Colère noire chez les blouses blanches

Dans une lettre ouverte adressée à la direction du Groupement Hospitalier de Territoire (GHT) Yvelines Nord, les neuf syndicats des hôpitaux de Poissy, Mantes-la-Jolie et Meulan-Les Mureaux ont annoncé leur retrait des instances représentatives du personnel. Une manière de faire pression face à la « dégradation des conditions de travail » des professionnels de santé et des agents hospitaliers, et la « non reconnaissance dont ils font l’objet ».

C’est une initiative inédite. Pour la toute première fois, la totalité des organisations syndicales des hôpitaux de la Vallée de Seine font cause commune, et tirent la sonnette d’alarme. CGT, FO, CFDT ou encore Sud 78, CFE CGC et FA-FPH : tous ont apposé leur signature au bas d’une lettre ouverte datée du 7 avril, et adressée directement à Diane Petter, directrice générale du GHT Yvelines Nord, qui regroupe les centres hospitaliers de Meulan-Les Mureaux, Poissy-Saint-Germain-en-Laye et Mantes-la-Jolie.

L’objet de cette lettre ? Leur décision de se retirer des instances représentatives du personnel, afin de dénoncer la « dégradation des conditions de travail » observées au sein des trois établissements, mais aussi la « non reconnaissance » dont ferait l’objet le personnel soignant, ainsi que « la dégradation de la qualité des soins ». « En échangeant entre nous, on s’est rendus compte qu’on était confrontés aux mêmes difficultés, nous glisse une source syndicale. Entre les dossiers tronqués, le non-respect des droits sur la communication des documents passés en instance et l’absence de réponse à nos questions… On ne nous respecte pas. Alors on s’est dit qu’on allait écrire un texte commun, pour raconter ce que l’on vit dans ces hôpitaux ».

« On n’arrive pas à redresser la barre »

Dans cette lettre ouverte, les neuf organisations syndicales dressent une liste des dysfonctionnements rencontrés, parfois depuis des mois, parfois depuis des années, au sein des centres hospitaliers yvelinois. « Maltraitance institutionnelle », « fermetures de lits », « départs en cascade »… Tant de maux qui, selon les représentants du personnel, font de l’organisation en direction commune des établissements « un échec sur le plan humain, ­professionnel, social et économique ».

« C’est plurifactoriel, tempère-t-on au sein de l’intersyndicale. Il y a le contexte national, la période post Covid qui font que les gens n’en peuvent plus. Il y a aussi cette connerie (sic) de tarification à l’activité qui nous plombe. Mais ici, on est en déficit à des degrés différents, donc les mesures d’économies s’enchaînent. Alors on voit le personnel faire le boulot de 3, 4 personnes, et on n’arrive pas à redresser la barre ».

Quelles solutions, alors, pour remettre de l’ordre dans ce marasme ? Dans la fameuse lettre, on trouve une poignée de revendications pour un hôpital public « fort et humain », parmi lesquelles un « recrutement massif et immédiat », des « revalorisations salariales », l’instauration de Commissions Administratives Paritaires Locales (CAPL) ou encore « l’abandon de la logique gestionnaire inspirée du privé », qui « réduit l’hôpital à une entreprise et nie sa mission fondamentale de service public ». Des demandes qui paraissent utopiques, quand on connaît le contexte, qu’il soit national ou local : il y a tout juste quelques mois, la Cour Régionale des Comptes (CRC) pointait du doigt une « situation financière critique avec un risque de liquidité et un autofinancement insuffisant » du côté de l’hôpital François Quesnay (voir notre ­édition du 18 septembre 2024).

La direction se défend

Où trouver, alors, cet argent magique ? « Ce qu’il faut savoir, c’est qu’on paye une blinde des intérimaires, des infirmiers de bloc par exemple, et qu’on ne donne pas envie aux fonctionnaires de rester, soupire un représentant syndical. Si on arrivait à faire en sorte que les salariés soient considérés pour stabiliser les effectifs, ça éviterait d’aggraver la balance du déficit ».

