
La commission européenne définit l’intelligence artificielle de la manière suivante : tout outil utilisé par une machine afin de reproduire des comportements liés aux humains, tels que le raisonnement, la planification et la créativité. Elle n’est pas rentrée dans nos vies avec ChatGPT ou Midjourney puisque le mathématicien et informaticien John McCarthy la théorisait dès 1956. Mais pour parvenir à des résultats satisfaisants, trois éléments moteurs doivent être réunis : les données – ou « data » – une capacité de calcul exceptionnelle et un algorithme. Il y a deux familles d’IA, les prédictives et les génératives. La première utilise l’apprentissage automatique pour extrapoler l’avenir. Elle est centrée sur l’analyse des données et la réalisation de prévisions futures à partir de données historiques ou actuelles. La seconde crée du contenu en s’appuyant sur des données et des informations acquises à partir d’autres contenus existants, comme ChatGPT. C’est plus la première nommée qui pourrait venir en aide aux collectivités territoriales.
« La France n’est pas en retard sur cette thématique » avance Ghislaine Senée. Pendant plusieurs mois, la sénatrice des Yvelines travaillait sur un rapport d’information nommé « l’intelligence artificielle va-t-elle révolutionner l’univers des collectivités territoriales ? ». Avec sa consœur de l’Aisne, Pascale Gruny (Groupe Les Républicains), elles sont allées à la rencontre des villes qui utilisent déjà l’IA comme Paris, Nîmes (Gard), Montpellier (Hérault), mais aussi plus proche de nous, Plaisir. De ce rapport, elles ont sorti 11 recommandations. Les deux premières portent sur l’acceptation de l’IA. D’abord auprès des élus et des agents des collectivités, en développant des offres de sensibilisation puis de formation.
« Parmi les freins de l’utilisation de l’intelligence artificielle, il y a la peur d’être remplacé » théorise Fabien Aufrechter. Le maire de Verneuil-sur-Seine a été lui-même auditionné pour ce rapport, non pas pour sa fonction d’élu, mais en tant que directeur d’Havas Sovereign Technologies. Mais d’après lui, un paradoxe peut se créer : « En ne se mettant pas à jour sur des nouvelles pratiques, les agents se mettent eux-mêmes dans une position d’obsolescence. » De plus, un recours durable et adapté aux besoins du territoire ne saurait se faire sans l’implication des citoyens dans le développement d’une IA au service des collectivités. Il faut donc l’impliquer au maximum dans l’introduction de l’IA au sein des services publics locaux afin de s’assurer de son acceptation. « La Ville de Montpellier a rédigé une convention citoyenne sur ce sujet » pointe Ghislaine Senée.
Attention à la fracture numérique
Avec l’arrivée d’internet, une fracture numérique s’est établie entre les communes. Il n’y a qu’à voir la différence de gestion des réseaux sociaux entre Poissy ou le Tertre-Saint-Denis ou l’aspect du site internet de la Ville. « Comment on entraîne ces petites communes, remarque en effet la sénatrice de l’Aisne, parce que toutes les collectivités que nous avons rencontrées sont au-delà de 30 000 habitants. » Une taille critique est donc nécessaire, mais ce n’est pas pour autant que du monde doit rester à quai. « Ce sont nos recommandation numéro 3 à 6 » assène l’ancienne maire d’Evecquemont. Celle-ci préconise de mettre en place un administrateur général des données en lien avec des comités territoriaux de la donnée. Cette fonction peut être aussi bien assurée au sein d’une communauté urbaine, un Département voire une Région. « Cela permettrait un partage des bonnes pratiques ainsi que des échanges d’expérience. Les plus petites communes pourraient piocher dedans » insiste la sénatrice.

Les deux parlementaires voient plutôt d’un bon œil l’arrivée de l’IA au sein des collectivités. D’après une étude présente dans leur rapport, seulement 5 % des emplois seraient impactés dans les administrations territoriales. L’intelligence artificielle pourrait même rendre le travail des agents plus valorisant, la preuve par l’exemple avec Plaisir. Le 15 février 2024, Ghislaine Senée et Pascale Gruny accueillaient à Sceaux Khaled Belbachir, directeur des relations citoyennes de la Ville. Celui-ci soulignait les difficultés rencontrées par sa commune face aux nombreuses sollicitations téléphoniques. Le directeur précisait tout de même que l’accueil physique est plutôt satisfaisant mais face au flux d’appel en continu et un moyen humain insuffisant, il y avait un taux de perte de 60 à 65 %.
Ainsi, grâce à la société Yelda, le chatbot – ou robot conversationnel – Optimus prête main forte à la Mairie depuis 2022. Le taux de perte des traitements de demandes émanant des habitants est tombé à 8 %. Tout n’est pas rose non plus. « J’ai moi-même posé une question basique, je ne me souviens plus laquelle, je n’ai pas eu la bonne réponse et après il m’a indiqué les horaires d’ouverture de la Mairie » s’amuse Pascale Gruny. Mais parallèlement, les appels traités par les standardistes prennent désormais plus de temps (1,5 et 1,8 fois plus long).
L’ancienne adhérente voit même des avantages à l’IA, notamment pour des retranscriptions des conseils municipaux : « Au moment où ça dit que c’est l’IA qui écrit, je suis sûre que les personnes vérifieraient plus ce que le texte contient. » Elle rappelle également que c’est le décideur public qui aura le dernier mot pour conserver des « humains » ou non.
Quid de la souveraineté nationale ?
Utiliser l’intelligence artificielle dans les collectivités nécessite de stocker des datas très précieuses, comme des informations personnelles. « Nous ne pouvons pas les laisser à n’importe qui » prévient Ghislaine Senée. Il faut donc s’assurer de la présence des data centers sur le sol français. Toutefois, si cet enjeu semble être compris par l’État français, la sénatrice s’étonne des annonces du président de la République : « Nos investissements dans l’IA sur les data centers se feront grâce à des fonds étrangers de l’Arabie Saoudite… » La souveraineté nationale peut également se transformer en locale, par exemple entre la collectivité et la société qui fournit l’IA. « Les GAFAM (le regroupement Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft, Ndlr) peuvent très bien couper l’accès si elles le désirent » s’alarme Ghislaine Senée. Autre sujet épineux, la prévention des cyber-risques, sachant que dans ce domaine, beaucoup de choses doivent être revues.
« Les collectivités sont les parfaits laboratoires pour les nouvelles technologies. Je suis très favorable à développer une culture IA » s’enthousiasme Fabien Aufrechter. En effet, entre la gestion de déchets, le repérage de fuite d’eau voire la prévention d’inondations, l’intelligence artificielle offre un large panel d’actions pour améliorer la vie des habitants. Mais le maire vernolien soutient de son côté qu’il faudra mettre les moyens financiers. De son côté Ghislaine Senée a mis à disposition son rapport d’information à l’intégralité des personnes concernées.