnant des élèves en situation de handicap (AESH). Le professeur de CM2 rapporte que le plafond d’emploi a été atteint cette année mais que l’académie a demandé plusieurs rallonges. « Cela reste des métiers précaires – elles gagnent entre 700 et 800 euros pour 24 h de travail – et c’est pour cela que nous demandons une vraie reconnaissance du métier avec des formations et la création d’un statut dans la fonction publique » plaide le co-secrétaire départemental de la FSU-SNUipp 78. De plus, il faut également plus de places dans les instituts médicoéducatifs (IME), ce que les familles peinent à obtenir. Par ailleurs, Sandrine Lair insiste sur un nouveau profil d’élève, appelé éruptif, pas forcément défini comme en situation de handicap mais qui met tout de même l’école en situation de tension. « Quand nous avons des enfants très complexes, nous ne pouvons pas décider une déscolarisation sans trouver des solutions alternatives » explique-t-elle. Mais les tensions peuvent également provenir d’en dehors des établissements scolaires.
« Chacun doit rester à sa place. Le parent n’a pas à dire à un enseignant comment faire, on ne dit pas à un boulanger comment faire le pain » s’agace la DASEN des Yvelines, qui évoque de plus en plus de remise en cause des cours dans le second degré. Même si elle tempère en rappelant que cela ne concerne qu’une minorité de parents, elle assure qu’elle n’hésitera pas à utiliser la protection fonctionnelle à chaque fois qu’il le faudra.
« Un choc des savoirs »
Le 5 décembre, le ministre de l’Éducation nationale a annoncé une série de mesures pour provoquer son « choc des savoirs ». Tout d’abord en finir avec le tabou du redoublement. « Oui la deuxième année d’un élève redoublant est toujours meilleure, mais la recherche en pédagogie démontre que les problèmes peuvent réapparaître les années suivantes » s’offusque Bastien Deschamps. Selon lui, la vraie problématique est le traitement de la difficulté scolaire : « Comment nous permettons à ces élèves de travailler en plus petit groupe avec des enseignants spécialisés dans la prise en charge de cette thématique ? ». Il fustige notamment la destruction des réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED).
De son côté, Sandrine Lair se veut rassurante. Elle assure avoir l’équivalent de 150 classes de ce type disponibles dans les Yvelines, « un territoire où les RASED sont le plus important », mais la directrice académique admet qu’il n’est pas uniforme sur tout le 78. Elle attend surtout les évolutions des modalités de recrutement. Depuis 2022, les concours du premier et du second degré sont accessibles après un bac+5 et le ministère situé rue de Grenelle envisagerait de les ramener en fin de licence, puis de former les lauréats sous statut de stagiaire pendant deux ans.
Cependant, l’ancien porte-parole du gouvernement a présenté fin septembre lors du budget 2024 de l’Éducation Nationale, un plan de suppression de 2 500 postes d’enseignants, justifié par la baisse démographique du nombre d’élèves, estimée par le ministère à 83 000 élèves en moins à la rentrée 2024. Et que les seules créations de postes seront pour limiter les groupes d’élèves de niveaux que le ministre veut mettre en place dans les collèges.