Du côté de la direction du GHT Yvelines Nord, on affirme que « des échanges sont toujours en cours malgré la position récente de ne pas siéger en CSE ». En réponse aux critiques portant sur une supposée communication défaillante, la direction précise que « des réponses sont toujours apportées lors des comités sociaux des trois établissements », et que « des réunions intersyndicales sont animées régulièrement par la direction des ressources humaines ». Ces réunions ont notamment pour but de « travailler sur les conditions de travail dans le cadre des lignes directrices de gestion, et d’autres sujets transversaux priorisés avec les représentants du personnel et les ­intersyndicales ».

Une poignée de représentants du personnel a organisé une première journée de protestation intersyndicale, le lundi 14 avril devant l’hôpital de Poissy-Saint-Germain-en-Laye. (CFDT CHIPS)

La direction ajoute également que « les trois projets d’établissement 2023-2028 des hôpitaux en direction commune et les plans d’action assortis ont été présentés dans toutes les instances, dont le CSE, et font l’objet d’informations de suivi partagées ». Quant aux constats dressés par les syndicats concernant la « dégradation de l’offre de soin », le groupement hospitalier tient à rappeler que « la qualité des soins des trois hôpitaux a été évaluée et certifiée par la Haute Autorité de santé en 2024 ».

Après avoir reçu la lettre ouverte, la directrice générale a proposé de rencontrer les signataires de la lettre ouverte. En attendant, afin de donner corps à cette grogne grandissante, l’intersyndicale se mobilise. Comme le lundi 14 avril dernier quand, sur le parvis du CHIPS, les représentants du personnel ont organisé un premier mouvement de protestation inopiné. « On s’est dit qu’il fallait mettre pression et alerter sur le fait que rien ne va, et on l’a fait mardi par surprise, raconte l’un d’entre eux, qui précise toutefois qu’il ne s’agissait pas d’un appel à la grève. Les gens sont tellement en sous-effectif et en souffrance qu’ils n’ont même pas le temps de descendre. On a vu quelques brancardiers entre deux missions, mais ils n’ont pas le temps. Ils sont en mode survie, désabusés ».

Ce petit rassemblement n’était toutefois qu’un échauffement. Le mardi 15 avril, les représentants des neuf syndicats se réunissaient pour mettre sur pied une mobilisation de plus grande ampleur, qui devrait se tenir le mardi 29 avril du côté de l’hôpital François Quesnay de Mantes-la-Jolie.

Suicides à l’hôpital : deux ministres visées par une plainte

Une plainte a été déposée pour « harcèlement moral » et « homicide involontaire » contre les ministres de la Santé Catherine Vautrin et de l’Enseignement supérieur Élisabeth Borne, afin de dénoncer des suicides de soignants de l’hôpital public dans un contexte de dégradation des conditions de travail, a annoncé l’avocate des plaignants le lundi 14 avril. Pas moins de 19 personnes sont à l’origine de cette action en justice, la majeure partie étant des soignants. Mais on y trouve aussi des veufs et veuves de personnels de santé, dont l’épouse du chef des urgences du Centre Hospitalier Intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye, qui avait tragiquement mis fin à ses jours dans son bureau le 24 septembre 2023. « Son suicide est un ultime message, et ce message, aujourd’hui, je ne peux plus le taire, a-t-elle déclaré auprès de nos confrères du journal Le Monde. Cette maltraitance des médecins et du corps médical doit s’arrêter ».

Selon le quotidien, il cumulait les fonctions de chef du pôle interétablissements de médecine d’urgence, et de chef de service des urgences du CHIPS. « C’est le contexte professionnel qui l’a épuisé jusqu’à la mort, ajoute-t-elle. Il était en permanence entre le marteau et l’enclume, à défendre ses équipes et soumis à la pression du résultat. Comment peut-on faire porter ce poids sur un seul homme ? » Selon les informations du Monde, un médecin ORL de l’hôpital de Mantes-la-Jolie se serait lui aussi suicidé, en février dernier, et ce malgré la mise en place « d’un programme annuel de prévention des risques et d’amélioration des conditions de travail » au sein du GHT.