Usine Stellantis : le site pisciacais menacé ?

Selon les syndicats de l’usine Stellantis de Poissy, l’avenir de l’usine serait menacé puisqu’après 2026, aucune voiture ne serait dans les futurs plans de production. Alors qu’une réunion doit avoir lieu en novembre, le constructeur automobile temporise et refuse de céder à la panique.

Stellantis

Séisme dont la magnitude reste à mesurer, le départ de Carlos Tavares a obligé le principal protagoniste à effectuer la tournée des plateaux afin d’expliquer sa décision, mais pas que. Le directeur général de Stellantis devait également justifier les chiffres moins bons qu’à l’accoutumée (chiffre d’affaires net de 85 milliards d’euros, en baisse de 14 % par rapport au 1er semestre 2023 avec un bénéfice net de 5,6 milliards d’euros, en baisse de 48 % par rapport au 1er semestre 2023). Plutôt loquace sur les explications, il est resté nettement plus évasif au micro de BFM Business pour son dernier salon de l’automobile au moment d’évoquer l’avenir de certains sites de production. Alors que la journaliste Hedwige Chevrillon le questionne sur l’offensive des constructeurs chinois contre le Vieux Continent et sur les impacts – comme la fermeture d’usine à Poissy – l’ancien numéro deux de Renault a botté en touche en balançant un « Il est trop tôt pour en parler ».

« C’est ce qu’on sent depuis un an, pose Jean-Pierre Mercier, délégué syndical SUD et employé sur le site de Poissy depuis 2014. Il y avait même plusieurs signaux annonciateurs. » D’après le syndicaliste, l’usine pisciacaise n’a pas été équipée des nouvelles plateformes sur lesquelles tous les nouveaux véhicules seront montés : « Il y a trois types, la STLA, small, middle et large, suivant les tailles de voiture. Carlos Tavares a annoncé des travaux partout, sauf à Poissy. » Autre élément qui inquiète les salariés présents sur les lignes de montage, des projets qui ne voient pas le jour comme le bâtiment peinture. Celui-ci est excentré de la production et son rapprochement avait été évoqué peu avant le COVID. Mais depuis, plus de son, plus d’image. « Il y a un an, la direction s’est aussi acharnée à vider ses CDI, rappelle Jean-Pierre Mercier, et actuellement des DRH, des directeurs de secteurs de production, des chefs d’équipe se barrent. Et quand ils prennent leur chèque, ils nous disent « y aura pas de véhicule après ». »

Actuellement, le site de Poissy produit deux types de voiture : l’Opel Mokka et la DS3 Crossback. Toutefois, le SUV français va s’arrêter prochainement et sera remplacé par l’Opel Mokka Sport. « Et là, le carnet de commande est plein ! » assure le délégué syndical. En effet, la direction de Stellantis a demandé aux deux équipes de production de travailler les samedis, mais aussi le 11 novembre. Par ailleurs, même pour le Mokka, la succession est assurée grâce à la future phase de « restyling ». « Nous démarrons la fabrication dès décembre, mais derrière c’est quoi après ? » s’interroge Jean-Pierre Mercier. La fermeture de l’usine n’est évidemment pas prévue pour demain puisque les prévisions de plan de charge des usines du groupe courent jusqu’en 2027. Cela va même être confirmé lors de la réunion centrale du comité paritaire stratégique prévue pour le 26 novembre. Mais Jean-Pierre Mercier n’y voit qu’une tentative pour endormir les salariés, « on sait déjà ce qui va être annoncé ».

Jean-Pierre Mercier, délégué syndical Sud chez Stellantis Poissy veut que la direction s’engage sur le futur de l’usine pisciacaise. (D.R)

Du côté de la Ville, on garde aussi un œil sur ce qu’il se passe chez le groupe Stellantis. « Lui et ses désignations antérieures (SIMCA, PSA…) sont vraiment liés à notre ADN et à notre histoire, concède Patrick Meunier. Toutefois, nous sommes toujours préoccupés par ses évolutions. » Cependant l’élu délégué au développement économique ne peut malheureusement pas faire grand-chose si un arrêt de fabrication devait être officialisé, « celui qui peut se battre c’est l’Etat de part ses fonctions régaliennes ». En revanche, il compte bien sur des élus locaux – comme le député Karl Olive dont le père travaillait en plus dans cette usine, la sénatrice Marta de Cidrac ou la ministre déléguée au commerce extérieur Sophie Primas – pour effectuer une forme de lobbying : « Fabriquer en Île-de-France, c’est important ! »

« Un des arguments de Carlos Tavares, pour dire on ne délaisse pas Poissy et ainsi rassurer Karl Olive et compagnie, c’est d’évoquer le GrEEn Campus » avance le syndicaliste encarté SUD. « Quand Stellantis nous a proposé de réaliser un de ses 4 campus mondiaux et de faire venir 8 500 personnes, on avait dit oui tout de suite et on se dit qu’on a bien fait » avoue Patrick Meunier.

Ce chantier géant, dont la livraison est prévue pour début 2025, sera composé de huit bâtiments répartis sur 72 000 m² serviront principalement pour la recherche et développement – actuellement basé à Vélizy-Villacoublay – ainsi que les moyens d’essais et les activités tertiaires, le tout centré sur le développement durable. « L’électrification est un sujet majeur, expliquait Luc Chatel, président de la Plateforme automobile, lors de la pose du 800ème poteau en décembre 2023. Avec les voitures essence, 80 % des émissions de CO2 sont émises lors de l’utilisation et 20 % lors de la construction, c’est l’inverse pour les véhicules électriques. L’ensemble de la chaîne de valeur doit donc devenir neutre. »

Cependant, pour Jean-Pierre Mercier, ces arrivées ne doivent pas compenser avec une hypothétique perte de 2 600 salariés. « Il peut avoir un effet domino avec les sous-traitants. On a l’habitude de dire que pour un emploi direct détruit, il y en a trois emplois induits » regrette-il. Il fustige aussi une « situation financière dans le vert fluo » alors que la direction matraque l’inverse dans les médias : « 6 milliards d’euros de bénéfice pour les 6 premiers mois, c’est ce que faisait PSA et FIAT Chrysler en une seule année » Le syndicaliste s’exaspère surtout de voir une bonne partie de cette somme partir directement dans les poches des actionnaires. Il prend comme exemple les trois milliards pris l’année dernière sur les 18 milliards de bénéfice afin de faire monter artificiellement le cours de l’action et ainsi reverser 7,7 milliards aux actionnaires. « On a donné notre santé dans ces bagnoles, on fabrique des lingots d’or. Si derrière c’est pour fermer une usine, nous ne sommes pas d’accord » s’emporte l’employé de Stellantis.

« Les syndicats sont dans leurs rôles et doivent alerter sur la situation » admet Patrick Meunier. SUD Stellantis ne demande finalement qu’une chose : avoir des garanties écrites pour l’après Mokka et l’avenir des 2 600 salariés. « Même s’il faut faire des moulins à poivre ou des poêles Tefal, on veut en discuter maintenant » raconte Jean-Pierre Mercier. La direction a estimé auprès du Parisien qu’il « ne faut pas paniquer », un discours inlassablement tenu également auprès de toutes les organisations syndicales.