« La Troisième Vague », quand le totalitarisme s’empare d’une classe muriautine

La compagnie Le Cri Dévot travaille depuis 2 semaines, avec une classe de seconde du lycée François Villon, sur une adaptation du livre « La Vague » de Todd Strasser, qui raconte l’expérience d’un professeur qui immerge ses élèves dans un système totalitaire. On a assisté à une répétition, avant la grande représentation qui aura lieu au théâtre de la Nacelle, ce vendredi 23 mai à 21 h.

Il est 10 h 30, jeudi matin, au lycée François Villon des Mureaux. Dans une salle de classe de seconde, les chaises raclent le sol en cadence. D’un seul mouvement, les élèves s’assoient au signal d’un homme qui impose le silence d’un simple regard. Sur le tableau, une devise en lettres capitales : « La force par la discipline ».

Si vous pensez qu’il s’agit d’un moment d’égarement autoritaire d’un professeur un brin extrémiste, vous avez… presque raison. Il s’agit en réalité de la répétition d’une pièce de théâtre que les élèves joueront sur scène ce vendredi 23 mai, à 21 h au Théâtre de la Nacelle d’Aubergenville, sous l’égide de la troupe Le Cri Dévot. Le metteur en scène, Camille Daloz, et les comédiens Alexandre Cafarelli et Emmanuelle Bertrand font vivre à ces lycéens muriautins une plongée troublante dans l’univers de La Troisième Vague, l’expérience menée par un professeur d’histoire californien aux méthodes peu orthodoxes.

En 1967, au lycée Cubberley de Palo Alto aux États-Unis, Ron Jones voulait montrer à ses élèves comment le fascisme peut s’installer insidieusement. En quelques jours, il a instauré un mouvement disciplinaire autoritaire qui a rapidement échappé à son contrôle, révélant à quel point des individus ordinaires pouvaient adopter des comportements totalitaires. Une expérience qui a donné vie à un livre, La Vague de Todd Strasser en 1981, dont la compagnie Le Cri Dévot s’est emparée en 2016 pour créer le canevas de son spectacle « La Troisième Vague ».

« On fait beaucoup de spectacles sur la thématique de l’adolescence, et même des créations partagées où ils sont impliqués dans le processus de création, tant dans l’écriture que dans le jeu, nous explique Camille Daloz. Et La Vague, c’était vraiment adapté. En 2025, comme c’était déjà le cas en 2016, le travail d’endoctrinement, d’esprit critique, de manipulation, est toujours d’actualité. L’idée était que les élèves puissent s’emparer de cette thématique et en parler d’eux-mêmes ».

Quand on voit l’aisance, le naturel et l’investissement dont ils font preuve dans leur jeu, à une semaine de leur passage sur scène, il est difficile d’imaginer que cette pièce ne leur a pas été proposée… mais imposée. « Au début, on ne voulait pas le faire », avoue une élève. « C’est compliqué de passer devant les gens », poursuit sa voisine. Et pourtant, s’ils sont encore nombreux à appréhender leur passage sur les planches, ils ont su se prêter au jeu au fil des répétitions, dispensées au rythme d’une heure par jour. « Les comédiens ? Ils sont trop cool, ils ont su nous mettre à l’aise, et c’est allé tout seul », témoigne une autre élève.

Et au-delà du plaisir qu’ils éprouvent à se donner la réplique au lieu de bûcher pendant une heure de cours traditionnelle, ils ont su se servir de ces ateliers pour grandir en tant que groupe. « Avant, dans la classe, on n’avait pas vraiment de liens entre nous, confesse une élève. On ne se parlait pas forcément. Il y a des gens à qui je ne parlais pas du tout, et maintenant, je m’entends hyper bien avec eux ».

De quoi rendre fiers leurs professeurs, qui se sont décarcassés pour mettre tout ça sur pied après avoir été contactés par l’équipe du Théâtre de la Nacelle. « Je me suis dit que c’était un super projet à proposer aux élèves, parce que c’est une expérience extrêmement riche, s’enthousiasme Pauline de Saulieu, qui leur enseigne la littérature. C’est génial, parce que depuis la réforme du lycée, je trouve qu’on a des programmes beaucoup plus académiques qu’avant ». Louise Roudier, professeure de philosophie, abonde dans son sens. « C’est vrai que je vois de moins en moins d’élèves qui restent à la fin du cours pour parler des sujets qu’on aborde. J’ai parfois l’impression de perdre un peu du lien que j’ai avec eux. Alors un projet comme ça, c’est idéal pour retrouver cette dimension-là ». La Vague aurait pu diviser, isoler, effacer. Elle a fait tout l’inverse : elle a soudé. Et dans le ressac des répétitions, c’est une classe qui s’est trouvée.

Pour découvrir le fruit de leur travail, il vous faut prendre vos places (de 3 euros à 15,50 euros) sur le site du Théâtre de la Nacelle (https://www.theatredelanacelle.fr/la3evague).