Loi Immigration : Après la cacophonie, deux députés décryptent

Peu avant les fêtes de fin d’année, le projet de loi pour « contrôler l’immigration, améliorer l’intégration » a occupé l’espace médiatique. D’un côté Benjamin Lucas, député de la 8ème circonscription des Yvelines et présent durant la commission de cette loi, de l’autre Bruno Millienne, son homologue de la 9ème circonscription, deux élus aux avis ­tranchés sur ce texte.

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Quelle nécessité y avait-il à faire cette loi ?
Benjamin Lucas : Aucune. C’est la 30ème en 40 ans avec encore plus de répression et dans le but de rendre plus difficile l’accueil et l’accès au territoire car nous serions sous la menace d’une pression migratoire. Or, l’essentiel des migrations se fait entre les pays du Sud et la part d’étrangers vivant en France reste stable. Par ailleurs, dans les mêmes proportions de richesse et de population, nous accueillons moins de migrants que nos voisins européens.

Bruno Millienne : Elle permet de combler les failles, d’intégrer ceux qui viennent légalement, et renvoyer ceux qui viennent illégalement. Je regrette que personne n’ait parlé du Pacte sur la migration et l’asile qui doit être voté à l’Union européenne car il prévoit de faire le tri dès l’entrée sur le sol européen.

Comment s’est déroulée la ­commission des lois ?
B.L. : J’ai l’impression d’avoir vu une majorité présidentielle qui avait déconnecté son cerveau. Nous étions en présence de la droite radicalisée du Sénat qui déroulait son programme et l’extrême-droite qui acquiesçait. Et la Macronie validait cela comme des greffiers alors qu’au départ ils nous avaient dit « essayons de construire un texte d’équilibre entre fermeté et ­humanisme ».

B.M : D’autres élus de gauche reconnaissent que le président de la commission des lois a beaucoup travaillé pour rendre le texte moins dur que celui du Sénat et il comptait sur le débat pour le ­rééquilibrer un peu plus.

Sauf qu’il y a eu la motion de rejet préalable. Quel est votre sentiment sur celle-ci ?
B.L. : J’assume de dire que c’est toujours une grande victoire. C’est la première votée depuis presque 30 ans. Il n’y avait pas de « en même temps » possible alors que c’était la promesse du macronisme en 2017. Il n’a pas réussi à passer les clivages et proposer une autre alternative…

B.M. : C’est un scandale absolu ! La gauche avait la certitude que la droite ou le Rassemblement national ne la voterait pas. Et le lendemain, elle était complètement défaite car Marine Le Pen et ses députés ont joué les passagers clandestins pour valider le texte issu de la commission mixte paritaire (CMP), beaucoup plus proche de celui du Sénat.

Il aurait peut-être fallu l’éviter donc ?
B.L. : Elle aurait eu lieu de toute façon car le texte n’aurait pas été identique à celui proposé par le Sénat. Au lieu de quinze jours de débat, nous avons obligé le gouvernement à agir tout de suite. Et encore, rien ne l’obligeait à convoquer une commission mixte paritaire. La Première ministre aurait pu continuer à utiliser des 49.3 et se confronter à des motions de censure voire retirer ce texte. Là, la majorité a offert une victoire idéologique à Marine Le Pen dixit ses propres mots.

Qu’est-ce que le débat aurait pu changer sur ce texte ?
B.L. : Avec mon groupe, nous avions déposé des amendements en nombre, nous avons débattu de très tôt le matin à très tard le soir lors de la commission des lois. Je comprends l’agacement du gouvernement, il n’avait pas vu arriver la motion de rejet. Honnêtement 30 lois en 40 ans, si nous avions autant d’énergie pour l’Education…

B.M. : Il aurait apporté la voix de gens beaucoup plus nuancés et plus pragmatiques, ce qui est le véritable courage politique. Et surtout qui colle beaucoup plus à la réalité du terrain.

Vos partis s’accusent mutuellement d’avoir utilisé les voix du RN.
B.L. : Une motion de rejet c’est binaire. Tu peux être contre pour plusieurs raisons. Or voter un texte, c’est acquiescer vers un projet politique commun. Emmanuel Macron a trahi son serment humaniste lorsqu’il déclarait qu’il éviterait d’amener les idées de Le Pen au pouvoir.

B.M. : Il y a des mesures beaucoup plus à gauche que celles voulues par Marine Le Pen. Par exemple, l’interdiction de placer des mineurs dans des centres administratifs, faciliter les demandes de visa pour ceux travaillant dans les métiers en tension, les cours de français payés par les patrons et le doublement des titres de séjours. Nous sommes une nouvelle fois dans une espèce de Commedia dell’arte alors que c’est un sujet qui prête à plus de sérieux.

