2024 est-il un budget de rigueur ?
C’est un budget plus économique que d’habitude car le Département, après moult réformes, n’a plus qu’une recette dont il n’a qu’un contrôle partiel : les droits de mutations à titre onéreux (DTMO), c’est-à-dire les droits de notaire sur lesquels nous percevons 4,5 %. Tout le reste, ce sont des dotations de l’Etat qui sont venues remplacer les fiscalités que nous n’avons plus comme la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Par ailleurs, nous touchons une quote-part sur la TVA et nous aurions dû bénéficier d’une augmentation de ces recettes du fait de l’inflation, mais la nouvelle loi de finance nous l’a plafonné.
Sauf que les DTMO dont vous parlez sont en chute libre. Pourquoi ?
À cause d’une crise immobilière sans précédent. Les gens n’achètent ni ne vendent à la fois. D’une part parce que les taux d’intérêt des emprunts augmentent et d’autre part, de la réticence des élus à construire des logements neufs, qui provient aussi de la réticence des habitants à avoir plus de voisins. Le marché immobilier est donc figé. De plus, avec l’application de la nouvelle loi qui demande de faire des bilans thermiques et de ne plus louer les logements en catégorie G, les propriétaires sont obligés de réaliser des travaux onéreux, ce qui paralyse également le marché immobilier.
En quelques chiffres, quelles sont les conséquences pour le Département ?
La baisse de 30 % des DTMO représente 140 millions d’euros en moins sur les 450 millions d’euros de recette, ce qui grève donc notre budget de 12 %. Nous sommes le 2ème Département le plus impacté de France en termes de pourcentage, le 3ème en termes de valeur.
Ajoutez à cela, nos dépenses qui vont nécessairement augmenter car les Départements sont les acteurs de proximité de l’action sociale nationale, en particulier sur les prestations sociales que sont le RSA, l’allocation aux adultes handicapés (AAH) et l’allocation personnalisée d’autonomie (APA). Sauf que l’Etat a augmenté ces allocations, ce qui est logique puisqu’il y a une inflation.
Il y a d’autres facteurs qui limitent votre budget ?
Pour les aides sociales, nous les distribuons donc puis l’Etat est censé nous les rembourser. Sauf que nos méthodes de calcul diffèrent. Par exemple le RSA, sur les 280 millions distribués, l’Etat ne nous redonne que 170 millions. Nous savons ce que nous avons dépensé quand même ! Idem pour l’AAH et l’APA… Déjà, si ce reste à charge n’existait plus, nous serions très à l’aise.
Durant les vœux, vous aviez évoqué la suppression de la taxe d’habitation et le président de la Région Auvergne Rhône-Alpes a fustigé la zéro artificialisation des sols (ZAN). Elles ont aussi un impact ?
Nous ne touchions déjà plus la taxe d’habitation et en compensation la taxe foncière avait été donnée directement aux communes. La ZAN, pour le moment l’impact est minime, mais cela peut être nuisible lorsque le marché de l’immobilier va reprendre. Car il reprendra, mais de manière moins forte.
Ce n’est pas la première crise économique.
Lors de la crise en 2008, nous avions une autre fiscalité à côté, avec plusieurs moyens pour l’amortir. Idem en 1990. Mais comme nous sommes sur une crise immobilière jamais vue depuis 50 ans et qu’elle est désormais notre seule ressource… On nous a sciemment étranglé même si je reconnais que l’Etat ne va pas bien lui-même.
Quels seraient les moyens d’économies ?
Dans toutes nos dépenses, 60 % sont obligatoires. Pour les aides que je viens de vous citer, nous ne pouvons pas dire « je ne vais plus les distribuer ». Il y a également le personnel, l’énergie… Cela va nous obliger de tailler dans les budgets comme les dotations aux communes alors qu’en 10 ans nous les avions multipliées par 4. Cette année, nous suspendons notre aide à l’entretien de la voirie, seules les départementales seront assurées. Peut-être que nous y reviendrons mais comme nous ne maîtrisons pas le futur…
Il y a une véritable grogne de toutes les instances départementales, des actions sont prévues ?
