Au petit matin, le soleil traverse les vitraux du bureau du château d’Émile Zola situé à Médan. Le bleu, le vert et le jaune se mêlent, donnant ainsi une ambiance psychédélique à l’intérieur de la pièce. L’écrivain s’assied alors, puis commence à griffonner un bout de papier pour ne pas faillir à sa devise, « pas une journée sans une ligne ». Depuis 1889, la vie de Marie-Madeleine reproduite sur verre orne la forteresse de solitude de l’ardent défenseur du soldat Dreyfus. Non pas que l’auteur soit très croyant – « plutôt agnostique » précise son arrière-petite-fille Martine Le Blond-Zola – la preuve en est : au lieu d’être mis dans un ordre chronologique, les vitraux sont réorganisés de manière « esthétique ».
Le journaliste en est devenu le propriétaire après qu’un ami brocanteur lui ait proposé. Ils proviennent d’une léproserie à Malestroit (Morbihan). C’en était presque une obsession depuis son livre Le Rêve, rédigé un an avant cette acquisition, et qui parle du renouveau du mysticisme en France. Mais il n’en profitera que 3 ans. Le 29 septembre 1902, Zola meurt intoxiqué à cause du monoxyde de carbone s’échappant de la cheminée dans son appartement rue de Bruxelles à Paris. Alexandrine, sa femme, ne peut pas entretenir cette grande propriété et décide de vendre les 4,2 Ha. Les terrains autour des actuels rails de chemin de fer trouvent preneurs mais pas la maison. Elle serait invendable. La cause ? « C’était la maison d’un homme qui avait sauvé un juif » raconte Lionel Burgun, guide conférencier dans la maison-musée depuis avril. Alors elle organise une vente aux enchères avec la maison Drouot afin de vendre le mobilier. La somme totale récoltée se situe aux alentours de 140 000 francs dont 7 000 pour les vitraux. Ils traversent alors l’Atlantique et ne donnent plus aucun signe de vie.
Quand les Rougon-Macquart rencontrent Citizen Kane
Cette histoire, Lionel la narre inlassablement depuis sa prise de fonction. Et à chaque fois il a le droit à la même question : « où sont-ils ? » Lui aussi se le demande, mais le guide conférencier ne pense pas les retrouver. Après tout, Martine Le Blond-Zola aussi les recherche en vain depuis 50 ans. Mais un soir, il se pose devant son ordinateur et se met à la place d’un américain. Dans un moteur de recherche bien connu, il tape les mots-clefs et épluche tous les résultats. Il tombe sur un livre recensant tous les vitraux vendus aux Etats-Unis au début du XXème siècle et remarque alors les photographies d’une chapelle de la Saint David’s school à New York. Eureka ! Il les reconnaît en visitant leur Instagram.
Avant de s’emballer complètement, Lionel doit les authentifier, ce qui est permis grâce à un article du New York Times datant de 2002. Le récit reprend son cours. Le mystérieux acquéreur était en réalité William Randolph Hearst – via un intermédiaire – un des plus grands magnats de la presse qui a inspiré le Citizen Kane d’Orson Wells. Mais ce collectionneur d’art en ignorait totalement la provenance. Lors de sa mort en 1951, sa femme a décidé de les léguer en 1958 à la Saint David’s school car elle et ses petits-enfants ont effectué leurs études là-bas.
Toutefois, l’histoire ne s’arrête pas là. L’article du New York Times était lui-même une bouteille à la mer car sur les 12 vitraux, 2 manquent encore à l’appel. Lionel est à deux doigts de trouver l’acheteur. Il a le ticket de vente et encore plein de monde à contacter afin de clore 120 ans de mystère.