5 h 15 sur l’A13, un automobiliste traverse le péage de Buchelay pour aller vers Paris… sans devoir attendre que la barrière ne se lève, devenant ainsi le premier d’une longue série à utiliser le flux libre sur l’autoroute la plus vieille de France. Dorénavant, ce sont des portiques équipés de capteurs qui définiront votre droit de passage. Et même à 130 km/h, ils seront capables de lire votre plaque minéralogique et de trouver votre classe de véhicule.
Depuis trois ans, la SANEF (Société des autoroutes du Nord et de l’Est de la France) s’affaire à équiper toutes ses portions d’autoroute présentes dans l’ouest parisien de cette technologie. Ce qui est enfin devenu le cas dans la nuit du 9 au 10 décembre. « C’est la plus grosse révolution de l’A13 » s’exclame Arnaud Quémard, son directeur général. « Enfin ! pour Pierre Chasseray délégué général de 40 millions d’automobilistes, les États-Unis ont ça depuis le début des années 2000. » Une révolution qui va tout d’abord faire gagner du temps.
D’après les estimations du concessionnaire autoroutier, c’est 30 minutes de gagné entre Paris et Caen en heure pleine. Un chiffre pas étonnant puisque d’une part, entre la Capitale et la préfecture du Calvados, quatre gares de péage jalonnent les 220 km de voies rapides. D’autre part, sa fréquentation colossale : « Il y a eu en 2023 8 millions de clients individuels pour 100 millions de transactions » détaille le directeur général de la SANEF. Celle-ci s’explique par la double clientèle de l’A13 qui est aussi bien empruntée pour des trajets professionnels (essentiellement la semaine) que touristiques (on vous voit les Parisiens qui partent en villégiature à Deauville dès le vendredi soir). Un changement bénéfique aussi d’un point de vue écologique.
Pendant encore deux ans, les automobilistes vont devoir utiliser les voies créées dans le but de contourner les anciennes gares de péage. Toutefois, quand les structures auront disparu, la nature reprendra ses droits sur 28Ha. « À une époque où on parle de zéro artificialisation nette, il n’y a pas tant de projets que ça qui désartificialisent autant » remarque Arnaud Quémard. De plus, selon les calculs de la SANEF, 30 tonnes de CO2 seront économisées par an, soit l’équivalent de 11 000 voitures. « D’un point de vue sécurité, au moins plus personne ne se trompera de voie et fera machine arrière au milieu des voitures » ajoute-t-il.
Par ailleurs, le directeur général de la SANEF est revenu sur les conséquences sociales du passage en flux libre. Il assure que l’ensemble de la filière péage, c’est-à-dire 100 personnes, a été basculée sur les centres de relation client nouvellement ouverts et dédiés au péage en flux libre. Ils sont répartis sur trois sites, Montesson, Rouen (Seine-Maritime) et Pont-L’Evêque (Calvados) : « Il a même fallu créer 150 emplois supplémentaires. »
Attention tout de même, flux libre ne rime pas avec gratuité. C’est ici que se concentrent toutes les inquiétudes : comment payer ? Direction le site de la SANEF. Après avoir rentré sa plaque d’immatriculation, l’usager découvre le montant dont il doit s’acquitter. Soit il le paie directement par carte bleue, sinon pour celles et ceux encore un peu réticent d’utiliser un moyen de paiement sur la toile, 10 000 buralistes agréés par le service de paiement Nirio de la Française des Jeux seront ravis de vous encaisser. Toutefois, la SANEF compte aussi vous simplifier la vie.
En vous créant un compte chez eux, vous avez la possibilité de lier votre carte bleue à votre plaque d’immatriculation et vous serez donc débité automatiquement. Vous pouvez aussi activer un service de notification. Une fois fait, vous recevrez un e-mail le lendemain de votre passage, si celui-ci n’a pas été réglé entre-temps. D’ailleurs, depuis le passage en flux libre de l’A14, 250 000 personnes se sont créées un compte sur le site de SANEF, 12 % ont lié leur carte et leur plaque et 82 % ont activé l’alerte passage. La solution la plus simple reste le badge télépéage. « Il faut expliquer aux Français qu’ils payent l’abonnement que lorsqu’ils l’utilisent » rappelle Pierre Chasseray.
Toute personne ayant emprunté les tronçons payants de l’A13 dispose de 72 heures pour régler ses frais de péage. Passé ce délai, une majoration de 90 euros (réduite à 10 euros en cas de paiement sous dix jours) viendra s’ajouter sur votre facture. Et après deux mois sans s’acquitter de sa dette auprès du concessionnaire autoroutier, une nouvelle majoration 375 euros s’abattra. La SANEF fera preuve de mansuétude pour le premier oubli avec un simple courrier de rappel envoyé à l’adresse du titulaire de la carte grise.
« C’est un gros changement d’habitude » concède Arnaud Quémard mais le directeur général reste résolument optimiste. Celui-ci se base sur les chiffres de l’A14, passée en flux libre depuis le 19 juin 2024. « Sur les cinq millions de passages effectués depuis six mois, nous sommes autour de 90 % de taux de paiement dans les temps. » Seule ombre au tableau que pointent aussi bien la SANEF que 40 millions d’automobilistes : la communication.
« Par exemple quand il y a eu le passage au 80 km/h, il y a eu des campagnes de spot, le Premier ministre et la presse pour alerter la population. L’Etat avait mis le paquet, s’emporte Pierre Chasseray. Là, même pas un mot du ministre, ce n’est plus de l’amateurisme, c’est de l’incompétence ! » Arnaud Quémard a préféré rester plus diplomate. Celui-ci a préféré mettre en valeur « les différents organes de presse, les communautés urbaines ou d’agglomération, les mairies… » qui ont utilisé leur kit de communication, même s’il reste globalement insatisfait des instances gouvernementales. Cependant, le concessionnaire autoroutier avait prévu le coup et a posé 200 panneaux sur les 220 km de voies rapides afin de rappeler le passage en flux libre, et à cela s’ajoutent quelques banderoles sur les ponts.
La menace principale du flux libre est l’usurpation de plaque d’immatriculation. Du côté de la SANEF, on compare cela à ceux qui utilisaient la méthode du « petit train » – c’est-à-dire coller la voiture de devant et profiter de la barrière toujours levée – un procédé qu’ils ont toujours cherché à endiguer mais sans réelle influence. « On avait fait une proposition de loi à l’assemblée porté par Luc Geismar mais il devenu suppléant entre temps » explique Pierre Chasseray. Dans un communiqué commun, l’association 40 Millions d’automobilistes et l’élu de Loire-Atlantique « proposent de rendre obligatoire la présentation de la carte grise du véhicule et d’une pièce d’identité du conducteur pour obtenir une plaque d’immatriculation » en magasin et sur un site Internet marchand. Les délinquants réaliseraient donc des « doublettes » pour échapper aux amendes. Un phénomène qui prend de l’ampleur : 22 008 plaintes pour « doublettes » ont été déposées en 2022, contre moins de 13 600 en 2010.
Enfin, le passage en flux libre de l’A13 intervient en pleine réflexion sur les concessions autoroutières. Celle de la SANEF arrive à échéance fin 2033 mais Arnaud Quémard assure que cela ne changera rien sur ses investissements dans les années à venir. « Nous sommes en train de planifier les futurs travaux avec les services de l’Etat » révèle-t-il.