C’est aussi une colère et un abattement. Nous sommes en train de rencontrer tous les interlocuteurs d’Etat, qu’il s’agisse de la hiérarchie préfectorale ou de la hiérarchie ministérielle. Sauf que pour le moment celle-ci est suspendue car le gouvernement n’est pas complet. Nous attendons les nominations des ministres du Budget et du Logement. Dès que cela sera fait, nous allons présenter la situation à nos interlocuteurs en précisant bien que c’est l’investissement qui va en pâtir. Ces dernières années, quand il nous restait de l’argent, nous le réinvestissions tout de suite dans des collèges, dans des routes, dans de l’aide aux entreprises… Si nous n’avons cette excédent, ce sera dramatique pour l’avenir.
Quelles solutions proposez-vous ?
Il faudrait à très court terme nous autoriser une hausse d’un point de la fiscalité des DTMO, elle serait provisoire pour 3 ans car nous estimons que le marché devrait rester médiocre sur cette période. Par ailleurs, nous touchons une taxe d’aménagement lorsque certains travaux sont réalisés. Nous aimerions également qu’elle soit augmentée et plus seulement limitée au CAUE (Instance territoriale qui a pour objectif de promouvoir la qualité de l’architecture, de l’urbanisme et de l’environnement dans le territoire départemental, Ndlr) ou à l’acquisition d’espace naturel sensible pour préserver la nature. Nous voudrions que cela soit élargi à des mesures comme le soutien à la rénovation thermique de manière à ce que nous puissions investir à notre compte sur les communes.
Et sur le long terme ?
Qu’une fiscalité locale soit reconstruite ! Cela ne sera pas demain matin. Nous avons transmis un courrier aux 259 communes yvelinoises afin qu’elles fassent valider une motion pour appuyer notre démarche et que le lien indéfectible qui unit ces deux collectivités – Département et commune – reste indéfectible.
Vous étiez au service de l’Etat il y a 20 ans, le fonctionnement était différent ?
J’étais dans un gouvernement qui mettait en place la deuxième centralisation, celui de Jean-Pierre Raffarin. Les choses ont changé depuis. Même si la centralisation reste indispensable sur la Défense, les Affaires étrangères, l’Intérieur, la Justice, ce qu’on appelle le régalien. Aujourd’hui, l’Education Nationale en fait partie mais nous pouvons nous poser la question.
L’Etat continue de la contrôler pour s’assurer l’unité du programme – ce qui est nécessaire – mais est-ce que la gestion du personnel enseignant doit rester au niveau national ? J’en doute. Les Départements s’occupent des collèges, les Régions des lycées alors que ce sont les mêmes choses. Pourquoi avoir deux administrations alors ? L’Etat devrait se dire qu’est-ce que je fais le mieux et qu’est-ce que les collectivités font de mieux ?
Avec le déploiement des cabines de téléconsultation, le Département a élargi ses domaines de compétence. Comment allez-vous réagir si l’Etat vous en demande plus ?
La réponse sera non. Par exemple pour l’expérimentation de la tenue unique, ils m’ont questionné, j’ai dit non. Nous n’allons pas nous mettre à dépenser plus, même sur des sommes modiques.
Quand est-ce que les coupes vont être faites ?
Nous avons écrit à la fin de l’année pour mettre en garde les maires sur les dépenses qu’ils vont engager et les appeler à la prudence dans l’élaboration de leurs budgets d’investissement. Nous allons les prévenir dans les jours qui viennent au sujet de la voirie et les rassurer sur la politique contractuelle pour 2024.
Cependant, si l’affaissement se poursuit dans le cours de l’année, il est possible que nous revenions sur cette politique contractuelle. Cela pourrait donner lieu à un vote sur des plafonds et que nous soyons soit dans un système de premier arrivé, premier servi. Nous trancherons dans tout ce qui n’est pas obligatoire, toutes les démarches originales, les aides aux associations sportives, culturelles… Le sport n’a pas été impacté car c’est une année olympique mais l’année prochaine, les subventions seront vraiment moindres.