Les élus du territoire vent debout contre la Ligne Nouvelle Paris Normandie

Vouée à améliorer la liaison entre la région normande et Paris, la LNPN cristallise les tensions. Les élus de la Vallée de Seine, et plus globalement d’Île-de-France, fustigent un projet coûteux et qui n’apporterait aucun bénéfice au territoire. Pire, la Ligne Nouvelle Paris Normandie viendrait avec son lot de désagréments pour bon nombre de communes.

Un projet « inacceptable ». Tels étaient les mots de la présidence de la communauté urbaine Grand Paris Seine et Oise (GPSEO), Cécile Zammit-Popescu, à la sortie du comité de pilotage de la Ligne Nouvelle Paris Normandie (LNPN) en octobre dernier. Ce projet de longue date, véritable serpent de mer reporté maintes fois, a été relancé l’été dernier par la Première Ministre de l’époque, Élisabeth Borne : en visite au Havre, fief d’Édouard Philippe, l’ex-pensionnaire de Matignon soulignait alors que « réaliser cette ligne nouvelle est une question d’équité ».

Pour retrouver les premières traces de ce grand projet ferroviaire, il faut remonter aux années… 1990. C’est plus précisément au sein du schéma directeur des Lignes à Grande Vitesse de 1991 qu’on retrouve l’origine d’une LGV Normandie, qui quitterait la ligne de Paris-Saint-Lazare au Havre à hauteur d’Achères pour traverser le Vexin, et qui serait ensuite séparée en deux avec une branche vers Rouen, et une vers Bernay (Eure), tout en se connectant à la ligne de Mantes-la-Jolie à Cherbourg. Ce projet fut finalement abandonné au début des années 2000, faute de rentabilité, et tomba ensuite dans les limbes au profit de la liaison rapide Normandie-Val de Seine.

La LNPN réapparaîtra dans les discussions au fil des années, sans pour autant se concrétiser. C’est finalement en cette année 2023 que le sujet est revenu sur la table, plus précisément au mois de mars, quand le Conseil d’orientation des infrastructures (COI) a confirmé la priorité du projet. Selon la SNCF, « la mise en service de cette infrastructure doit améliorer significativement la connexion ferroviaire de la Vallée de la Seine grâce à de nouvelles capacités, tant pour les voyageurs que les marchandises pour plus de reports modaux, plus de résilience du réseau et une offre de service de meilleure ­qualité ».

Concrètement, pour les usagers normands, la SNCF promet donc plus de régularité et de ponctualité, plus de trains, et une réduction des temps de trajet tout en « participant au développement de la vallée de la Seine ». Pourtant, le projet a connu, en avril, un premier opposant de poids. Ou plutôt une opposante : Valérie Pécresse, présidente de la Région et d’Île-de-France Mobilités, s’est dite « fermement opposée » à la Ligne Nouvelle Paris Normandie lors de l’inauguration de la gare de Mantes-la-Jolie, en avril 2023. Une position qu’elle a expliquée plus en détail dans une lettre adressée à Édouard Philippe, maire du Havre. Dans son viseur, la consommation de 280 hectares d’espaces naturels, agricoles et forestiers en Île-de-France que provoquerait le projet, mais aussi l’intention qu’elle prête à l’État « d’inscrire au contrat de plan État-Région francilien 600 millions d’euros, soit un tiers de son enveloppe, pour financer les études, les acquisitions foncières de la LNPN et le projet de saut-de-mouton de Saint-Lazare qui accompagne ce projet ».

Une prise de position mal reçue en Normandie, et qui a fait des émules : les élus de la Vallée de Seine, Cécile Zammit-Popescu en tête, lui ont emboîté le pas. « La Normandie s’oppose fermement à ce que les trains normands s’arrêtent à Mantes, au prétexte que notre territoire accueillera prochainement le RER E, assurait-elle dans un communiqué. C’est faire bien peu de cas des habitants et entreprises de notre vallée de Seine qui supporteront tous les inconvénients de la LNPN, sans aucun bénéfice ».

Serpent de mer des années 90, le tracé n’a toujours pas de version définie. (SNCF)

Par inconvénients, la présidente de la CU évoque le passage des trains de marchandises : en effet, la LNPN n’a pas le gabarit suffisant pour accueillir le fret. Celui-ci se fera alors sur les sillons existants, ceux dédiés à la ligne J aujourd’hui, et à Eole demain.

« Pendant que nos habitants continueront toujours à attendre leurs trains sur les quais, ils regarderont passer sous leur nez ceux de Normandie sans pouvoir y accéder ainsi que les trains de marchandises, avec leur cohorte de nuisances », regrette l’élue. Avant de pointer du doigt un autre dommage collatéral du projet : l’Arrêté de prise en considération, qui va être signé par le Préfet des Yvelines entraînera le blocage de différents projets dans certaines communes du territoire, dont un quartier de gare Eole et des projets d’activités économiques « indispensable à son attractivité ». « Si, pour notre plus grand malheur, la LNPN devait être réalisée, ce qui nous attend est une profonde dégradation de notre habitat, de notre environnement et de nos paysages, avec un impact majeur sur nos terres agricoles ».

À la Ville d’Epône, qui fait partie des communes concernées, on s’inquiète de cette situation qui pourrait mettre en péril le projet de nouvelle gare. « À priori, les tracés qui sont utilisés pour cette ligne impactent notre grand projet de la gare Epône-Mézières, se désole le maire Ivika Jovic. Comme aujourd’hui on ne sait pas trop où on va avec cette ligne LNPN, il y a des risques qui existent sur des blocages du projet. On s’est positionné, avec GPSEO, pour que tous les maires de la communauté urbaine aient une action commune pour avoir le maximum d’informations sur la ligne LNPN et pour se prononcer sur son bien-fondé ou pas ».

Le flou ambiant qui règne autour du projet ne manque pas d’inquiéter les élus. Et comme le dit si bien le maire de Chapet Benoît De Laurens, « quand c’est flou, il y a un loup ! » Il faut dire que son village, d’un peu moins de 1 500 âmes, pourrait bien souffrir si la nouvelle ligne venait à voir le jour. « Pour moi, c’est une catastrophe, admet l’édile. Ça me coupe le village en deux. Dans le meilleur des cas, ça passe de l’autre côté de l’autoroute, sinon, ça nous coupe la chique. Pour nous, ça n’apporte rien, que des emmerdements, ça consomme de la terre agricole et ça fige les permis de construire. On est furieux ».

À l’image du maire de Chapet, les élus s’interrogent sur la justification d’un tel projet qui pourrait s’avérer destructeur. « Le trafic et les emmerdements c’est un sujet, mais on n’est pas complètement idiots, si le projet nous paraît vraiment justifié, on est capable d’y réfléchir. Mais là, on a un problème de justification sur le fond : pourquoi cette ligne, si c’est pour faire gagner 10 minutes aux gens du Havre et de Rouen ? C’est le temps d’un café ! » La problématique est la même à Aubergenville, ou un potentiel tracé pourrait scinder la commune en deux, en isolant le ­quartier ­d’Elisabethville.

Voilà plusieurs semaines que les élus concernés se réunissent pour constituer un dossier béton, démontrant par A+B que la Ligne Nouvelle Paris Normandie n’a pas lieu d’être. Sera-t-il suffisant ? Difficile de s’avancer, tant les contours de celle-ci restent nébuleux. Dans tous les cas, si le projet doit voir le jour, il devra passer par des concertations publiques, et ainsi se confronter à l’opinion des ­habitants.