Quelques mesures font polémique…
B.M : Concernant les allocations, il n’y a aucune préférence nationale car c’est pareil pour tout le monde, même pour les Français revenant de l’étranger. Pour le délai de carence de 6 mois pour le regroupement familial, dans la réalité, une personne qui souhaite ramener sa famille sur le territoire français attend 2-3 ans afin de voir si son travail et sa situation sont pérennes. Et il faut le dire aussi, quand les Français vont travailler à l’étranger, ils ne bénéficient pas non plus des prestations sociales directement si elles existent. Sur la caution avec les étudiants, philosophiquement cela reste choquant et je le conçois. Le montant doit encore être fixé par décret et le conseil constitutionnel doit aussi le valider. Ce serait 50 euros, alors qu’en Grande-Bretagne, il faut compter plus de 10 000 euros et c’est pourtant elle qui forme le plus d’étudiants étrangers.

B.L : Je suis déjà contre le fait que des conditions temporelles existent pour le RSA… Actuellement il y a également une promesse de revenir sur l’aide médicale d’Etat. Quel est le but ? Plonger des milliers de gens dans la précarité au lieu de se demander comment récupérer les milliards de fraude fiscale qui nous échappent chaque année ?

Le droit du sol est également remis en cause.
B.M : Je n’aurais jamais tenu ce discours il y a 20 ans. La situation a changé, je vois des jeunes qui ne sont plus dans l’acceptation des droits et des devoirs de la République. Et je parle aussi de jeunes français ! Aujourd’hui, est-ce un crime de demander à des mineurs qui passent majeur leur souhait de faire partie du roman national ? Je ne crois pas.

Le député de la 9ème circonscription des Yvelines (MoDem, à droite), Bruno Millienne, maintient qu’un volet accueil est présent dans cette loi immigration. Benjamin Lucas, député EELV de la 8ème circonscription (à gauche), regrette que la Commission des lois n’ait pas construit un texte « d’équilibre entre fermeté et humanisme ». (DR)

Par ailleurs, le volet économique et les expulsions des étrangers délinquants semblent faire consensus…
B.L. : Sur les métiers en tension, les propositions d’Olivier Dussopt et de Gérald Darmanin étaient très loin des demandes du MEDEF. C’était quelques régulations, alors que c’est mentir au gens de dire que nous pourrons financer notre système social et garantir à la France son niveau économique et social sans l’apport de travailleurs issus de l’immigration. Même l’extrême droite italienne a compris cela. Par ailleurs, il y a déjà un système pénal qui sanctionne les actes délictueux. Je ne suis pas sûr que le retour de la double peine et de la déchéance de nationalité soit une bonne chose pour notre état de droit et nos valeurs républicaines.

B.M : La régularisation pour les métiers en tension va permettre à des travailleurs de ne plus vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de leur tête lorsqu’ils devaient renouveler leurs titres de séjour. Pour les binationaux, François Hollande voulait déjà créer des apatrides. La déchéance de nationalité existait déjà pour des actes de terrorisme, nous ajoutons maintenant les délits sur des porteurs de l’autorité ­publique.

En effet, la déchéance de nationalité provient du Parti Socialiste.
B.L. : Je l’ai combattu sous le quinquennat d’Hollande. Gérald Darmanin aimait bien nous le rappeler. Quant à moi, je lui rappelais les destins politiques des deux instigateurs (François Hollande et Manuel Valls, Ndlr).

Une soixantaine de députés de la majorité a voté contre ou s’est abstenue sur ce texte de loi. Est-ce que cela peut provoquer un clivage dans la Macronie ?
B.M : Cela a été un choc sur le moment mais à la rentrée tout rentrera dans l’ordre. Le problème des parlementaires – que cela soit à l’Assemblée ou au Sénat, c’est que sur des sujets sociétaux majeurs, nous ne pouvons pas lire les projets de loi en diagonale. Il y a un vrai durcissement sur certains sujets mais une véritable ouverture sur d’autres. L’idéologie doit s’adapter aux réalités du terrain. Je reconnais toutefois que je n’aurais pas voté le texte du Sénat.

Voir des membres du Gouvernement avouer que le conseil constitutionnel peut retoquer certains articles donne-t-il une mauvaise image de la majorité ?
B.M : C’est la grande faute des gens de gauche qui posent des motions de rejet systématiquement alors qu’ils disent qu’ils sont prêts à débattre. Le Président prend ses prérogatives et saisit le Conseil constitutionnel pour s’assurer que le texte sera en ­conformité.

Selon vous, qu’est-ce qu’il manque dans cette loi ?
B.L. : Un grand service public de l’accueil et de l’inclusion. L’intégration est un processus civique, un citoyen s’engage car il se sent intégré dans la République. Je suis même pour un élargissement au droit de vote local. Il faut aussi informer ces personnes qu’elles ont sûrement accès à des droits et qui l’ignorent totalement. De plus, il faut mettre des moyens supplémentaires dans l’apprentissage du Français, favoriser l’accueil des étudiants internationaux car c’est ce qui fait rayonner la France internationalement lorsqu’ils reviennent dans leur pays.